Publié le 12 Feb 2016 - 18:01
PROCES DE HISSEIN HABRE

La défense souhaite impartialité et acquittement 

 

Les débats d’audience, dans le cadre du procès de Hissein Habré, ont pris fin hier, avec les plaidoiries de la défense. Les avocats commis d’office pour l’ex-Président tchadien ont plaidé l’acquittement, tout en demandant aux juges de la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE) de faire preuve d’impartialité.

 

Hier, dernier jour d’audience, dans le cadre du procès de Hissein Habré, la tâche revenait à la défense de convaincre de l’innocence de leur client accusé de crimes de guerre, crimes de tortures et crimes contre l’humanité. Etant le plus ancien du trio chargé de défendre l’ex-Président, Me Mounir Balal a plaidé le premier. Il a entamé son propos par des civilités à l’endroit de leur client. ‘’Mes pensées vont à l’accusé, M. le Président Hissein Habré. Ce matin, je voudrais le saluer, la main dans la main comme un frère’’, a lancé l’avocat qui s’est heurté à un mur d’indifférence. 

La même affichée par l’accusé depuis le début du procès. N’empêche que Me Balal a continué à s’adresser à Hissein Habré, notamment pour le rassurer, dans la mesure où leur client ne les reconnaît pas comme ses conseillers. Hissein Habré, qui conteste la légalité des CAE, a demandé à ses avocats constitués Mes Ibrahima Diawara et François Serres de boycotter le procès. C’est pourquoi la Chambre d’assises des CAE a commis d’office trois avocats.

‘’Je voudrais lui dire ceci : qu’il soit rassuré que je n’ai fait l’objet d’aucune sollicitation inconvenante. Vous en avez ma parole d’honneur, ma parole d’homme ou d’avocat’’, a lancé Me Balal. Avant de laisser entendre que ‘’c’est dans l’intérêt de la justice’’ qu’il a accepté la mission (commission) qui lui a été assignée par les CAE. La robe noire a apporté la réplique à ses confrères de la partie civile qui les ont accusés de ridiculiser les victimes, en laissant entendre que ce n’est pas leur intention. A l’en croire, leur préoccupation majeure, c’est la manifestation de la vérité. A cet effet, le défenseur de Hissein Habré n’a pas manqué d’interpeller les juges par rapport à leur impartialité. ‘’La lourde charge qui vous est imposée, nous la connaissons tous. Nous sommes persuadés que, depuis le début de ce procès et après que vous aurez mis en délibéré, vous ferez votre travail, en tout honneur avec une parfaite impartialité et en toute conscience, car le devoir vous l’impose’’, a souligné le conseil.

Cependant, selon les arguments développés par l’avocat, une bonne décision ne peut pas être rendue si le contexte historique est méconnu. A cet effet, il a fustigé la déformation de l’histoire tchadienne en citant Cheikh Anta Diop qui disait : ‘’Falsifiez l’histoire de l’humanité est le pire crime contre l’humanité’’. Pour rétablir ce qui semble la vérité à ses yeux, Me Balal  a replongé les juges dans le contexte géopolitique du Tchad de 1982 à 1990, temps qu’a duré le règne de leur client. D’après son rappel historique, ce pays d’Afrique centrale était plongé dans un contexte de banditisme généralisé et était déchiré en lambeaux.

D’une part, il y avait la militarisation due à la forte rébellion. D’autre part les velléités expansionnistes de la Lybie à l’origine de deux conflits en 1983 puis en 1986 au Nord du pays. D’après l’avocat, cette situation d’instabilité est à l’origine des différentes répressions dont celle des populations du Sud dite «Septembre noir », des ethnies hadjaray, puis Zaghawa entre autres. ‘’Hissein Habré n’est pas allé conquérir le Sud mais c’était pour restaurer la souveraineté tchadienne. S’il n’avait rencontré aucune résistance, il n’aurait pas usé les armes’’, a défendu la robe noire. Il a poursuivi sur la même lancée en soulignant que Hissein Habré a agi par patriotisme. ‘’Cet homme, n’en déplaise à certains, est un patriote. Il a un sens élevé de l’intérêt national. C’est un profond nationaliste’’, a pesté le conseil.  

Ensuite, Me Balal a battu en brèche l’argument du maître des poursuites selon lequel, la Direction de la documentation de la sécurité (DDS) constituait ‘’les germes de la terreur’’. ‘’L’intention, a-t-il dit, n’était pas d’en faire un organe de répression et les services ont été multipliés pour contrôler la sécurité intérieure’’. Son confrère Me Mbaye Sène de renchérir que la création de la DDS n’est pas un acte criminel, puisque c’était dans son rôle de Président de créer des organes.

Il s’y ajoute qu’il y a une mauvaise interprétation du décret portant création de la DDS, car l’article 2 indique clairement que cet organe était placé sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Par conséquent, Me Sène considère que l’argument de la planification ne saurait tenir la route. ‘’Est-ce que vous êtes en train de dire qu’en 1983, Habré était en train de conspirer avec Idriss Miskine et Idriss Déby pour la répression des Hadjarays et des Zaghawas ? ‘’ s’est-il interrogé. Il a ainsi demandé aux juges de ne pas se fonder sur les simples déclarations de Bandjim Bandum, un ancien tortionnaire de la DDS, pour dire que cet organe était sous les ordres de Habré.

Se tournant vers le parquet général, il a soutenu que ce témoin à charge devait plutôt être un accusé. ‘’Vous avez raté l’occasion d’avoir un criminel, un tortionnaire à cette barre’’, a asséné le conseil. S’agissant des mauvaises conditions de détention, les avocats ont répliqué qu’en Afrique, toutes les prisons sont surpeuplées.

Khadija Hassan, ‘’un témoin fabriqué’’

Ensuite, venant à aborder le crime sous-adjacent de viol, la défense a battu en brèche les déclarations de la dame Khadija Hassan qui a allégué que l’ex-Président l’a violée à trois reprises. Les conseils de l’accusé se sont étonnés du fait que la victime ne l’ait dit qu’à la barre, sous le prétexte que la pudeur l’empêchait d’en parler durant l’instruction. ‘’Elle a de la pudeur, alors qu’elle était prête à se mettre nue devant les chaînes de télévisions internationales pour montrer des séquelles’’, a raillé Me Sène. Selon son confrère Me Abdou Gningue, la dame est tout simplement ‘’un témoin fabriqué qui a fait reculer la frontière de l’abject’’, en accusant de viol un homme. A son avis, son témoignage doit être écarté, ainsi que ceux de la plupart des victimes. Selon les conseils de l’ex-Président tchadien, la plupart sont des témoins fabriqués par les ONG. ‘’Tout a été amplifié, médiatisé. Les ONG ont joué un rôle dans cette amplification médiatique et factuelle’’, a fulminé Me Balal.

Revenant sur le témoignage du supposé rescapé du massacre de Ambieng qui a déclaré avoir marché sur plus de 50 km avec une fracture du fémur et d’un doigt, alors qu’avant les faits, il était resté huit jours sans manger, Me Sène dira que ‘’ce n’est même pas une légende, car dans les légendes, il y a quelque chose de vraisemblable’’. Outre les témoignages, la défense a demandé que le rapport de la ‘’commission nationale d’enquête sur les crimes et répressions de Hissein Habré’’ soit écarté des débats, pour absence d’objectivité et d’impartialité. ‘’Le rapport est plutôt un réquisitoire avec un diagnostic psychiatrique’’, a analysé Me Balal qui pense que El Djonto et Saleh Younouss ont fait un témoignage sous la contrainte morale.

La défense a également écarté la responsabilité de Hissein Habré dans les différents crimes, en affirmant qu’elle ne saurait être directe ou indirecte. Il y a ‘’des obstacles objectifs à la fluidité de la chaîne de commandement’’, a indiqué Me Abdou Gningue. Mieux, Me Sène considère qu’il n’y a pas de preuve attestant qu’il était au courant des faits commis et que les lettres d’Amnesty ne sauraient être des preuves, car trouvées dans les locaux de la DDS et non de la Présidence.

‘’En ce jour de 11 février, jour où Nelson Mandela est sorti des griffes et geôles de l’Apartheid, il faut le renvoyer des fins de la poursuite, car il n’y a pas de crimes, encore moins de tortures commis par Habré. En vous livrant l’accusé, je vous demande de l’acquitter purement et simplement’’, a conclu l’avocat.

Clap de fin

30 mai, jour de vérité pour Hissein Habré

Hier, c’était le clap de fin pour ce qui concerne les débats d’audience, dans le cadre du procès de Hissein Habré. Il ne reste que le verdict qui devra être rendu au plus tard le 30 mai prochain. Par conséquent, d’ici là, la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE) va s’atteler à la délibération pour décider du sort de l’accusé.

‘’La charge qui reste revient aux juges qui, de manière très minutieuse, vont compulser tout ce que nous avons comme éléments, à l’effet d’en tirer la substance nécessaire pour motiver notre décision’’, a soutenu le président Gberdao Gustave-Kam à la fin de l’audience. Il a assuré que la décision sera motivée sur la base des éléments rapportés par toutes les parties. Cependant, même s’il a annoncé la date du 30 mai, le verdict pourrait intervenir avant. Pour le moment, c’est l’expectative car l’ancien Chef d’Etat, inculpé pour crimes de tortures, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, risque la prison à perpétuité et la confiscation de tous ses biens saisis au cours de la procédure. 

FATOU SY

 

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