Publié le 26 May 2015 - 00:18
PROFIL - TOUBA SENE (COLLECTIONNEUR D’ŒUVRES D’ART)

Le David Geffen sénégalais

 

Il est propriétaire d’une riche et composite collection d’œuvres d’art. Des œuvres qu’il a achetées un peu partout à travers l’Afrique et qu’il garde jalousement. Pourtant, elles seraient mieux dans un musée. Son détenteur en est conscient mais ne saurait quand même céder son ‘’patrimoine’’ facilement. EnQuête retrace l’itinéraire de ce collectionneur assez atypique.

 

Touba Sène, il s’appelle. La mode ‘’Baye Lakhat’’ est son style de tous les jours agrémenté d’un chapelet roulé en forme de bracelet autour de la main droite. L’homme ressemble ainsi à un religieux et rien chez lui, a priori, ne laisse croire qu’il est un grand collectionneur d’œuvres d’art. Deux statuts qui semblent ne pas faire bon ménage. Car l’on dit que l’islam est contre les représentations sculpturales. Et Touba Sène compte bien des statuettes dans son arsenal. ‘’Cela n’altère en rien ma foi en Dieu. Vous savez quand l’on dit que l’islam est contre ces représentations, l’on fait allusion à ceux qui voient à travers ces œuvres d’art des Dieux ou des Déesses et qui croient aux pouvoirs qu’auraient ces objets’’, observe-t-il. Et il jure la main sur le cœur que certains croient au pouvoir mystique des masques, des totems, des fétiches qu’il (ndlr lui Touba Sène) détient.

 ‘’Vous savez il m’est arrivé à plusieurs reprises de vouloir acheter un masque ou un totem et que son vendeur me dise qu’il n’ose pas y toucher de peur qu’il lui jette un mauvais sort. Je lui disais ok si on tombe d’accord sur le prix, je le prendrai moi-même. Car je ne crois pas en ces histoires’’, affirme-t-il. Dans la même veine, il raconte que certaines acquisitions n’ont pas été faciles. Il lui fallait voyager la nuit et rentrer la nuit parce que l’objet ne devait être vu par personne. ‘’Il y a des communautés qui n’aiment pas que leur culture soit divulguée. Donc, en prenant des vestiges de cette culture il fallait se cacher. Je risquais ma vie en achetant ces objets puisque si on me découvrait avec je pouvais mourir’’, prétend-t-il. Et des risques de ce genre, Touba Sène en a beaucoup pris. ‘’Une fois au Ghana je suis allé acheter un objet. Le village où je devais le récupérer était à 7 km de la résidence où j’étais descendu. Il fallait traverser une forêt pour accéder au village et il me fallait attendre le soir pour y aller. Je devais m’y rendre à pied aussi. Je suis parti un peu après 17h. La transaction s‘est faite au crépuscule. En rentrant, il pleuvait. On était que deux sur la route et il fallait des éclairs dans le ciel pour voir où poser notre pied’’, raconte-t-il. Il soutient que c’est Dieu qui l’a aidé ce jour à s’en sortir puisque dans cette forêt vivent des animaux aussi terrifiant que le lion. Cependant ces conditions d’achat lui ont valu des fois d’acheter de la pacotille. ‘’Quand on achète un objet dans le noir on ne peut pas toujours être sûr de son originalité. C’est après coup qu’on se rend compte qu’on a été dupé. Cela m’est arrivé à maintes reprises’’, indique-t-il.

Les risques pris en valaient peut-être la peine. Selon le journaliste et chef du desk culture du journal ‘’Le Quotidien’’ Gilles Arsène Tchédji qui a visité la ‘’caverne’’ de Touba Sène, le collectionneur posséderait des masques d’origine de communautés africaines qui n’en ont plus et en chercheraient même.

Natif de Saint-Louis, ce fervent mouride et ‘’musulman pratiquant’’ a plus de 10 mille œuvres contemporaines et anciennes dans ses galeries qui sont au nombre de 3 et qu’il a baptisé ‘’Senegalerie’’ ainsi que dans un container de stockage situé sur la Corniche ouest. Depuis cinquante ans, il est dans le milieu des artistes. Il a débuté par le commerce des colliers, des masques en ébène et des sacs en peau de serpent. ‘’Du temps où le marché Kermel ouvrait à 4h du matin pour fermer à midi j’avais un étal tout près du marché. J’achetais des objets que je revendais aux touristes’’, se souvient-il. Loin de se conformer aux règles du marché, il ne rentrait jamais à midi et était le seul vendeur qui travaillait le dimanche. Et c’est au cours d’une matinée dominicale que la chance lui sourit. Un Afro-américain lui a acheté ce jour là tout son stock. Son gain lui permet de se tourner vers un autre commerce. ‘’J’achetais des robes que j’allais vendre à Ngor’’, fait-il savoir. Ce sera pour un court moment puisqu’il décide de tenter l’aventure. Il dépose alors ses baluchons au Mali. Ainsi, commence une recherche effrénée de tableaux, de masques et d’objets rares et surtout anciens pour Touba Sène.  ‘’Après le Mali je suis allé en Côte d’Ivoire, au Bénin, au Togo, au Nigéria, au Cameroun, en Ghana et au Congo. J’y achetais des objets que j’allais revendre en Europe et aux USA’’, confie-t-il.

Après divers périples à travers le monde, il décide de s’établir à Lomé tout en continuant à tourner de temps à autre. Cette aventure a duré trente ans avant qu’il ne décide de rentrer au Sénégal avec son ‘’patrimoine’’. Ces nombreux voyages  ont permis à cet amateur qui est dans le monde des arts depuis maintenant 50 ans  de pouvoir détenir une véritable vitrine artistique. Dans sa ‘’caverne d’Ali Baba’’, on trouve des œuvres du défunt Kré Mbaye, de feu Mbaye Diop, de Cissé Dia, de Mbida, de Lamtoro, de Chérif Thiam, de Loba, D’Ady baldé, de Khassim Mbaye, de Bomar, de Sadio, du Congolais Stanley, de l’Ivoirien Yunussa, du Nigérian Nuby, ou encore du Camerounais Ibrahima.

Toutes ces œuvres de haute facture, Touba Sène souhaite les montrer aux amoureux des arts. Dans cette perspective, il expose à la galerie nationale depuis le 6 mai dernier et ce jusqu’au 26 juin prochain des créations de Kré Mbaye, Mbaye Diop, Mbida Fall et Ansoumana Diedhiou. ‘’Touba Sène dévoile sa collection’’, est le nom de l’exhibition qui serait ‘’la plus belle expo’’ reçue par la galerie sous le magistère d’Oumar Ben Khatape Danfakha actuel administrateur de cet espace.

Par ailleurs, la meilleure manière de promouvoir ce merveilleux recueil de Touba Sène serait de le mettre dans un musée. Sauf que le Sénégal n’en dispose pas encore. Un, est en chantier. Touba Sène qui serait ‘’esclave de son patrimoine’’ qu’il vénère particulièrement  serait-il capable de le céder à l’Etat afin qu’on l’expose au musée des civilisations noires ? ‘’J’ai toujours refusé de vendre ces œuvres parce que je veux qu’elles restent au Sénégal. Je veux bien travailler avec l’Etat mais je ne pourrais pas céder tout ce patrimoine gratuitement’’, reconnaît-il. Il faudra donc que les pouvoirs publics mettent le prix pour avoir cette collection dont la véritable place serait dans un musée non pas seulement pour sa valeur artistique mais aussi et surtout pour sa conservation.

BIGUE BOB

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