Publié le 1 Feb 2015 - 21:38
PSYCHOSE AUX FRONTIERES AVEC LA GAMBIE

Silence…on souffre !

 

La prudence est la chose la mieux partagée aux frontières entre le Sénégal et la Gambie. Après avoir échappé à un coup d’état le 30 décembre dernier, le régime de Banjul a mis les bouchées doubles pour se bunkeriser davantage.

 

Ils sont aux aguets ces soldats gambiens ! Fusils en bandoulière, visages renfrognés, leurs yeux scintillent, tels des chats dans la pénombre. Gambie, poste frontalier de Soma, le dernier check-point avant Senoba, première localité du Sénégal. Il est 15h. La voiture s’arrête, deux militaires s’approchent, se courbent, scrutent les passagers des yeux avant de leur intimer l’ordre de descendre. Direction, la malle arrière du véhicule. Là, séance tenante, ils fouillent valises et sacs, parfois ils se servent du bout de leurs fusils pour y voir  plus clair. Ça fait monter l’adrénaline chez les passagers qui n’ont pas l’habitude de voir un tel scénario. Puis, c’est au tour des ID carde, comprenez Cartes d’identité, d’être rassemblées et amenées au poste de police. Quelque temps après, ils reviennent avec, avant de les remettre aux propriétaires. Fin de supplice.

 Le véhicule redémarre. Place aux commentaires les plus fous : ‘’Yayah Jammeh a perdu le nord ; depuis le coup d’Etat manqué, ses agents fouillent tout ce qui bouge’’, souligne Mariama, l’index sur la bouche. ‘’Il a peur, c’est ce qui explique qu’il voit des ennemis partout. A sa place, j’essaierai de voir ce qui ne marche pas pour le rectifier au lieu de continuer de semer la terreur’’, renchérit le vieux Ibrahima, la tête enturbannée. Moment saisi par le chauffeur pour demander aux passagers de faire attention à leurs propos, sourire au coin. Des heures auparavant, les passagers étaient encore pris à partie dans l’enfer d’un ferry qui ressemble plus à un moyen de chantage qu’à autre chose.

Samedi 17 janvier 2015, 09h du matin, le véhicule arrive à la ville gambienne de Farafenni en provenance de Dakar. Les 942 mètres de fleuve à parcourir pour relier le Sénégal et sa partie sud en passant par la Gambie se sont révélés, en termes d’attente, plus longs que les quelques 300 kilomètres qui séparent cette localité de Dakar. Plus de 6h d’attente pour joindre cette rive à la fois si proche et si loin. Sur place, véhicules, camions et bus forment de longues files, tels des anacondas. Pour les camionneurs, le calvaire revêt des formes plus pernicieuses. Djim Diouf, chauffeur de camion, partage ses peines : ‘’Je suis arrivé ici depuis jeudi soir et aujourd’hui, je suis encore dans l’incertitude totale quant à la traversée et pourtant, je ne me rends qu’à Diaroumé, une localité située à moins de cent kilomètres.’’

Trois jours sur place, des litres de carburant consommés pour seulement quelques mètres de parcourus

Les petites misères sont multiples par ici. Moussa Diop, jeune voyageur, raconte avoir passé sur les lieux la dernière fête de Tabaski. ‘’En période de fête, l’affluence est monstre et le fonctionnement des 3 ferrys ne parvient pas à satisfaire la demande. Conséquence : plusieurs passagers ont été contraints de passer la fête de Tabaski sur les lieux où les moutons sont égorgés’’, informent des camionneurs dépités. C’est tout un lot de malheurs. Les camionneurs passent parfois 3 jours sur place, avec des litres de carburant consommés par jour pour seulement quelques mètres de parcourus. Un calvaire matérialisé par ces longues files de véhicules de part et d’autre du fleuve. Des camions et des bus portant avec souffrance des charges que l’on perçoit de partout.

Les camionneurs, principales victimes de cette traversée, souffrent le martyre pour acheminer leurs productions. Juste avant le terminal, la rangée de véhicules est interminable. Les moteurs démarrent, ronronnent, accélèrent et s’éteignent. Mais que faire, Il faut bien les réchauffer ! Djime Diouf et plusieurs chauffeurs de camion confient dépenser au moins 3 mille francs pour satisfaire leurs besoins journaliers. Pour échapper à la souffrance, le transporteur doit verser dans la corruption. ‘’Les forces de l’ordre gambiens ne te laissent passer que lorsque tu leur remets de l’argent. En leur remettant 10 mille francs, ils feront tout pour te faire passer. Parfois, cette corruption atteint le seuil de 15 à 25 mille F CFA’’, confient les damnés de la route.

Faire ‘’étape’’ comme alternative

Pour les passagers trop pressés, ‘’l’étape’’ est le choix qui s’impose. Le procédé consiste à laisser derrière soi le véhicule pour traverser le ferry. Une fois de l’autre côté, on prend le taxi, direction croisement Diaroumé ou Sénoba, et à partir de là, prendre les véhicules pour Bignona et Ziguinchor. ‘’L’étape permet certes d’arriver plus vite à destination et d’éviter en partie les corvées du ferry, mais elle est coûteuse parce qu’on dépense plus d’argent’’, remarque Halimatou en partance pour Ziguinchor. Il faut ajouter à ce décor que depuis le récent putsch avorté, les ferrys arrêtent de fonctionner des deux côtés de la frontière à partir de 19h. Ce qui rend le trafic encore plus douloureux.

Le pont à l’eau

Pour ne rien arranger, le président gambien est revenu sur sa décision de construire le pont sur le fleuve Gambie, entre les bourgades de Yelli Tenda et Bamba Tenda dans la région de Farafenni. Pour qui sait lire entre les lignes, Jammeh avait pourtant donné le signal de sa mauvaise foi en limogeant Ousmane Badjie, ministre gambien des Transports et des Infrastructures, signataire de la convention de construction du pont de farafenni. Badjie a été par la suite arrêté et envoyé en prison une semaine après ladite convention. Il a été accusé d’avoir volé de l’argent au consulat gambien de Paris. De ce dernier lieu, il a pourtant été rappelé pour venir occuper le poste de ministre des Transports et des Infrastructures.

Un ‘’mémorandum d’entente’’ avait été signé entre les deux Etats et les travaux de l’ouvrage qui devaient durer 5 ans avaient été annoncés par les autorités sénégalaises et gambiennes. D’un financement de la Banque africaine de développement estimé à 50 milliards, l’ouvrage allait permettre aux deux pays de renforcer leur coopération. Une redevance à payer par les futurs usagers du pont construit en territoire gambien faisait partie du projet. Le Sénégal, pour sa part, avait apporté une contribution de 100 millions CFA pour la construction de postes de contrôle. Les 45 milliards ont été donnés par la BAD et le reste par l’Etat gambien. Mais c’était sans compter avec les sautes d’humeur et le caractère versatile de l’homme fort de Banjul.

AMADOU NDIAYE

 

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