Publié le 30 Jan 2018 - 18:40
PROCES KHALIFA - EXCEPTIONS DE RECEVABILITE

Trois heures de temps et basta !

 

La bataille de procédures devrait en être à ses derniers instants, dans le procès de la caisse d’avance de la Ville de Dakar. Le tribunal a décidé, hier, d’un laps de temps imparti à chacune des parties pour écourter les exposés sur les exceptions de recevabilité.

 

Pour faire court, épargner que le procès ne s’enlise dans une interminable bataille de répliques procédurières, le  juge Malick Lamotte a imposé un contre-la-montre. Trois heures de temps pour chaque partie, afin de faire des observations, ‘‘pour la dernière fois’’, et de passer éventuellement à la phase suivante du jugement. ‘‘Le tribunal a suffisamment d’informations sur ce que chaque partie entend soutenir. Toutes les informations utiles sont entre les mains du tribunal. Nous avons convenu de répliques sur certains points. Nous allons être ferme sur le temps de parole. Nous permettons que chacune dispose de 3 heures de temps pour compléter ce qui ne l’était pas’’, a-t-il lancé à l’endroit du coordonnateur du pool d’avocats de la défense, Me François Sarr. Brouhaha dans la salle. Le pool de conseils de la défense râle, l’agent judiciaire de l’Etat, trop à son avantage, trouve la décision clémente. ‘‘Ça me parait de trop’’, lance Me Yérim Thiam. Le parquet, quant à lui, semble faire contre mauvaise fortune bon cœur.

Devant une défense qui rouspète davantage contre cette décision, Malick Lamotte de leur donner des gages de partialité d’un ton ferme. ‘‘Il s’agira de faire confiance au tribunal. On ne va pas s’éterniser encore une fois avec des répliques à n’en plus finir. Le tribunal sera ferme là-dessus. Trois heures, ça suffit largement, me semble-t-il’’, déclare le président.

Qu’à cela ne tienne ! La défense demande une pause de 5 à 10 minutes pour se concerter sur les modalités de partage du temps de parole entre ses membres. 

‘‘Ndoumbelaan’’

Pour rappeler à l’opinion que Khalifa Ababacar Sall ne doit pas aimanter tout l’intérêt dans ce dossier, l’avocat de Mbaye Touré, l’un des prévenus, a décentralisé l’attention sur le maire de Dakar, mais le fond de sa plaidoirie n’a pas varié de celui de ses confrères de la défense. L’article 5 du règlement de l’Uemoa lui a servi également de grain pour moudre les arguments de Serigne Bassirou Guèye. ‘‘Le procès-verbal concernant M. Touré est nul jusqu’à l’extinction du soleil, ainsi que toute la procédure subséquente. Excusez-moi de dire ça, mais les avocats de la défense sont le poil à gratter, les casse-couilles de la procédure.

Ce fameux article 5, qui embarrasse tout le monde, est peut-être à notre avantage. Tout le monde sait que dans les enquêtes judiciaires, qu’on le veuille ou  pas, ces pratiques sont de rigueur. On doit mener la révolution avec cet article. Quand une personne dit qu’elle est torturée, personne ne la croit et, bien sûr, les enquêteurs n’avoueront jamais avoir torturé. Le procureur sait qu’il doit respecter le règlement Uemoa, mais il cherche à le contourner’’, s’est désolé Me Papa Leyti Ndiaye. Pour lui, l’évidence est établie que les atteintes graves et répétées aux droits de la défense imposent d’elles-mêmes l’arrêt de toute la procédure intentée contre son client. La robe noire, convoquant la fameuse ‘‘hérésie’’ de Galilée (la terre est ronde), estime que les vérités qui paraissent évidentes à notre époque sont le fruit de combat et qu’initialement leurs ‘‘créateurs’’ ont dû braver des pouvoirs préétablis pour pouvoir exister. Ainsi, devrait-il en aller pour le règlement 5 de l’Uemoa.

Très inspiré par un langage imagé, il a utilisé la métaphore de la loi du plus fort pour déplorer les méthodes du parquet. ‘‘Ce n’est pas ‘‘Ndoumbelaan’’ (Ndlr : la jungle) où la hyène a un couteau dans le dos et dit à la girafe ‘‘kaay wouyou sa yaay’’ (ta mère t’appelle). Le procureur n’a pas le droit de faire des ‘’gall-gall’’ (coups irréguliers). Le Pv sur lequel Mbaye Touré est entendu est nul. La procédure a un esprit, elle doit être loyale’’, a-t-il déclaré.

La défense contre-attaque

Cette disposition de l’Uemoa a été décidément une bonne bouée pour la défense, puisqu’à l’entame de ce ‘‘contre-la-montre’’, c’est Me Mbaye Sène qui a d’abord étalé les failles de la procédure, en soulignant que ce point a été zappé par l’agent judiciaire de l’Etat (Aje) intraitable contre la défense, dans son argumentation.  ‘‘Dans tout l’exposé de l’Aje, (Antoine Diome) que je connais comme quelqu’un de franc a gardé le silence sur cette question, car son honnêteté intellectuelle ne lui permettait pas d’en débattre’’, a déclaré Mbaye Sène. Pour l’avocat, les atteintes à ce règlement rétrogradent l’Etat du Sénégal. ‘‘Il est entré en rébellion.

C’est ainsi que nous avons été humiliés devant des brigades de gendarmerie ou nous avons été éconduits comme des malpropres. C’est triste, même un Etat bandit ne se serait pas comporté de cette façon’’, a-t-il dénoncé en invitant le tribunal à conformer le parquet aux règles de droit. ‘‘Il est interdit de distinguer là où la loi ne distingue pas. Cette loi est impersonnelle, elle doit s’adresser à tout, mais doit bénéficier à tout le monde. Il est urgent d’extirper cette malheureuse décision de la Chambre d’accusation.  Il y va de l’honneur du Sénégal de ne pas confirmer cette décision de jurisprudence  mal à propos d’ailleurs’’, s’offusque-t-il.

Quant à l’avis à conseil (non transmis à certains avocats de la défense), la robe noire a aussi déconstruit les arguments du procureur. Serigne Bassirou Guèye a préalablement soutenu que Me Doudou Ndoye, du pool de la défense, ne pouvait se prévaloir de cette ‘‘irrégularité’’ pour demander l’annulation de l’ordonnance de renvoi, car il s’est constitué bien après le déclenchement de l’action judiciaire, en septembre 2017.  ‘‘En mars, avril, mai, juin, juillet, août, personne ne l’a vu. Il a attendu septembre pour nous dire qu’il n’a pas reçu l’avis. Il faut arrêter’’, a déclaré Serigne Bassirou Guèye.

Mais Me Mbaye Sène, qui dit s’être pourtant constitué juste après l’inculpation de Khalifa Sall, déclare que l’avis ne lui a pas été transmis pour autant. Il estime même que toute la procédure subséquente doit être frappée de nullité. ‘‘Je n’ai jamais reçu l’avis, bien que je sois constitué le 9 mars, déchargé le 10 mars. Cette violation a continué. Ça seulement justifie l’annulation de l’ordonnance de renvoi. Quid de tous les avis pris entre le 3 avril et le 8 décembre qui sont nuls ? La clôture est intervenue en décembre’’.

Quant à Me Demba Ciré Bathily, il a reprécisé ses paroles et sa pensée qu’il estime avoir été déformées dans le contre-argumentaire du procureur. ‘‘Nous avons dit, en tout cas pour ce que j’en sais, que nous mettions en cause la compétence de l’Inspection générale d’Etat à contrôler les comptes des collectivités locales, mais jamais d’annuler le rapport qu’il a produit’’, a-t-il déclaré en trouvant inadmissible que le réquisitoire du procureur se soit basé sur un rapport qu’il lui est pourtant interdit de détenir sous réserve ‘‘d’atteinte à la sûreté de l’Etat’’. L’avocat a également déploré que la levée de ‘‘l’immunité à l’Assemblée faite par le procureur soit en marge de celui du juge d’instruction et que ce rapport soit versé dans le dossier’’.

Quoi qu’il en soit, Me Papa Leyti Ndiaye a demandé que la loi soit impersonnellement appliquée dans cette affaire, puisque les précédents nous enseignent qu’un retournement de situation est toujours possible. ‘‘La boule de l’histoire tourne. Les gens qui sont ici peuvent se retrouver dans une autre situation, demain. Ceux qui sont cités à comparaître ici doivent être jugés équitablement, sans distinction de la personne’’.

Serigne Bassirou Guèye : ‘‘Maa waxoon, waxaat’’

Le procureur de la République a manifestement envie que la phase d’exception se termine et qu’on entre dans le vif du sujet. Serigne Bassirou Guèye veut en  découdre. Il réitère ses propos et demande à Malick Lamotte de se déclarer compétent pour cette affaire. ‘‘J’avais dit qu’ils ont fait. Je le redis, ‘‘maa waxonne, waxaat’’. Un seul procureur contre 52 avocats. Ce que je dis est clair, c’est le règne de la loi qui m’intéresse. Je requiers dire que vous êtes compétent, dire qu’on ira au fond. Le sentiment du Sénégalais est qu’on aille au fond. Je vous donne l’occasion, c’est moi qui  vous ai dit qu’il (Khalifa Sall) a pris et le jour où l’on entrera au fond, ‘‘dinako waxaat’’, je le répéterai’’, assure-t-il.

Avant la défense, le procureur de la République a ouvert la séance de l’après-midi d’hier, s’ingéniant à déconstruire les arguments développés par celle-ci depuis la semaine dernière. Serigne Bassirou Guèye a cru déceler, en la multiplicité des recours de la défense, une manœuvre dilatoire pour retarder le passage aux débats de fond. ‘‘Tant que l’inculpé ne veut qu’on le juge, on ne le jugera pas. Pourquoi devrait-on s’arrêter à chaque fois que ses avocats interjettent appel ? Comment et quand on va réparer l’infraction alors ?’’, s’est-il enflammé.

La levée de l’immunité parlementaire de Khalifa Sall, la non transmission de l’avis à conseil aux avocats de la défense, la liberté provisoire... ont été les points, entre plusieurs autres, antérieurement développés par la défense, qu’il a tenté de réduire à leur plus simple expression. ‘‘En réalité, il y a plusieurs exceptions, mais le plus important, pour eux, était de s’en prendre à l’ordonnance de renvoi (...) Ils disent que Me Doudou Ndoye n’a pas reçu l’avis à conseil. On est à avril, on n’a pas vu Doudou Ndoye mai, juin, juillet, août. Le  5 septembre, il vient se constituer et il dit qu’il fallait me prévoir. Il faut arrêter’’, s’est offusqué le maître des poursuites.

Serigne Bassirou Guèye de s’étonner que la défense s’émeuve de la non-transmission du réquisitoire définitif. ‘‘Ils disent que ce réquisitoire n’ayant pas été communiqué aux avocats, l’ordonnance est nulle. Sur le fondement de quoi doit-on le communiquer ? Le réquisitoire est adressé au juge (...) Votre notion d’équité est-elle à géométrie variable ?’’, a-t-il lancé en direction du pool d’avocats de la défense. Il a même rappelé à la défense que la consignation, envisagée par la défense de Khalifa Sall juste avant le début du procès, ne lui a toujours pas été notifié. ‘‘Jusqu’au moment où je parle, on ne m’a pas notifié de consignation. Une demande de consignation ou un rêve de consignation, ce n’est pas une consignation’’, déclare-t-il avec beaucoup d’ironie.

OUSMANE LAYE DIOP

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