Publié le 7 Mar 2016 - 23:04
PROFESSEUR DAOUDA NDIAYE (AUTEUR DU TEST ILLUMIGENE MALARIA)

« Pourquoi je ne suis pas resté aux Etats-Unis… »

 

Après avoir découvert un test de diagnostic rapide du paludisme ‘’Illumigene Malaria’’, Daouda Ndiaye s’est confié à EnQuête. Agrégé en parasitologie depuis 2010 et Professeur titulaire des Universités depuis 2014, il revient dans cet entretien sur sa collaboration avec les Américains, explique les tenants et aboutissants de sa découverte. Et donne son point de vue sur la fuite des cerveaux.

 

Vous venez de faire une  découverture relative au paludisme. Qu’est-ce que Illumigene Malaria peut apporter de nouveau par rapport aux méthodes déjà existantes ?

‘’Illumigene’’ vient renforcer ce qui existait auparavant concernant le diagnostic. Parce que nous avons eu à faire recours à des techniques tels que la microscopie, avec la goutte épaisse et le frottis mince, qui est une technique parasitologique mais également les tests de diagnostic rapide (TDR). Ces outils ont été utilisés pour poser le diagnostic du paludisme au niveau des structures sanitaires. Ils ont beaucoup aidé et ont contribué énormément dans le contrôle du paludisme que ce soit au Sénégal, en Afrique, ou ailleurs. D’abord par rapport à la prise en charge des patients, parce que pendant longtemps, le diagnostic reposait uniquement sur la notion de fièvre.

Mais depuis quelques années, il est clair que l’essentiel du diagnostic repose sur une des deux techniques que je viens d’énumérer. Ces deux techniques ont permis d’améliorer la prise en charge et de lutter de façon drastique non seulement contre la mortalité liée au paludisme surtout chez les enfants, mais également la prévalence du paludisme dans nos pays. Mais avec ce travail énorme et révolutionnaire déroulé grâce à ces deux techniques, le paludisme a beaucoup reculé dans le pays en termes de prévalence. Comme il devient plus rare, il devient important de se doter des techniques beaucoup plus puissantes, capables de pouvoir détecter des parasitémies très faibles. Parce que malheureusement, ces tests que sont la microscopie et les TDR  ne parviennent pas à détecter des parasitémies très, très faibles qu’on appelle des ‘’parasitémies sous-microscopiques’’. Quelle que soit l’expertise du travail microscopique, généralement il est très difficile de détecter un parasite par microscopie. Concernant les TDR, leur limite de détection avoisine 200 à 500 parasites par microlitre. Donc ce sont des outils extrêmement puissants pour le contrôle.

Donc on peut dire qu’Illumigene Malaria vient à son heure ?

Dans un pays comme le Sénégal qui tend vers l’élimination des parasitémies chez les porteurs aussi bien chez les symptomatiques que chez les asymptomatiques, il est important de chercher des outils qui permettent de pouvoir détecter ces parasitémies. Les techniques qui permettent de détecter ces parasitémies existent parce qu’elles reposent sur la biologie moléculaire. Laquelle est disponible dans les institutions de recherche comme la nôtre ici à Le Dantec. Mais malheureusement, il y a peu de laboratoires qui ont cette capacité sur le plan équipement, infrastructure, expertise. Ce qui fait que ces techniques moléculaires qui peuvent détecter ces parasitémies très faibles ne sont pas disponibles partout.

Il est important, dans le cadre de l’approche pré-élimination, de pouvoir détecter toutes parasitémies, quel que soit le niveau parasitaire. Ce test que nous avons mis au point, son utilité, est de détecter des parasitémies pour accompagner les stratégies de lutte au niveau local, notamment avec le programme palu qui a valu au Sénégal d’être cité partout dans le monde. L’objectif maintenant est de voir comment ces outils qui sont extrêmement puissants pourront être déployés, transférés au niveau périphérique où l’essentiel de la prise en charge est faite, pour qu’à temps réel, on puisse détecter ces parasitémies à tout moment et accompagner les stratégies qui sont en train d’être déroulées. Illumigene Malaria vient compléter l’arsenal mis en place pour l’éradication du paludisme.

Donc les TDR ont atteint leurs limites dans les zones de pré-élimination ?

Effectivement ! L’objectif en termes de pré-élimination, c’est d’éliminer le parasite. Quand on est en phase de pré-élimination, la prévalence parasitaire devient très faible. En ce moment, la goutte épaisse a quelques limites de sensibilité pour les détecter, de même que les TDR. Il est évident que si on veut aller vers l’élimination, il faut impérativement qu’on ait recours à d’autres techniques plus efficaces, plus robustes qui puissent détecter ces parasitémies très faibles. En zone de pré-élimination, ces tests de microscopie et de TDR ont des limites. Il faudra qu’on les accompagne avec des tests beaucoup plus puissants qui permettront de dire demain que  dans telle partie du pays, le paludisme n’existe plus. Pour y arriver, il faut certifier cette situation par ces tests.

Quelle est la durée de détection de ce nouveau test ?

Ça également, c’est une innovation par rapport à ce test. Parce que les tests moléculaires que nous connaissons très bien nécessitent au moins trois ou quatre jours. Depuis l’extraction de l’ADN jusqu’à l’amplification et la lecture, donc ça prend trois à 4 jours. Mais cet outil-là permet en si peu de temps, en moins d’une heure, d’avoir le résultat. C’est un grand pas par rapport à ces tests moléculaires. On n’a jamais pensé que ces tests allaient pouvoir donner cette possibilité en termes de réduction du temps de lecture et de résultats. En une cinquantaine de minutes, ce test permet d’avoir un résultat clé et confirmatif à 100%. Si on veut qu’un outil soit mis en place à l’échelle surtout dans une partie du pays où il n’y a pas d’infrastructures clés, ni de grands laboratoires et des expertises, où on veut tout de suite avoir une information sur un cas pour faire des investigations, il faut utiliser ce test.

Parce que si on attend d’arriver à Dakar pour avoir les résultats, ça prendra des semaines parfois même des mois et si la transmission est maintenue ça poserait un problème d’investigation. Cet outil permet d’avoir le résultat dans l’immédiat et de faire ce qu’il y a à faire, en vue d’interrompre la transmission. Ce test est moléculaire, rapide et n’a pas besoin d’expertise. C’est une petite machine qu’on peut mettre dans un sac. Le diagnostic peut se faire dans un laboratoire, le plus reculé du pays et même dans une salle. On n’a pas besoin d’une grande architecture ou d’une grande machinerie pour faire le travail.

Ce test est déjà disponible en Europe. A quand son arrivée au Sénégal ?

C’est toujours difficile. Parce que quand un pays sous développé sollicite l’aide de ses partenaires, le système de financement suit des normes. Il faudra que ça soit discuté à un haut niveau. Parce qu’il faudra toujours voir les avantages et les inconvénients par rapport à la stratégie. Est-ce qu’il faudra se focaliser sur l’élimination en laissant en rade le contrôle ? Ce sont des questions sur lesquelles les gens vont se pencher afin de voir l’attitude à prendre. L’outil est là, on connaît l’importance, mais comme il faudra chercher les moyens, les gens vont discuter sur les priorités. Ces questions seront discutées avec les partenaires dans les mois à venir afin de voir les voies et moyens les plus appropriés pour qu’on puisse accéder à ces tests, surtout en zone de pré-élimination.

Est-ce qu’il sera accessible à toutes les bourses ?

C’est comme les médicaments. Il a un coût. Donc Illumigene Malaria ne sera pas un test gratuit. Mais  le Sénégal doit tout faire pour convaincre ses partenaires de l’aider à disposer de cet outil. Donc tout dépendra de ce qui sera mis sur la table en termes de possibilités financières. Si le Sénégal veut consolider ses acquis et aller vers l’élimination, il devra batailler ferme pour convaincre ses partenaires de l’accompagner dans ce nouveau processus.

Pendant combien de temps avez-vous travaillé sur cette recherche ?

L’essai clinique a duré deux ans. Mais un site ou un laboratoire qui doit abriter un essai clinique doit remplir un certain nombre de critères. Il faut d’abord avoir les infrastructures, les équipements et former des jeunes. Pendant longtemps, nous nous sommes focalisés sur la formation des jeunes scientifiques qui ont les compétences requises aujourd’hui pour pouvoir faire des études pareilles. Parce que tout devait se faire au niveau du site depuis la sélection des patients jusqu’à la lecture des échantillons. Pour cela, il fallait travailler sur de longues années. Notre objectif est de doter le pays voire l’humanité d’un test révolutionnaire. Cela a duré des d’années. Parce qu’il faut comprendre aussi le parasite pour faire cette étude.

Pourquoi cette collaboration avec des laboratoires étrangers ?                            

Primo on apprend toujours surtout chez les Américains. Quoi qu’on puisse dire, ce sont des références au plan mondial en termes de recherche à tous les niveaux. Nous avons été formés là-bas. Nous avons bénéficié d’une formation aux Etats-Unis. Donc comme la collaboration a existé, les idées existent, naissent à partir de là. C’est un fil conducteur qui a mené à cette collaboration. Ce n’est pas que nous avons voulu impérativement collaborer avec eux. Ce sont des institutions américaines qui ont continué à nous appuyer, à financer la recherche chez nous parce qu’elle coûte cher. Ce n’est pas réservé aux pays africains, ça nécessite beaucoup de moyens, ils ont accepté de nous accompagner. Quand quelqu’un accepte de nous accompagner, on accepte.

 Il paraît que les Américains vous ont demandé de rester et de travailler avec eux, mais vous avez décliné l’offre. Qu’en est-il exactement ?

Tous les chercheurs étrangers qui ont été formés dans les grandes écoles du monde ont effectivement reçu des offres. Mais il ne faut pas oublier que nous autres Sénégalais, Africains, nous ne partons pas aux Etats-Unis pour être formés et rester là-bas. Ce n’est pas l’objectif de cette formation. L’objectif, c’est de revenir et régler le problème de l’Afrique. Parce que si nous ne le faisons pas, nous passons à côté de notre mission.  Qui va régler le problème des Africains à notre place ? Le problème des Sénégalais que nous sommes, ne pourra être réglé que par des Sénégalais. Donc si je préfère rester, c’est parce que je n’ai pas compris ma mission, pourquoi j’étais parti pour être formé. Effectivement, c’est l’institution qui vous retient, mais il y a beaucoup d’autres collaborateurs qui veulent vous retenir parce que vous avez le profil qu’ils cherchent. L’objectif n’est pas personnel, mais national et même continental. C’est vrai que je ne suis pas resté ; et je n’ai pas regretté parce que nous aidons à résoudre beaucoup de problèmes qui nous interpellent directement.

Que pensez-vous de la fuite de cerveaux ?

Je comprends ceux qui partent car si tu es formé dans de grandes écoles ou universités comme celle de Dakar qui est une référence, et qu’en fin de compte tu trouves du mal à t’insérer dans le tissu professionnel, c’est normal que tu veuilles aller voir ailleurs. Mais je pense que cette attitude n’est pas la bonne. Si tout le monde part, on n’aura jamais un développement. Donc il faudra faire des sacrifices. Je pense que ce qu’ils sont en train de faire ailleurs, s’ils étaient patients, ils pourraient le faire au Sénégal. Cette fuite de cerveaux est une réalité, les gens doivent revoir beaucoup de choses, l’État aussi ; mais également, toute personne doit savoir que l’Etat ne doit pas tout faire. Il y a des initiatives qui doivent venir également des techniciens que nous sommes. Nous nous sommes battus et les Américains ont cru en nous, c’est ce qui explique cette collaboration.

 PAR VIVIANE DIATTA

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