Publié le 22 Jul 2017 - 17:42
PROPOS CHOQUANTS SUR D’ANCIENS COLLABORATEURS

Wade, la dérive verbale

 

À la foire des gros mots en politique, Abdoulaye remporterait certainement la palme. Ainsi, après avoir traité Macky Sall d’anthropophage et de descendant d’esclave, le Pape du Sopi continue de le trainer dans la boue. Mais le patron de l’APR n’est pas la seule victime des écarts de langage du Vieux. Pape Diop et Idrissa Seck en ont également fait les frais. Des analystes ont essayé de déceler les raisons d’une telle attitude.

 

Encore Abdoulaye Wade qui cogne Macky Sall. Mercredi dernier, à Dagana, l’ancien président de la République a accusé son successeur au pouvoir d’avoir volé 7 milliards d’argent public. ‘’Il dit que c’est moi qui lui ai offert les 7 milliards qu’il a aux USA. Abdoulaye Wade n’a pas 7 milliards. Si j’avais cette somme, je la donnerai à mes parents, militants ou à d’autres responsables’’, affirme le Pape du Sopi. Celui-ci a même ajouté que c’est Macky qui devait passer en premier devant la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) et que de toute façon, il sera jugé devant cette juridiction d’exception avant qu’elle ne soit supprimée de l’arsenal juridique sénégalais.

Il y a là bien une curiosité, car il y a juste quelques jours, en déplacement à Touba, Me Wade avait prié ‘’le Bon Dieu pour ne plus avoir à prononcer le nom de Macky Sall’’. Le Vieux ne s’en est pas limité à ces mots, il avait fait également des allusions accusatrices à l’encontre de son ancien Premier ministre. ‘’Certains chefs d’Etat croient au fétiches comme Firhawna’’, disait-il. C’est donc la deuxième fois qu’il attaque Macky Sall depuis son retour de Paris le lundi 10 juillet dernier.

En s’en prenant ainsi de façon récurrente à son successeur, Abdoulaye Wade donne l’impression d’avoir une haine inextinguible à l’encontre de Macky Sall. C’est en effet la énième fois que l’ancien Président s’attaque à son tombeur de la présidentielle de 2012. Depuis son départ du pouvoir, Me Wade ne rate presque aucune occasion pour montrer le peu d’amour qui lui reste vis-à-vis de celui-là qu’il a formé et dont il a accompagné les pas jusqu’à l’avant-dernière marche du sommet de l’Etat. L’une des sorties les plus mémorables date du mois de février 2015. Le Vieux avait alors traité le chef de l’Etat de tous les noms d’oiseaux, tout en salissant sa famille du meilleur qu’il a pu. ‘’Macky Sall est un descendant d’esclaves. Les villageois l’ont sorti de là-bas. Il n’était pas sorcier, mais ses parents étaient anthropophages. Ses parents mangeaient des bébés. Ils ont été chassés du village. C’est progressivement qu’ils ont commencé à fréquenter les êtres humains’’, déclare Abdoulaye Wade sans sourciller.

À en croire le patron du PDS, les ascendants de l’actuel locataire du Palais ne sont pas que des mangeurs d’hommes, ils sont aussi au bas de l’échelle sociale. ‘’Macky Sall est descendant d’esclave. Vous pouvez accepter qu’il soit au dessus de vous, mais moi, jamais je n’accepterai’’, dixit Abdoulaye Wade. Des propos qualifiés à l’époque de regrettables, jusque dans son camp. Qu’importe, le Pape du Sopi, lui, n’a jamais exprimé de regrets publiquement. Au contraire, il continue de plus belle. Quant à sa cible, Macky Sall, il s’est toujours gardé de répondre aux attaques. Seuls ses partisans apportent la réplique. ‘’On est en Afrique, les vieux sont considérés comme des sages, ils sont traités aussi avec un certain respect’’, précise un interlocuteur qui essaie d’expliquer le silence du chef de l’Etat à ce sujet.

Cependant, à y voir de près, cela pourrait être plus lié à la personnalité de Wade qu’à une réelle haine à l’encontre de son ex-Premier ministre. Macky Sall est sans doute un cas particulier. D’après les analystes,  cela est dû au fait que non seulement il l’a délogé du Palais, mais surtout, il a emprisonné son fils, Karim Wade. Sinon, les autres sont aussi passés chez le coiffeur Wade. En fait, c’est Abdoulaye lui-même qui a l’habitude d’attaquer ses anciens proches collaborateurs. Aujourd’hui, Pape Diop est dans la Coalition gagnante Wattu Senegaal dirigée par le ‘’messie’’. Pourtant, aux premières heures de la défaite en 2012, c’était lui la cible préférée du Président déchu. À la veille des Législatives de la même année, l’ex-numéro deux (de fait) du Parti démocratique sénégalais (PDS) avait pris ses distances en créant la Coalition Bokk gis-gis. Une attitude peu appréciée par son patron.

En avril 2012, Me Wade fait une première sortie pour exprimer l’opinion qu’il a de l’ancien président de l’Assemblée nationale. ‘’S’agissant du cas de Pape Diop, la vérité c’est qu’il est venu ici me demander de lui donner le parti. Mais je lui ai dit d’aller voir ailleurs, parce qu’il est un loser. Et je ne remets pas le Pds à quelqu’un qui ne peut pas gagner sa localité’’, raille-t-il. Un peu plus d’un mois après, lors d’une conférence de presse, Me Wade charge Pape Diop à nouveau. Cette fois-ci sur son identité. Il  accuse même l’ancien maire de Dakar de s’être fait passé pour un de ses frères. ‘’Je ne savais que Pape Diop a fait la prison. Il s’appelle Moustapha Diop.

Il aurait changé de nom pour accéder à des fonctions électives’’, révélait-il. Plus que des révélations, Wade avait promis qu’il allait saisir le procureur de la République pour l’ouverture d’une enquête. Et comme si cela ne suffisait pas, une semaine plus tard, en Comité directeur du PDS, le Vieux a essayé de livrer son ex-poulain à la vindicte populaire.  Cette fois-ci, il choisi de tirer sur une corde sensible. ‘’Des gens sont venus me dire que Pape Diop a fait tuer un albinos qu’ils ont fait venir du Mali’’, dixit Abdoulaye Wade. La sortie a fait mouche. Car, le concerné est obligé de s’expliquer. Dans sa réponse, il dénonce une tentative de liquidation. ‘’Ceux qui m’ont accusé d’avoir commis cet acte l’ont fait pour me nuire. Je suis musulman et je peux jurer sur le Saint Coran que je ne peux même pas sacrifier un mouton à plus forte raison un être humain’’, se défend-t-il.

Avant Pape Diop et Macky Sall, Idrissa Seck a été la première victime. Il a été qualifié de serpent par Abdoulaye Wade au moment de leur première brouille. Malgré les nombreuses retrouvailles suivies de séparation, le père putatif ne s’est pas gardé d’utiliser de gros mots pour parler du fils  d’emprunt. En 2011, devant d’ex-militants de Rewmi ayant rallié le PDS, Me Wade ne s’est pas gêné de comparer Idy à Ibliss (Satan). Mais contrairement à Macky Sall qui garde le silence et à Pape Diop qui se limite à se justifier, l’ancien maire de Thiès, lui, porte toujours une réplique à la dimension de l’affront. L’on se rappelle sa fameuse phrase : ‘’ancien spermatozoïde et futur cadavre’’.

La question se pose alors de savoir pourquoi le Vieux s’attaque toujours à ses potentiels héritiers devenus adversaires. ‘’Wade a une très forte personnalité. Il a une haute opinion de lui-même qui ne s’accommode pas de contestation. Il ne supporte pas qu’on lui tienne tête’’, fait remarquer Marcel Mendy, auteur du livre ‘’Wade, la longue marche du Sopi’’. De Idy à Macky en passant par Pape Diop, les causes de rupture ne sont pas les mêmes, comme le fait remarquer M. Mendy qui pense que chacune est un cas d’espèce. Et pourtant, la séparation a été difficile avec chacun des trois. D’après notre interlocuteur, l’explication n’est pas difficile à trouver. ‘’Tout part de lui et revient à lui. Tant que vous êtes dans cette mouvance, vous pouvez cohabiter avec lui. Dès que vous vous y écartez, c’est la confrontation’’, ajoute le journaliste et analyste politique.

Un dépit affectif

Un autre interlocuteur confirme : ‘’Il part d’un postulat selon lequel c’est lui qui fait ses hommes. Quand ils coupent le cordon ombilical, il ne le digère pas’’. Un point de vue conforté par un autre analyste politique. Le journaliste Mamadou Omar Ndiaye affirme que la rupture est à la mesure de la proximité et de l’affection qu’il entretenait avec ses collaborateurs, surtout qu’ils étaient à un moment pressentis comme des dauphins politiques. ‘’A chaque fois qu’il y a eu séparation avec les hommes du premier cercle, il a eu des mots malheureux. Mais je pense qu’il faut mettre cela sous le registre du dépit affectif, de l’amour filial, parce qu’il s’agit de gens qui lui sont très proches’’, renchérit-il.

En politique, les séparations difficiles sont monnaie courantes. Les accusations et contre accusations également vont avec. Mais il y a souvent une certaine courtoisie républicaine. Pourquoi Abdoulaye Wade lui utilise certains gros mots comme c’est souvent le cas. Si l’on en croit nos interlocuteurs, il ne s’agit guère de la manifestation d’une quelconque méchanceté chez l’opposant historique. ‘’Fondamentalement, Wade est un homme bon. Mais comme tout être humain, il commet des erreurs parfois. Ce sont des dérives verbales qu’il faut regretter’’, tempère  Marcel Mendy. Ces erreurs, Mamadou Oumar  Ndiaye les met sous le poids de l’âge.

Selon l’analyste politique, Abdoulaye Wade n’aurait jamais tenu de tels propos dans un autre contexte. ‘’Wade que j’ai connu contrôlait ses paroles. Mais il est devenu vieux, n’oubliez pas qu’il a plus de 90 ans. Il use et abuse de ce privilège de l’âge. Un autre politique d’âge mûr n’oserait jamais tenir certains propos sans récolter une volée de bois vert’’, souligne le journaliste. Le Directeur de Publication du Journal Le Témoin  estime aussi  que ces propos de Wade sont à analyser sous l’angle d’un grand-père entouré de ses petits-fils. Sous ce rapport, tous les écarts de langage lui sont pardonnés. Ce qui lui permet de transgresser la normalité et la bienséance politique. À titre illustratif, il invite à regarder chez l’autre nonagénaire comme lui, Robert Mugabe qui se rend lui aussi fréquemment coupable de transgression de codes.  

BABACAR WILLANE

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