Publié le 7 Apr 2017 - 07:11
PSYCHIATRIE

Le parent pauvre de la Santé

 

Personnel insuffisant, médicaments en rupture, famille inconsciente, la psychiatrie se considère comme le grand oublié du système de santé.

 

‘’Il n’y a que 32 psychiatres au Sénégal qui sont inégalement répartis. Quatre sont à la retraite  deux sont dans l’administration, et le gros lot se trouve à Dakar. Il n’y a que 4 sur les 32 qui sont en dehors de Dakar, un à Ziguinchor, un à Tambacounda et deux à Thiès‘’. Ces mots du chef de service de psychiatrie de l’Hôpital Fann suffisent à eux seuls pour étaler toutes les carences dans cette spécialité.

Selon le Professeur Mamadou Habib Thiam par ailleurs Directeur de l’Institut de recherche et d’enseignement psychopathologie de l’Université Cheikh Anta Diop, le nombre est très insuffisant, car même ceux qui sont à Dakar sont des psychiatres universitaires. C’est-à-dire des enseignants. ‘’Le ratio est de 1 psychiatre pour 400 000 habitants ; c’est catastrophique. C’est largement en deçà des normes de l’Organisation mondiale de la santé qui  établissent au moins 1 psychiatre pour 10 000 habitants’’, se désole-t-il.

Pendant ce temps, sur les 45 psychiatres en formation, de la première à la quatrième  année, il n’y a que  22 Sénégalais.

C’est peut-être cette rareté de la ressource humaine qui explique le fait que la psychiatrie ne soit pas trop fréquentée des Sénégalais. Et pourtant, le service regroupe presque tous les spécialistes pour la prise en charge des patients. Aujourd’hui, elle est considérée comme le parent pauvre de la santé.

Outre le déficit de personnel, il y a la stigmatisation de la maladie mentale en Afrique. Quand un individu tombe malade, au lieu de l’amener en psychiatrie afin qu’on le prenne en charge, ses parents ont l’habitude de le cacher, parce que ça donne une mauvaise image de la famille. C’est la famille parfois qui est stigmatisée. Ce qui fait qu’il y a un énorme retard dans la consultation. C’est pourquoi, poursuit-il,  ‘’quand les patients viennent en consultation, la maladie est déjà très en avance’’.

‘’La rupture de médicaments nous est très préjudiciable’’.

A cela s’ajoute le déficit des infrastructures. ‘’Imaginez que les infrastructures qui accueillent les malades mentaux au Sénégal, c’est l’Hôpital de Fann qui date de 1957 avec 60 lits,  le Pavillon France de l’Hôpital Principal, le Grand hôpital psychiatrique de Thiaroye qui a une capacité de 120 lits. Dans la région de Thiès, il y a le centre sentimental des frères Saint Jean de Dieu qui a une capacité d’une centaine de lits. Il y a également le centre de santé Dalal Xel. Et le centre psychiatrique Emile Badiane de Ziguinchor’’, détaille-t-il.

Pour aider toutes ces structures dans la prise en charge,  6 médecins du service y sont envoyés par alternance. Ils passent 6 mois à l’intérieur du pays, reviennent et d’autres partent pour combler le gap. Mais malgré tout, le problème demeure. ‘’Il arrive que les sapeurs-pompiers ramassent un malade dans la rue, l’amène à l’Hôpital et ne trouvent personne, pas d’assistance sociale parce qu’il n’y a pas assez de personnel. Ou il n’y a pas de lit’’, se désole-t-il.

 Le manque de médicaments constitue également un facteur bloquant dans le travail des psychiatres. A en croire le Directeur de l’Institut de recherche en psychiatrie, pas mal de médicaments ne sont plus  commercialisés au Sénégal.  ‘’Depuis un bon bout de temps, on n’a plus les médicaments injectables qui sont très bien pour les patients agités. Il y a énormément de médicaments que les pays limitrophes ont dans leur circuit pharmaceutique et que nous n’avons plus. C’est un préjudice pour nos patients, pour nous également’’ regrette-t-il.  

A cette rupture de médicaments,  s’ajoute la cherté du produit pour une maladie chronique qui dure très longtemps. Ce qui fait que les  familles n’ont pas toujours les moyens de suivre le traitement.

 ‘’Si vous voulez un rendez-vous pour votre enfant, ça ne peut être  qu’en 2018’’.

Si pour les adultes il n’existe pas de liste d’attente, c’est tout le contraire pour la pédopsychiatrie.  A ce niveau, la réalité est même très inquiétante. ‘’Si vous voulez un rendez-vous pour votre enfant, ça ne peut être qu’en 2018, parce que les médecins qui sont à Fann sont des universitaires. Il y a trois choses qu’ils font tous les jours, les soins, l’enseignement et la recherche pour augmenter les connaissances et améliorer nos compétences’’, renseigne l’universitaire.  L’enseignant soutient que les spécialistes ont crié haut et fort leur détresse, en vain. Ils ont fini par se convaincre que la santé mentale n’est pas une priorité de l’Etat. ‘’Nous avons constaté que la priorité en matière de santé, c’est les maladies qui tuent. Quand la maladie tue, c’est grave, il faut vite faire pour que personne ne meure, on met des milliards’’. Même si le professeur Mamadou Habib soutient ne pas être contre la primauté accordée à la  mortalité, il pense que ce n’est pas une raison pour oublier la morbidité.

Aujourd’hui, le grand souhait du médecin est qu’on donne aux étudiants des bourses de formation pour la psychiatrie, en plus d’ouvrir des services de cette discipline sanitaire dans les hôpitaux régionaux. Cette politique de proximité éviterait de voir un malade mental ligoté par ses parents d’une région lointaine pour Dakar. Il souhaite également disposer d’un espace dans la presse. ‘’Si nous pouvons avoir des temps d’antenne dans les médias, une politique de sensibilisation de la masse silencieuse en milieu rural et dans les villes sur la possibilité de prise en charge des maladies mentales, ça serait bien’’,  appelle-t-il de toutes ses forces.

La gynécologie un peu satisfaisante

La gynécologie n’échappe pas à la règle. Mais vu le nombre de gynécologues qui est de 200, on serait tenté de dire que c’est satisfaisant. Pas aux yeux des spécialistes qui le trouvent très minime. Mais  il faut souligner que les 70% exercent dans la région de Dakar. ‘’Dans certaines régions, c’est un désert médical. II y a 1 gynécologue pour 70 000 habitants, ce qui est très en deçà  des normes recommandées par l’OMS qui sont de 1 médecin pour 5 000 à 10 000 habitants au minimum’’, renseigne le gynécologue obstétricien Daniel Kouedou.

Selon lui, pour assurer une couverture à 80% des accouchements, l’OMS recommande de disposer de 23 médecins, sages-femmes et infirmiers pour 10 000 habitants. ‘’Au Sénégal, nous sommes très loin de ces recommandations et surtout dans les régions reculées où la mortalité maternelle est des plus élevées’’.

Pour lui, Il faudra doter les régions désertiques de personnel de santé, de spécialistes en gynécologie, pédiatrie, anesthésie, et de sages-femmes ou d’infirmiers formés à la gestion de la grossesse et de l'accouchement pour pouvoir atteindre les objectifs fixés par l’Organisation mondiale de la santé. 

 

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