Publié le 7 Nov 2017 - 13:34
QUÊTE SPIRITUELLE, CURIOSITÉ, SUIVISME, COMMERCE

Touba, une rencontre cosmopolite

 

Entre la quête de spiritualité, la satisfaction d’une curiosité, l’effet d’entraînement et la recherche de profit, les objectifs sont divers. Touba draine du monde et de l’argent, mais ralentit en même temps l’acticité économique dans le pays. La question se pose alors de savoir si l’évènement a un impact global positif ou négatif. La réponse penche plutôt du côté de la première thèse.

 

Depuis près d’une semaine, presque le Sénégal tout entier converge vers Touba, la cité de Bamba, fondateur du Mouridisme. Au-delà du Sénégal, des pèlerins viennent pratiquement du monde entier. Au vu de la dimension de cet évènement, l’on est tenté de se demander ce qui fait courir tant d’hommes, de femmes, d’enfants, d’adolescents, d’adultes et de personnes du troisième âge. Sont-ils venus célébrer le départ en exil de Cheikh Ahmadou Bamba ? Sans doute ! Sont-ils des acteurs économiques venus profiter du nombre de consommateurs que draine la manifestation ? Certainement ! Ou alors des curieux qui veulent savoir à quoi ressemble Touba, particulièrement le Magal ? Difficile de nier une telle thèse.

Dans tous les cas, le caractère économique du Magal reste évident. Durant cette période, l’activité est très dense à Touba et ses environs. Le comité d’organisation estime que le chiffre d’affaires de l’évènement est de 250 milliards, sans préciser comment l’évaluation a été faite. Mais en même temps, une ville industrielle comme Dakar se vide de son monde avec comme conséquence l’arrêt partiel de l’activité. Le débat se pose alors sur l’impact positif ou négatif du Magal sur l’économie sénégalaise.

Dans une note postée le 17 novembre 2016, l’économiste Moubarack Lo dévoile les résultats d’une étude menée en 2011 sur la question. L’étude s’est intéressée aux dépenses faites avant et pendant le Magal. Pour cela, il fallait d’abord savoir combien de ménages s’y retrouvent, le temps des festivités. Selon les enquêteurs du Cabinet Emergence Consulting, les regroupements font que dans chaque concession se retrouvent environ 3,5 ménages. Or, la dépense moyenne de chaque ménage est de 400 000 F CFA. Ce qui fait un montant de 1,4 million F CFA par maison. Reste donc à connaître le nombre de concessions pour donner un chiffre exact ou approximatif sur le montant total engagé par les familles pour la circonstance.

Ces dépenses sont réparties dans plusieurs rubriques. ‘’Les enquêtes menées par Emergence Consulting auprès des ménages de Touba et chez les Dahiras ont montré que 68% des dépenses sont consacrées à la consommation alimentaire. Viennent ensuite les dépenses liées aux ustensiles de cuisine (environ 5%), aux produits énergétiques (gaz, charbon ; 4,2%), aux matériels électroménagers (4,1%), à la rénovation de l’habitat (4,05%), aux télécommunications (3,71%) et aux matériels de décoration (3,17%)’’, détaille Mouraback Lo, ancien chef de cabinet du président de la République. Ces sommes décaissées font que les différents secteurs concernés (agroalimentaire, bâtiments, services…) connaissent un regain d’activités. Rien que dans l’élevage, au foirail principal de Touba, 16 200 têtes de bétail ont été vendues en 2011 durant la période du Magal, sachant que beaucoup de pèlerins viennent avec leurs bêtes à sacrifier et que les résidents élèvent souvent eux-mêmes les animaux ou s’approvisionnent bien avant le Magal.

Cette réalité est la même dans d’autres secteurs. ‘’Le sous-secteur des corps gras alimentaires constitue le sous-secteur le plus dynamique durant la période antérieure au Magal. Etant donné que le « berndeel » (réjouissances) occupe une place prépondérante dans le budget des pèlerins, on enregistre une forte hausse de 45% pour ce sous-secteur. (…) Quant aux activités relatives à la fabrication de sucre, confiserie, produits du cacao, du thé et du café, elles affichent une forte progression d’au moins 20%, deux mois avant le Magal. Au titre des ventes locales de ciment, une nette amélioration des ventes est notée le mois précédant le Magal. En effet, pour les besoins de réparation et de construction de bâtiments, l’activité des BTP enregistre une forte hausse de l’ordre de 20%’’, révèle M. Lô, actuel conseiller spécial du Premier ministre Mahammed Dionne. De même, les services financiers et le transport aérien également y ont leur part du fait des transferts d’argent internes et externes, ainsi que le retour au bercail d’une partie de la diaspora qui prend part à l’évènement.

En somme, cette consommation d’avant-Magal fait que l’économie du pays n’en souffre pas, si l’on en croit l’économiste, même si le jour du Magal et celui d’avant, on note une décélération de l’activité. ‘’Au total, les effets négatifs de l’arrêt partiel de l’activité économique imputables à la manifestation religieuse sont largement compensés par le boom noté dans les trois à deux mois qui précèdent le Magal de Touba et dont bénéficient les entreprises dans plusieurs secteurs d’activités économiques’’, tempère-t-il.

Les résultats de cette étude reflètent bien les comportements. L’évènement est préparé chez les Mourides comme nul autre au Sénégal. À Touba par exemple, la Tabaski qui est la fête la plus respectée au Sénégal occupe le second rang. Le Magal est le principal évènement dans le calendrier mouride. La population n’accorde pas un grand intérêt en matière d’habillement. Les nouveaux habits sont plutôt destinés au grand Magal. A quelques mois, les tailleurs sont pris d’assaut par les femmes. Et puisque le Magal au sens large du terme s’étend sur plusieurs jours (presque une semaine), une ou deux tenue(s) ne suffise(nt) pas toujours. On cherche à avoir le maximum pour étaler sa puissance vestimentaire. Par ailleurs, selon les dires, c’est Serigne Touba qui avait demandé aux Mourides qui ont deux têtes de bétail de garder l’une pour le Magal. Aujourd’hui, certains en font une interprétation sans doute outrancière, puisque d’aucuns affirment que si le Mouride n’en a qu’une seule, il doit la garder pour la célébration de l’exil.

C’est dire la place de cet évènement chez cette communauté. Le rendez-vous est tellement respecté qu’une large communication est faite à ce sujet. Il est difficile voire impossible d’être au Sénégal et de ne pas être informé au quotidien sur la préparation. Il s’y ajoute que les Mourides tiennent coûte que coûte à faire visiter Touba par tous ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de le faire. Certains d’entre eux ne comprennent pas comment un Sénégalais adulte peut rester indifférent à un tel évènement. ‘’Vous n’avez jamais été au Magal ?’’ demande-t-on régulièrement à toute personne qui ose avouer publiquement n’avoir jamais mis les pieds à Touba. Les invitations sont pressantes, parfois insistantes. Quel étranger vivant dans une famille sénégalaise ou étudiant à l’université ne s’est pas vu proposer un déplacement sur les lieux, tous frais payés, soit par ses logeurs, soit par un voisin ? Le Mouride est prêt à payer le transport à qui voudrait se rendre sur les lieux sans en avoir la possibilité financière. Si à la place des 3 000 F habituels pour aller à Touba, le chauffeur demande 10 000, les talibés réputés avoir une foi sans réserve rétorque : ‘’Même si c’est 15 000 F, on va payer. Bamba vaut le sacrifice.’’  

Le guide religieux avait en effet demandé à tous ceux qui le peuvent de l’aider à rendre grâce à Dieu de sa victoire sur Satan incarné par le colon. Ainsi, la version des adeptes voudrait que tous ceux qui effectuent le déplacement soient des invités de Bamba. C’est lui-même qui les a choisis, puisque nul ne saurait mettre les pieds sur cette terre si son nom ne figure pas sur la liste du guide.  ‘’Serigne bi moolà tann’’, entend-on très souvent. Cette théorie fait que personne ne voudrait figurer parmi les exclus de la liste. Si on y ajoute les invitations multiples et les dispositions prises pour accueillir royalement les invités en termes de logements et d’alimentation, l’on comprend aisément pourquoi on se retrouve avec 2 à 3 millions de visiteurs. Une ambiance qui est en même temps une aubaine pour les commerçants.

Ainsi, entre quête de spiritualité, curiosité et recherche de consommateurs, chacun trouve son compte dans l’évènement. Et Bamba, lui, pourra dire merci à son Seigneur d’avoir réuni du monde pour lui manifester sa reconnaissance.   

BABACAR WILLANE

 

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