Publié le 2 Nov 2018 - 20:50
PROPRIETE REELLE & LEGISLATION SECTEUR EXTRACTIF

Macky et les chantiers de la transparence

 

Le président de la République, Macky Sall, a annoncé une batterie de mesures destinées à rendre transparentes les opérations dans le secteur des industries extractives.

 

Au vu des découvertes prometteuses dans le bassin sédimentaire sénégalais, la législation se réajuste au contexte pour profiter au maximum des retombées de ressources minérales. En décembre prochain, le projet de loi sur le nouveau Code pétrolier, en gestation depuis 2016, devrait passer à l’Assemblée nationale. C’est du moins ce qu’a annoncé le président Macky Sall, avant-hier, à la Conférence africaine sur la propriété réelle des entreprises minières pétrolières et gazières à Dakar. Deux autres projets de loi devront être examinés par la même occasion : celui portant partage des revenus de l’exploitation future des hydrocarbures et celui qui va définir le contenu local dans le cadre de l’exploitation du pétrole et du gaz au Sénégal. Le président a même promis de rendre publique ‘‘la clause de confidentialité que prévoyaient les codes dans le passé’’.

Le code de 1998 était obsolète, au regard des gisements de pétrole et de gaz découverts récemment. Elaboré dans un contexte de chute du prix du baril, 20 dollars, les investisseurs n’avaient pas voulu prendre le risque d’explorer le bassin sédimentaire sénégalais pour converger vers des zones au potentiel prouvé comme le Golfe de Guinée. Le Sénégal a dû concéder beaucoup de largesses dans ce code, pour rendre la destination attractive. Le thème de cette conférence, ‘‘Révéler les bénéficiaires effectifs en Afrique, mobiliser le potentiel du secteur extractif’’, a servi de prétexte au chef de l’Etat pour affirmer sa volonté d’opter pour la transparence. ‘‘Le Sénégal a adhéré, en juillet dernier, au partenariat à un gouvernement ouvert pour plus de transparence dans l’action publique, une implication plus soutenue des citoyens au processus décisionnel. Toutes ces initiatives confirment l’engagement du Sénégal à asseoir une gestion transparente de ressources naturelles’’, a-t-il avancé.

Concrètement, c’est le Registre du commerce et du crédit mobilier (Rccm) qui sera le cadre institutionnel devant recueillir les données sur l’identification des bénéficiaires effectifs des entreprises pétrolières, gazières et minières. ‘‘Un projet de décret portant modification du décret relatif au registre du commerce et du crédit mobilier est en cours d’élaboration pour encadrer la divulgation de la propriété réelle. Je demande au Premier ministre de me le présenter avant la fin du mois de novembre pour signature’’, a déclaré Macky Sall.

Au Sénégal, le Comité national de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives (Cn-Itie) va se charger de cette tâche d’établir les modalités de la propriété réelle, en collaboration avec le ministère de la Justice. C’est en cinq étapes que la structure dirigée par Mankeur Ndiaye compte s’y prendre. Après avoir déjà présenté sa feuille de route, il y a deux ans, le Cn-Itie devra s’assurer, d’ici 2020, que ‘‘toutes les entreprises pétrolières, gazières et minières qui opèrent ou investissent dans les projets extractifs le divulguent’’. Les deux paramètres suivants ont trait à l’identité des propriétaires et surtout le signalement d’une possible interférence politique. Les hommes politiquement exposés seront ainsi invités à éclairer toute affiliation avec les milieux d’affaires. La disponibilité de l’information dans les registres publics est le dernier point de l’exigence 2.5 de la norme Itie. ‘‘C’est ainsi que le Registre du commerce et du crédit mobilier (Rccm), sous la tutelle du ministère de la Justice, va abriter les informations sur les bénéficiaires effectifs dans le secteur extractif’’, a annoncé Mankeur Ndiaye en conférence de presse, juste avant la tenue de la réunion. 

En plus de cette législation nationale, Macky Sall estime qu’il faut, au plan supranational, une convergence des mesures pour ne pas faire le jeu des grandes compagnies. D’après lui, les pays africains ont fait les frais d’un catastrophisme à tel point qu’ils n’avaient pas d’autre choix que de négocier au rabais avec les rares investisseurs qui avaient le courage de venir.  ‘‘On nous a demandé d’être attractifs pour les investissements, que la mariée soit belle, de faire des ‘holiday tax’. On a dit qu’il y a la corruption, les guerres, les maladies et ceux qui viennent sont tellement courageux qu’il faut tout leur offrir. C’est ça la vérité. On essaie de se rattraper de ce type de législation dont on a hérité. C’est pour cela qu’on demande aux compagnies d’être compréhensives avec les Etats, lorsqu’ils sont un peu exigeants, sur les taxes notamment’’, a expliqué Macky Sall.

Aussi, a-t-il prôné que les codes soient harmonisés au sein de l’Union africaine. ‘‘Nos pays se sont fait la concurrence de manière anarchique. Les compagnies doivent certes gagner des ressources, car sans elles nous n’avons pas les capacités techniques et financières pour aller à 2 000 m de profondeur dans les océans, à 200 km des côtes.  Les Etats doivent travailleur avec elles, mais dans un partenariat gagnant-gagnant’’, a défendu le chef de l’Etat sénégalais.  

Identification bénéficiaires réels

Le secteur extractif est une énorme niche de corruption et d’évasion fiscale dont le Sénégal tient à se préserver. Les pouvoirs publics veulent s’attaquer à l’opacité dans le montage des entreprises soumissionnaires. La structuration complexe des entreprises spécialisées facilite une permissivité de rapports douteux entre dirigeants, travailleurs, malversations financières. Les pays de l’Itie sont donc dans une phase expérimentale et l’exigence devrait être produite à partir de 2020. Après une étude de cadrage financée par le Royaume-Uni, le Sénégal est prêt à passer à l’échelle, en 2020, la deuxième étape dans l’établissement de la propriété réelle. Pour Macky Sall, ‘‘identifier les bénéficiaires effectifs est un enjeu de taille, notamment dans la mobilisation des ressources publiques. La transparence des bénéficiaires effectifs permet de lutter contre l’évasion fiscale contre la corruption, les conflits d’intérêts et les flux financiers illicites. Elle permet surtout d’améliorer le climat des affaires’’.

D’après le chef de l’Etat, après le premier rapport de l’Itie, il y a eu des gens qui ont dû trouver des arrangements pour disparaitre des listes. ‘‘Donc, c’est important de faire connaitre les vrais actionnaires qui sont derrière les structures’’. Le précédent ‘‘Panama Papers’’ a échaudé les 51 pays de l’Itie pour vite mettre en place ce nouveau mécanisme de contrôle. Son directeur, l’ancien Premier ministre suédois Frederik Reinfeldt, se félicite des efforts consentis pour que ‘‘la divulgation de la propriété réelle soit une attente et non une aspiration’’.

Quant à la Sierra Leone, qui a subi les affres d’une guerre civile alimentée par ses propres ressources naturelles, elle veut tourner la page. Son président Julius Maada Bio, qui se réjouit de voir son pays nouvellement coopté dans l’Itie, affiche un engagement sans faille pour respecter le délai de 2020. ‘‘Nous voulons une information publique élargie sur les bénéficiaires effectifs. Nous croyons que les flux financiers illicites nous font perdre des centaines de milliards qui auraient pu servir à la construction de routes, d’écoles et d’hôpitaux. En assainissant ce secteur, les investisseurs auront le courage de venir’’, a-t-il déclaré. Une délégation de l’Itie se rendra dans ce pays, la semaine prochaine.

Célestin Monga (Bad) : ‘‘On ne peut pas sous-traiter le développement à la société civile’’

Les ressources naturelles représentent 26 % du Pib global africain, selon la Banque africaine de développement (Bad). La bataille pour l’assainissement est importante, dans la mesure où d’autres chiffres (le rapport 2015 du groupe de haut niveau sur les flux financiers illicites en provenance d’Afrique) sont alarmants. ‘‘Le continent perd à lui tout seul entre 50 et 65 milliards de dollars annuels, à cause de ces flux financiers illicites. C’est combien de fois le montant de la dette publique ?’’, s’est interrogé le président Macky Sall. Une transparence qui demande la jonction de toutes les forces vives.

Mardi, en prélude à cette conférence internationale, la représentante résidente de la Banque mondiale, Louise Cord, avait défendu l’implication d’une société civile forte, capable de prendre part aux mécanismes de contrôle. Tout le contraire de l’économiste camerounais Célestin Monga, Vice-Président de la Bad. Ce dernier est d’avis que l’optimisation peut être atteinte, si les bonnes formules sont trouvées avec tous les acteurs, mais estime que le rôle des Etats est primordial. ‘‘Tout le monde doit jouer son rôle, aussi bien le secteur privé, la société civile que l’Etat. Mais on ne peut pas court-circuiter l’Etat ; on ne peut pas sous-traiter le développement à la société civile’’.

HYDROCARBURES ET ‘‘INEXPERTISE’’

Quand le pouvoir s’agace de la libre parole

Ça a commencé la veille, mardi dernier, quand Aïssatou Sophie Gladima, Ministre des Mines, s’est attaquée à la société civile coupable, selon elle, de désinformation sur les ressources minières et minérales. A sa suite, c’est ‘‘son’’ président qui s’est également offusqué de la libre parole inexperte sur un sujet aussi sérieux que les hydrocarbures, ce mercredi. ‘‘Il faut un débat sérieux, objectif. Lorsqu’on peut se permettre, dans un pays aussi démocratique que le Sénégal, où la presse, l’expression est libre, d’écrire un ouvrage ou de publier dans les réseaux sociaux que le gouvernement a fait perdre à son pays 100 milliards de dollars dans une opération, alors que nous sommes en phase d’exploration. Il est clair que, dans l’exploration et le développement, il n’y a pas de taxes. C’est le Code pétrolier qui le dit. Pendant des mois, le pays est tenu en haleine sur de faux problèmes’’, s’est presque emporté Macky Sall.

Le président assure que ce n’est pas la liberté d’expression qui est en cause, mais les dérapages verbaux doivent être contenus, selon lui. ‘‘Il est bon que le débat soit ouvert, mais que ce soit un débat outillé où les gens qui parlent savent de quoi ils parlent. Le pétrole, le gaz, les mines sont trop sérieux pour qu’on se permette d’occuper les médias tous les jours sur des considérations complètement fallacieuses (…) Oui pour un débat objectif, transparent. Mais, de grâce, que ceux qui ne savent pas aillent d’abord s’informer’’.

Personne n’a nommément été cité par le chef de l’Etat, mais cette saillie a tout de même fait réagir, immédiatement, l’unique membre de l’opposition qui a produit un livre sur la question et qui s’est senti assez morveux pour se moucher. ‘‘Oui Monsieur le Président, il s’agit d'une question très sérieuse, mais votre gestion ne l’a pas été. Vous avez délibérément compromis les intérêts du Sénégal et c’est inacceptable. Si vous vous estimez diffamé, portez plainte ; si vous avez des arguments à faire valoir, acceptez un débat direct et contradictoire ; si vous n’osez rien de cela, faites profil bas comme tout transgresseur pris la main dans le sac’’, a répliqué Ousmane Sonko, auteur de ‘‘Pétrole et gaz au Sénégal : chronique d’une spoliation’’, sur sa page Facebook.

Des mises en garde du pouvoir qui ont commencé en septembre 2016, en pleine révélations de Sonko sur la cession d’un titre d’exploration à Petrotim.  Le chef du gouvernement avait menacé ‘‘certaines personnes qui ont tendance à parler sans maitriser ce qu’elles disent, qui tentent de divertir le gouvernement qui travaille’’ de poursuites. ‘‘Désormais, quiconque diffusera de fausses nouvelles, s’exposera à la rigueur de la loi pénale. Nul n’a le monopole de l’engagement patriotique et de l’éthique !’’, avait prévenu Mahammed Dionne.

OUSMANE LAYE DIOP

 

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