Publié le 11 Feb 2016 - 12:29
PROCES DE HISSEIN HABRE DEVANT LES CHAMBRES AFRICAINES

La perpétuité requise contre l’ex-Président tchadien

 

La prison à perpétuité et la confiscation de ses biens. C’est la sanction requise hier par le parquet général contre l’ex-Président tchadien, Hissein Habré, jugé pour crimes internationaux par la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE).

 

‘’Quand est-ce que le procureur général va prononcer la peine qu’il compte requérir ?’’ Cette question était sur beaucoup de lèvres hier, pendant les deux suspensions d’audience observée dans la matinée, dans le cadre du procès de Hissein Habré. Journalistes (des radios et des télévisions), public et même certains avocats absents de la salle 4 du Palais de Justice Lat Dior où se tient l’audience ont piaffé d’impatience, pour savoir la peine qui sera requise par le Procureur général, Mbacké Fall. Ce n’est qu’aux environs de 17h30mn qu’ils ont été édifiés.

Le chef du parquet général près les Chambres africaines extraordinaires demande ‘’une sentence à la hauteur de la cruauté des crimes’’. Cette sentence n’est rien d’autre qu’une peine d’emprisonnement à perpétuité assortie de la confiscation de tous les biens de Hissein Habré saisis au cours de la procédure. Pour le parquet général, l’accusé ‘’ne peut point bénéficier de circonstance atténuante car les crimes portent atteinte à valeur humaine‘’, a martelé Mbacké Fall pour qui la perpétuité n’est rien par rapport à ce qu’ont vécu les victimes. ‘’Quelle que soit la peine, il aura meilleure fortune car ses proches pourront le voir, contrairement aux victimes qu’il a privées de visites et qui ne verront jamais leurs parents qu’il avait détenus’’, a ajouté le maître des poursuites. Son réquisitoire a donné du baume au cœur des victimes qui ont affiché le sourire.

Du côté des proches de Hissein Habré, c’est également le sourire, mais cette fois-ci narquois. Ils n’ont pas donné l’impression d’être perturbés par la sanction qui plane sur la tête de leur mentor. La preuve : à la fin de l’audience, les applaudissements qui accompagnent chaque fois l’accusé lorsqu’il retourne dans le box ont été plus nourris que d’habitude. Mais avant d’arriver à cette sentence, il a fallu au procureur général Mbacké Fall et à ses trois substituts près de sept tours d’horloge pour démontrer les faits de crimes de torture, de crimes de guerre et contre l’humanité et la responsabilité de Hissein Habré dans ces dits faits.

‘’Le premier acte criminel de Habré, c’est la création de mouroirs’’

Le patron du parquet des CAE, qui a donné le ton, a entamé son réquisitoire par la présentation du contexte historique et politique du Tchad, avec images à l’appui. Ensuite, il a dressé la biographie et le parcours politique de l’ancien président tchadien qui a commencé à flirter avec le pouvoir, avant l’âge même de 30 ans, en devenant sous-préfet à deux reprises. Le prédécesseur d’Idriss Déby a aussi très tôt flirté avec la rébellion et s’est distingué, dès 1974, en prenant en otage des Européens. Il résulte de la présentation du parquet général que le parcours politique de l’accusé est marqué par ‘’une série de volte-face’’, à savoir d’alliances et de ruptures d’alliances. Ce qui fait qu’une fois au pouvoir, ses alliés étaient devenus ses ennemis et ceci a entraîné une série de répressions, huit ans durant, et qui l’ont conduit aujourd’hui devant un tribunal international.

Il résulte des explications du maître des poursuites que c’est en vue de cette répression massive que la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS) ou police politique a été créée, en vue d’étouffer toute velléité de contestation du pouvoir. C’est pourquoi, a dit Mbacké Fall, ‘’les germes de la terreur ont trouvé leur terreau fertile aux dispositions de l’article 4 du décret de création de la DDS’’. Toujours d’après lui, ‘’le premier acte criminel’’ de Hissein Habré ‘’est la création des centres de détention de la DDS’’. ‘’La machine répressive s’est mise en marche avec la nomination d’un directeur et de services passés de 3 en 1983 à 23 à la chute du régime’’, a ajouté le parquetier. Il a fait la description des centres de détention chargés d’accueillir toutes les personnes arrêtées par la DDS, car soupçonnées d’être des ‘’ennemis’’ pour les nationaux, et ‘’espions’’ pour les étrangers. Certains prisonniers de guerre y étaient également détenus. Ils étaient arrêtés sans motif et emprisonnés sans jugement, alors que le Tchad disposait à l’époque d’établissements pénitentiaires et d’un système judiciaire.

‘’Pourquoi Habré s’est gardé de les traduire en justice ?’’ s’est-il interrogé. Et d’ajouter que c’était une manière pour l’ancien Président de violer la confidentialité des activités de la DDS, car la détention devait être tenue secrète. Sur sa lancée, il a soutenu que les centres de détention ne doivent pas être dénommés prisons, mais plutôt ‘’mouroir’’ car,  ‘’ils n’ont rien à voir avec les vraies prisons’’. ‘’Le terme prison est inapproprié, car elle crée une confusion avec les prisons d’État. Ce sont plutôt des « mouroirs » et c’est dans ces mouroirs que les droits de l’Homme les plus élémentaires ont été violés. Il ne les a pas ouverts pour y garder des poulets, mais des personnes’’, a fulminé Mbacké Fall.

Il a embrayé sur les conditions de détention dans les ‘’mouroirs’’, pour rappeler que la torture, la sous-alimentation, le manque d’aération, le surpeuplement, le manque de soin et l’exiguïté des cellules étaient le lot quotidien des détenus. ‘’Le non-respect des normes de détention avait transformé ces centres en lieux sinistres de la négation de la dignité humaine’’. ‘’Les prisons secrètes bouclent l’arsenal répressive de Habré’’, a-t-il martelé.

La responsabilité directe et indirecte développée

Par rapport aux éléments constitutifs des différentes infractions reprochées à l’accusé, Mbacké Fall et ses adjoints ont soutenu qu’ils sont non seulement établis, mais Hissein Habré y a une grande responsabilité. S’agissant de la torture, le parquet général est convaincu par les dépositions des victimes, mais aussi d’anciens agents de la DDS. Les exécutions et morts de détenus attestent l’homicide, pour le parquet. Ce dernier considère également que les crimes contre l’humanité sont prouvés par les attaques contre les populations civiles, surtout celles du Sud. En revanche, les attaques au Nord s’analysent, aux yeux du magistrat, en ‘’véritable crime de guerre en raison des éléments extranéité’’ et  il y a l’élément intentionnel, au regard de l’établissement de listes montrant que les victimes appartiennent à la partie belligérante.

Quid de la responsabilité de l’accusé dans ces faits ?  Le maître des poursuites et ses adjoints ont laissé entendre que l’ancien Chef d’Etat a une grande responsabilité, tant directe qu’indirecte sur les crimes commis sous son régime, du 7 juin 1982 au 1er décembre 1990. A ce propos, le Procureur général Mbacké Fall a indiqué l’existence d’une responsabilité par participation et contribution aux crimes et une responsabilité en tant que chef hiérarchique des armées et des civils. D’après ses arguments, l’ancien Chef d’Etat ‘’a agi en tant qu’auteur et plusieurs personnes ont témoigné de son implication dans les faits de crimes’’.

Khadija Hassan, le ‘’témoin essentiel’’

Parmi ces témoignages, il y a celui de Khadija Hassan. La dame, qualifiée de  ‘’témoin essentiel’’, a déclaré lors de sa déposition, avoir été arrêtée, le 25 juillet 1987, et détenue pendant trois ans, à la suite de l’évasion de prisonniers libyens dont son frère. Elle a affirmé avoir été violée à quatre reprises par Hissein Habré qui l’a également violentée. Car, lorsqu’elle a tenté de résister un jour, l’ex-Président l’a poignardée au niveau des parties génitales avec un stylo et lui a fait boire son liquide. Évoquant le traitement réservé aux détenus, le parquetier a soutenu que Hissein Habré est ‘’coupable par omission fautive’’, pour avoir manqué à son obligation d’agir pour faire cesser les mauvais traitements infligés aux prisonniers, surtout les prisonniers de guerre.

Ces derniers étaient brandis comme des trophées de guerre, exhibés, soumis à la vindicte populaire et présentés à la presse. En détention, ils étaient soumis à la torture et privés d’eau et de nourriture. Selon lui, tout cela n’était pas ignoré de Hissein Habré. Il en veut pour preuve les multiples correspondances que la commission des droits de l’Homme des Nations unies a dressées à l’accusé qui a toujours répondu par l’indifférence. ‘’En s’abstenant d’agir pour le respect de la Convention de Genève concernant le traitement des prisonniers de guerre, Habré a engagé sa responsabilité’’, a soutenu le magistrat du parquet des CAE. Outre la participation individuelle, il a laissé entendre que l’accusé est coupable pour participation conjointe. 

Mieux, selon son substitut Anta Diop Ndiaye, il y a même la participation individuelle et conjointe par une entreprise criminelle commune (ECC). Selon les arguments de la magistrate, cette responsabilité s’illustre à travers la création de commissions ad hoc chargées de la répression des Hadjarays puis des Zaghawas.  ‘’Si ses collaborateurs ont commis les tortures et crimes, la participation de Habré s’est faite par la création de la DDS dont il était l’oreille et l’œil, car il s’occupait des moindres détails’’, a-t-elle ajouté, tout en brandissant des factures et des correspondances adressées à Hissein Habré portant sur la dotation en tenues et en bâches de la DDS. La parquetière a également déclaré qu’il y a ‘’la participation par complicité’’, même si par ailleurs l’accusé est l’auteur principal dans cette affaire. C’est pourquoi elle a précisé qu’il s’agit ‘’d’une complicité par aide et encouragement’’. 

Compte tenu de tous les éléments développés par ses collègues, le substitut Moustapha Kâ a invité les juges à ‘’ne pas tomber sous le charme de la victimisation, car Habré a toujours fait croire qu’il a été trahi par la France’’. Or, a-t-il poursuivi, ‘’il ne peut tromper personne, parce qu’il a toujours bénéficié du soutien de Paris avant et après son accession au pouvoir, à travers des appuis en matériels de guerre’’. Aussi a-t-il mis en garde la défense, en l’invitant à ne pas contester l’existence de cadavres, car en crime de masse, il n’y a jamais de témoins. ‘’Depuis quand un exécutant de crime odieux cherche-t-il un témoin dans le cadre de l’exécution de son forfait ?’’ s’est interrogé le magistrat Kâ. Son collègue Youssoupha Diallo de renchérir : ‘’Respectons un peu les victimes, car en matière de crime de masse, les gens font une excavation et analyse un échantillon de corps’’. Il a ajouté que Habré ‘’avait une connaissance effective des tueries’’. Il en veut pour preuves, les témoignages, les archives de la DDS, notamment des comptes-rendus relatifs aux exécutions, arrestations, les coupures de presse…

Le procès se poursuit aujourd’hui avec la plaidoirie de la défense.

REACTIONS

ME JACQUELINE MOUDEINA, AVOCATE DES PARTIES CIVILES 

‘’Je reste confiante’’

‘’Dans toutes les plaidoiries des parties civiles et du Parquet, il a été question de démontrer tout d’abord la responsabilité pénale d’Hissein Habré. Tous les avocats ont adopté un seul langage avec des styles différents. Ils ont tous démontré les responsabilités pénale et individuelle d’Hissein Habré. Nous avons eu beaucoup de preuves, nous avons également versé dans les dossiers, les témoignages de beaucoup de victimes qui ont eu à défiler devant la barre. Et cela a convaincu chacun de nous pour amener le Parquet à requérir la perpétuité. Je reste  confiante, parce qu’on ne peut montrer mieux que ce que nous avons donné comme preuves. Nous avons démontré avec des preuves à l’appui. Il est rare de voir, devant une juridiction internationale, qu’une partie verse des documents et des preuves probantes dans le dossier, ce que nous avons fait.

ME MOUNIR BALAL, UN DES AVOCATS DE HISSEIN HABRE 

‘Nous allons plaider non coupable’’

‘’Nous savions déjà cela, parce qu’on était informé. Dans le cadre de la procédure, nous avons la possibilité d’échanger sur les réquisitoires, les conclusions et les mémoires. Nous ne sommes pas surpris de cette peine. Lorsque nous avons eu à nous prononcer sur la stratégie à adopter en vue d’aborder le procès, il était déjà question pour nous, après examen du dossier, de disposer d’un délai de 45 jours. Nous avions à travers les éléments du dossier identifié les faiblesses sur les accusations qui reposent sur quelques documents retrouvés dans les archives de la DDS. Des rapports d’expertise commandités par la chambre d’instruction, notamment anthropologique et graphologique. Nous allons exploiter tout cela pour démontrer que la responsabilité pénale, individuelle du président Habré ne peut pas être recherchée sur la base des éléments produits par l’accusation. Nous allons plaider non coupable, comme je l’ai toujours dit depuis l’ouverture du procès’’  

FATOU SY

 

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