Publié le 4 Sep 2015 - 20:57
PROFESSEUR KHADIM MBACKE

‘’L’Etat doit faire des efforts avec les compagnies aériennes pour réduire le prix du package’’

 

Islamologue et ancien chercheur à l’Ifan, Khadim Mbacké, a soutenu une thèse sur le hadj, intitulée : ‘’Pèlerinage aux Lieux Saints de l’Islam, la participation sénégalaise de 1886 à 1986’’. Dans cet entretien, il jette un regard de chercheur  sur l’organisation du hadj et ses failles.

 

Vous êtes l’auteur d’une thèse sur le pèlerinage à la Mecque. Pouvez-vous nous parler des grandes lignes de cet ouvrage ?

La thèse a été soutenue, il y a déjà un quart de siècle. Elle a été publiée en 2005. Elle traite de la participation sénégalaise au pèlerinage, de 1866 à 1986. Elle comporte deux parties, une sur l'institution du pèlerinage, sa signification, sa finalité ses modalités d'accomplissement, ses conditions, son espace, etc. L'autre sur l'attitude des Sénégalais à son égard, pendant la période sus indiquée. L’ouvrage est une réponse à deux auteurs français qui pensent que le hadj est une survivance du paganisme arabe et que les Sénégalais n’accordent pas d’intérêt à ce 5e pilier de l’islam, en raison de leur attachement aux confréries religieuses. J’ai aussi passé en revue, dans ce document, les problèmes rencontrés durant le pèlerinage à la Mecque, secteur par secteur.

C’est-à-dire ?

Qu’il s’agisse du transport aérien, de l’accomplissement même du Hadj. Car des pèlerins font le hadj sans passer par Arafat, alors que c’est une étape obligatoire. Ils agissent par pure ignorance.  Il arrive aussi que des pèlerins inaptes parviennent, par complaisance, à se rendre à la Mecque. Ils constituent un lourd fardeau pour la mission. C’est le sens de la visite médicale exigée avant le hadj,  dans la mesure où, la plupart de ces pèlerins tombent malades une fois sur les lieux saints.

Depuis l'ère du premier commissaire général jusqu'à nos jours, des manquements ont toujours été dénoncés. Qu'est ce qui l'explique à votre avis?

 Il est vrai qu'il y a toujours eu des difficultés dans les différents aspects de l'organisation du pèlerinage sénégalais. Cela est dû à la nature du voyage et à l'inadéquation des moyens par rapport aux attentes des pèlerins. Mais, il est tout aussi vrai que des améliorations ont été apportées à l'organisation du  voyage, au cours des dernières décennies. L’Etat du Sénégal a fait beaucoup d’efforts.

Qu’est ce que vous entendez par amélioration ?

 L’hébergement s’est beaucoup amélioré, de même que la restauration. Seulement du temps de l’ancien chef d’état Me Abdoulaye Wade, le nombre de missionnaires a été augmenté. Je m’interroge sur la pertinence de cette décision, car le hadj ne doit pas servir de prétexte pour caser une clientèle politique. Si on prend l’exemple du Nigéria, c’est un nombre restreint de missionnaires qui a été recruté.

Le Sénégal convoie 10500 pèlerins dont 2000 par la commission nationale, le nombre insuffisant de missionnaires pour encadrer tous les pèlerins est source de problèmes.

Je ne suis pas de cet avis. Je pense qu’on n’a pas besoin d’autant de missionnaires. Si les pèlerins disposent de toutes les informations nécessaires, avant de se rendre aux Lieux saints de l’Islam, ils n’auront pas besoin d’un grand nombre de missionnaires. Il suffit juste de bien les outiller et de les préparer, avant leur départ. Ce qu’il y a lieu de faire, en revanche, c’est de renforcer la mission médicale et de recruter des personnes motivées, bien intentionnées et prêtes à servir leur pays.

Les pèlerins se plaignent toujours d’un déficit d’encadrement de ces missionnaires…

Mais, il y a lieu de leur rappeler que le rôle de ces missionnaires est de les encadrer, les orienter et non de porter leurs bagages, comme le pensent certains. Ces gens n’ont été payés pour tout faire, les accompagner au marché ou durant tous leurs déplacements. Leur mission est bien précise.

Concrètement, qu'est ce qu'il faut pour offrir aux pèlerins sénégalais un hadj de qualité?

 En fait, il faut poursuivre les améliorations concernant le transport aérien, en choisissant une compagnie arienne qui possède les moyens nécessaires pour assurer le transport des  pèlerins dans des conditions optimales. On a constaté que, dans le passé, chaque fois qu'une telle compagnie à été trouvée, on a enregistré moins de plaintes de la part des pèlerins par rapport aux retards à l'arrivée ou au départ de Dakar et par rapport aux bagages, ainsi que le service, etc.

L'Etat du Sénégal avait pris la décision de confier la gestion du hadj aux privés cette année, avant de faire marche arrière. Il a préféré réduire son quota au profit des voyagistes privés différant son projet de privatisation. Quelle est votre appréciation?

 L'association de privés à l'organisation du pèlerinage date de la fin des années 1950 avec des résultats parfois catastrophiques, parce que les organisateurs n'avaient pas  les moyens financiers nécessaires pour assurer une organisation correcte du voyage.

Pensez que la privatisation soit alors une bonne option?

Oui, à condition que les privés agréés donnent des garanties suffisantes quant à leurs capacités financières et leur crédibilité. Il faut dire que rien n'est plus normal que de permettre à des voyagistes sûrs de faire partir autant de pèlerins qu'ils peuvent prendre en charge. Le quota revient au pays, donc, aux nationaux agréés. L'essentiel est de s'assurer que les pèlerins ne seront pas livrés à eux-mêmes, en cas de difficultés et qu'on ne demande pas à l'Etat de régler des problèmes qui auraient pu être évités.

 Pour corriger des manquements, l'Etat sénégalais s’est aussi décidé à placer un militaire à la tête du commissariat général. Des voix s'élèvent contre le choix du Général Dia. Il ne semble pas être en odeur de sainteté avec certains voyagistes privés qui lui dressent un portrait au vitriol. Où se situe le problème à votre avis?

 Il ne suffit pas de confier le commissariat à un général pour que les problèmes disparaissent. Une partie de ceux-ci ont leurs racines dans l'éducation même de nos compatriotes. Des rapports vieux de plus 60 ans les qualifient d'indisciplinés et de trop exigeants qui veulent tout et tout de suite. On comprend, dès lors, pourquoi ils ne s'accommodent pas d'un militaire, surtout si ce dernier confond les pèlerins avec ses soldats!

Des acteurs plaident aussi pour la mise en place d'une Maison du hadj qui réunirait toutes les entités, en vue d'apporter des améliorations dans l'organisation du hadj,  cautionnez-vous ce projet?

Je pense que c'est en voie de réalisation, dans la mesure où, le commissariat au pèlerinage dispose désormais d'un siège qui fonctionne 12 mois sur 12 et que l'ensemble des services intervenant dans  la préparation du pèlerinage sont regroupés chaque année pour faciliter les préparatifs.

 Votre avis sur le prix du package, de plus en plus élevé et jugé cher, comparé aux prix appliqués dans la sous-région?

 Oui, le pèlerinage coûte de plus en plus très cher. Des efforts doivent être déployés par l'Etat en rapport avec les compagnies aériennes choisies afin de réduire le prix du billet. Mais d'autres efforts doivent aussi être faits au niveau de l'OCI, pour amener le pays d'accueil à convaincre les logeurs à revoir leurs prix, à la lumière des enseignements de l'islam qui font obligation aux populations locales d'assurer un bon accueil aux pèlerins et affirment qu'aux Lieux Saints, nationaux et étrangers sont égaux en droit.

Le hadj s'effectue cette année dans un contexte particulier, avec la guerre avec le Yémen. Faut-il s'attendre à des changements?

Des mesures de sécurité exceptionnelles pourraient être  prises. Il faut que les futurs pèlerins s’y attendent et veillent à ne rien mettre, dans leurs bagages, qui puisse être suspect. Il faut encore qu'ils acceptent de coopérer avec les forces de l'ordre, pour leur faciliter la tâche. Enfin, il faut savoir que le pèlerinage est une obligation conditionnelle. Il n'est exigé que pour ceux et celles qui en ont vraiment les moyens financiers et la capacité physique. Les futurs pèlerins doivent bien apprendre les rites du pèlerinage, pour éviter de se déplacer en vain.

Matel BOCOUM

 

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