Publié le 16 Sep 2015 - 13:38
PROCES HISSEIN HABRE

La DDS, l’arme de la terreur 

 

Le président de la «Commission nationale d’enquête sur les crimes et détournements commis par Habré au Tchad, de 1982 à 1990 », Mahamat Hassan Abakar, s’est encore présenté hier à la barre de la Chambre d’assises des Chambres africaines (CAE). Dans son témoignage, il a chargé l’ex-Président Habré, en le désignant comme le seul et unique responsable de la DDS.

 

Le rapport de la ‘’Commission nationale d’enquête sur les crimes et détournements commis par Habré, de 1982 à 1990’’, publié le 20 mai 1992, continue d’être fouillé à la barre de la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE). Après avoir exposé, la veille, sur les conditions de détention, hier, le président de ladite commission Mahamat Hassan Abakar est largement revenu sur les conséquences de la répression, mais surtout sur le rôle de Hissein Habré dans les actes de répression imputés à la DDS (Direction de la documentation et de la sécurité).

Sur les conséquences de la répression imputée à Hissein Habré, l’ancien magistrat devenu avocat a indiqué que le chiffre de 40 000 morts avancé par la Commission nationale est approximatif. En effet, le rapport évoque 40 000 victimes, 80 000 orphelins et 30 000 veuves. Mais d’après M. Abakar, ‘’le rapport ne représente que 10% de ce qui s’est passé, car ni le temps, ni les moyens ne leur ont permis d’enquêter comme il le fallait dans certaines provinces’’. Alors, pour convaincre de l’ampleur de la répression, le témoin a cité le cas du centre de détention de la Brigade spéciale d’intervention rapide (BSIR) où 122 décès ont été enregistrés, entre mars 1986 et juillet 1986. A Mongo, dans une autre ville du Tchad, le rapport fait état de la disparition de 522 personnes. Tous ces morts, M. Abakar les a imputées à la DDS ou du moins à son ‘’chef suprême’’, Hissein Habré qu’il désigne comme le seul et unique responsable de l’organe. ‘’La commission est convaincue que Habré a créé et planifié la DDS, pour terroriser et soumettre les populations. La DDS, c’est l’affaire de Habré en personne. C’est sa chose à lui, puisqu’il l’a créée par décret présidentiel, le 26 janvier 1983, et nommé les chefs de service.’’

Agents de la DDS et détenus libérés prêtaient serment

Le président de la Commission a appuyé ses affirmations par les témoignages d’anciens collaborateurs de Habré dont un ancien ministre de l’Intérieur, deux ex-directeurs et d’anciens agents de la DDS. ‘’Premier directeur de la DDS, Saleh Younouss a été coopératif. Il a confié à la commission que la DDS était un service pour assurer la sécurité intérieure et extérieure du Tchad contre la Libye, mais le Président Habré l’a transformée en un instrument de terreur’’, renseigne le président de la commission. L’ex-directeur, actuellement détenu à N’Djaména, a également confirmé que Habré ordonnait les exécutions et Issa Arway les exécutait. Coordonnateur de la DDS, Mahamad Djibrine dit El Djonto a, selon le témoin, corroboré le témoignage de Saleh. De même que l’ex-ministre de l’Intérieur qui a confié à la Commission que ‘’personne ne pouvait s’immiscer dans le fonctionnement de la DDS qui recevait les instructions directes du Président’’. Il a également fait cas du témoignage d’un certain Abass, un ex-agent de la DDS, qui a déclaré à la commission d’enquête, que le 1er avril 1989, Guiny, le directeur de la DDS, leur avait demandé d’arrêter tous les Zaghawas, puisque c’était l’ordre du président de la République.

Au-delà de ces témoignages, l’ancien magistrat a parcouru avec le Procureur général, Mbacké Fall, le décret portant création de la DDS. L’article 5 stipule que ‘’la DDS est placée sous les ordres d’un directeur nommé par décret présidentiel’’, tandis que l’article 7 indique clairement que le directeur adjoint est nommé dans les mêmes conditions’’. Outre le directeur et son adjoint, les chefs de services et leurs adjoints étaient également nommés par l’ex-Chef d’Etat. ‘’Habré voulait tout contrôler, c’est pourquoi, il a même nommé un traducteur’’, a ajouté M. Abakar, faisant état des fiches adressées régulièrement au Chef de l’Etat pour lui rendre compte de la situation dans les centres de DDS. Selon son témoignage, Hissein Habré n’avait confiance en personne. C’est pourquoi, a-t-il dit : ‘’Les agents de la DDS prêtaient serment, de même que les détenus qui avaient la chance d’être libérés. Ils prêtaient serment et prenaient l’engagement de garder le silence sur ce qu’ils ont vu ou vécu à la DDS.’’

‘’Il était paranoïaque’’

Selon ses explications, Habré a mis en place la machine répressive car ‘’il était paranoïaque’’. C’est pour cela que l’accusé se servait du conflit libyen pour opprimer les opposants et les personnes soupçonnées comme telles. Outre le conflit libyen, le président de la Commission nationale d’enquête a pointé également du doigt l’influence des puissances étrangères. A ce propos, il a cité la France, l’Egypte, l’Irak et le Zaïre devenu République Démocratique du Congo. ‘’Les pick-up qui amenaient les détenus ou qui emmenaient les détenus à exécuter passaient devant le siège de l’USAID qui se trouvait non loin de la DDS. Mais comme Habré avait réussi à vaincre Kadhafi, les Américains ne disaient rien. L’Usaid lui accordait même un financement mensuel de 5 millions’’, a fulminé M. Abakar.

Par ailleurs, le témoin a reconnu que Habré n’a jamais fait immixtion dans le fonctionnement de la Justice. A cet effet, il a cité le cas de deux neveux de l’ex-Président qui avait été heurtés mortellement par un véhicule. ‘’J’avais requis la relaxe pour faute exclusive des victimes et le tribunal m’a suivi et je n’ai pas été sanctionné’’, se rappelle l’ancien magistrat dont le témoignage se poursuit aujourd’hui.

Le film de l’horreur diffusé

Outre les chiffres et les révélations, le président de la ‘’Commission nationale d’enquête sur les crimes et détournements reprochés à Habré’’ a appuyé son témoignage par des images prises en 1990. Hier, à la fin de sa déposition, un film a été diffusé avant le démarrage du contre-interrogatoire du parquet général et des avocats. Le film d’une durée de 50 minutes a plongé la salle d’audience dans l’ambiance d’une salle de cinéma où était diffusé un film d’horreur. Certaines images étaient insoutenables et suscitaient le dégoût chez les âmes sensibles. Le film ‘’d’horreur’’ montre des corps sans vie en état de putréfaction, pieds ligotés, infectés et assaillis de mouches. Le film retrace également les trois séances d’exhumation faites en 1991 par la Commission d’enquête. Sur les images, l’on voit des détenus déterrer des ossements humains dans des charniers. Des impacts de balle sont même visibles sur certains crânes de victimes enterrées avec leurs habits. Des personnes ou plutôt des loques humaines, libérées au lendemain de la chute de Habré, ont témoigné à travers le film.

Les images de ces rescapés sont saisissantes, à cause de leur apparence. Ces anciens détenus de la DDS ont le visage rachitique avec des joues et yeux enfoncés. Leur maigreur fait qu’il ressemble plus à des enfants qu’à des adultes. Traînant les stigmates de leur détention, marqués par les tortures et les privations de nourriture, les témoins du film peinent à marcher. Certains sont même supportés par leurs camarades. Le film montre également des cellules exiguës, crasseuses avec de petites fenêtres. Au moment où la salle regardait ces images d’un air indigné, c’était la plus grande indifférence chez Hissein Habré. Dès que l’un des écrans fut installé devant lui, l’ex-président tchadien, bien enturbanné, a détourné son regard. 

FATOU SY

 

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