Publié le 1 Jun 2015 - 08:20
PROJECTION DE FILM

‘’Hyènes’’, une satire comique-amère

 

La fondation Konrad Adenauer a abrité, avant-hier, une projection gratuite d’un monument du cinéma sénégalais : le film ‘’Hyènes’’ de Djibril Diop Mambéty.

 

‘’Hyènes’’ est un long-métrage du réalisateur sénégalais Djibril Diop Mambéty. Sorti en 1992, le film raconte le retour mouvementé au pays de Linguère Ramatou, incarnée par l’actrice Ami Diakhaté : revenue immensément riche après des années d’exil, la protagoniste est une femme consommée par la soif de vengeance à l’encontre de celui qui l’a jadis trahie, l’épicier Dramaan Drameh (Mansour Diouf).

Bannie alors qu’elle était enceinte, il y a des décennies de cela, forcée à s’adonner à la prostitution du fait de son statut de ‘’femme marquée’’, Linguère Ramatou va ainsi dès son retour faire une proposition aux allures de pacte avec le diable à sa communauté d’origine. En effet, elle demande qu’on lui livre le cadavre de son ancien amant en contrepartie de la somme de 100 milliards de CFA nécessaire à la résurrection de la petite ville.

Sur le point de devenir maire et d’être couvert de tous les honneurs au moment de l’arrivée en ville de son ancienne dulcinée, Dramaan Drameh déchante très vite malgré son titre de ‘’l’homme le plus populaire de Colobane’’ et sa relativement confortable vie de commerçant car, si les riverains refusent de prime abord de le livrer, ils vont le soumettre à une pression sociale intense, le poussant ultimement à accueillir la mort à bras ouvert.

Magnifiquement tournée, majestueusement coupé, le long métrage nous replonge comme à travers la lorgnette teintée de nostalgie d’une longue-vue dans le Sénégal des vastes étendues intemporelles. La palette des couleurs, les costumes, accessoires et décors sont méticuleusement choisi pour leurrer la capacité du spectateur à se situer dans le temps, le tout donnant l’impression que les scènes auraient pu être tournées hier comme il y a vingt ans de cela.

Appuyé, de plus sur un fort symbolisme, le film est une satire à peine voilée de la société dans ce qu’elle a de plus tabou : sa relation avec l’honneur. De femme marquée, bannie, huée, Linguère Ramatou est très vite porté aux nues dès qu’il est généralement compris qu’elle possède les moyens de sortir les habitants de la misère. De la même manière, Dramman Drameh, à qui tout le monde témoigne régulièrement son amitié, est poussé au désespoir : volé, bousculé et tourné en ridicule.

Mais là où le comique tourne au tragique, c’est quand on apprend que c’est Linguère Ramatou elle-même qui a plongé la localité dans la misère en achetant secrètement les usines des environs pour les faire fermer… Dans la même logique paralléliste, on voit Dramman Drameh utiliser ses derniers moments de liberté pour venir s’asseoir près d’elle, allumer en ami sa longue pipe et lui demander après l’enfant décédé qui, il y a de cela d’innombrables années, a été la source de leur discorde. Telle une tragédie grecque, on ne peut néanmoins dans les deux cas qu’observer les destins qui se croisent et s’entrechoquent jusqu’à la démise finale de l’ancien amant. Car, comme l’annonce funestement Linguère Ramatou à l’intention de l’instituteur et du docteur de la ville : ‘’pour partager le festin du lion, il faut être lion soi-même’’. Un film magistral !

Sophiane Bengeloun

 

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