Publié le 22 Feb 2021 - 06:10
QUAI DE PECHE DE YOFF

Mareyeurs, pêcheurs et vendeurs de glace impactés par la Covid-19

 

Au quai de pêche de Yoff, beaucoup d’activités de pêche ne marchent plus. La difficile exportation des poissons vers l’extérieur et les aléas de la mer mettent mareyeurs, pêcheurs et vendeurs de glace dans une mauvaise passe.

 

Hall du quai de pêche de Yoff. De nombreuses caisses de poissons y trainent, ce matin. Des mareyeurs sillonnent le lieu avec des caisses de poissons de plusieurs jours, parce que ‘’l’exportation vers l’Europe ne marche plus comme avant’’, indique le chef d’exploitation du quai, Ibrahima Lèye.

Trouvé un peu plus tôt à son bureau, juste à l’entrée principale, et interpellé sur le commerce du poisson en cette période, Ibrahima Lèye n’est pas passé par quatre chemins pour répondre à la question. Il s’est aussitôt levé et, avec une certaine hâte, s’est dirigé vers le quai. ‘’Suivez-moi ! Vous allez constater par vous-même ce qui se passe’’, dit-il.

Arrivé sur les lieux, d’un mouvement rapide, il ouvre successivement des caisses dans lesquelles sont rangés du mérou et de la carpe, en particulier. Il faut savoir que ces poissons ont duré dans ces caisses, sans être vendus. Il ajoute : ‘’Auparavant, avant la fermeture des frontières, ces poissons étaient destinés à l’exportation vers la France, l’Italie et l’Espagne.’’

Actuellement, à cause des restrictions concernant les voyages à l’étranger, pour cause de pandémie, les mareyeurs de Yoff ne font plus gains. Ces poissons nobles, indique Ibrahima Lèye, faisaient l’affaire des mareyeurs. Mais la Covid-19 rendant presque impossible   leur exportation a, en même temps, provoqué une baisse de leurs prix. ‘’Le kilogramme, en temps normal, à Yoff, se vendait à 6 000 F CFA. Mais, actuellement, nous sommes à 3 500 F CFA. Cela, ajoute-t-il dans un sourire, est une aubaine pour certains Sénégalais, parce qu’il n’y avait qu’une petite frange qui en achetait.’’

Cette situation a également eu des conséquences sur la production de poissons au niveau de ce quai de Yoff. Selon Ibrahima Lèye, la production annuelle avoisinait les 40 000 tonnes de poissons. Mais actuellement, des mareyeurs qui produisaient une tonne de poissons, n’en font que 200 kg, parce ‘’des gens qui achetaient dix tonnes n’en demandent aujourd’hui que 400 kg. La production a considérablement diminué. Maintenant, nous sommes à 25 %’’, ajoute-t-il, tout en faisant savoir qu’ils exportent aussi des fruits de mer qui ‘’intéressent plus les   Asiatiques. Mais ce n’est pas encore la saison’’.

Parmi ces poissonniers qui occupent le hall ce matin, un se démarque de par sa façon de faire. A la recherche de clients, Mamadou Faye hèle les gens qui débarquent de temps à autre dans le quai. Ce jeune mareyeur, qui semble plus accorder de l’attention à ceux qui entrent plutôt qu’à ses poissons, ne se retrouve plus dans son commerce. ‘’Actuellement, les choses ne marchent pas. Cela fait longtemps que nous avons ces poissons ici. Nous gagnions plus avec les exportations. Mais depuis que les frontières sont fermées, nous ne produisons plus en quantité et le peu que nous avons, on a du mal à l’écouler sur le marché local’’, déclare ce jeune homme habillé en jean, pull-over, le capuchon couvrant la tête.

Sur cet alignement, à droite de l’entrée, d’autres mareyeurs, en pleine discussion, sont installés au fond. Assis devant une caisse dans laquelle on aperçoit un gros poisson, Doudou attend encore un acheteur qui voudrait bien de son mérou. Le manque à gagner à cause de ce problème d’exportation est, selon lui, ‘’inestimable’’.

Les pêcheurs ne sont pas épargnés

Les impacts sur ces fermetures de frontières ne sont pas ressentis que par les poissonniers. Les pêcheurs et même les vendeurs de glace sont aussi impactés.

Ainsi, c’est toute la chaine qui en subit les conséquences. Ces gros poissons ‘’nobles’’, comme on les appelle par ici, sont devenus très rares. On en pêche rarement. Un pêcheur trouvé non loin de la porte arrière du quai qui donne accès à la mer, informe qu’il préfère pêcher des poissons dont le prix est à la portée du pouvoir d’achat des Sénégalais. Aujourd’hui, de nombreuses pirogues sont accostées sur la berge.

Mais au-delà de ce problème d’exportation, ces pêcheurs sont confrontés à la rareté du poisson. Un problème que Mohamed, un jeune pêcheur, impute aux ‘’bateaux étrangers qui viennent pêcher ici. 

‘’Actuellement, il nous arrive de partir en mer, brûler du carburant en parcourant des centaines de kilomètres, sans avoir beaucoup de poissons’’, regrette ce jeune homme au teint noir, se tenant près d’une pirogue jonchée de petits poissons en état de putréfaction qui polluent l’air.

 A ces problèmes, s’ajoutent les caprices de la mer. En cette période de froid, parfois accompagné d’une houle dangereuse, beaucoup de pêcheurs ne veulent plus braver la mer. ‘’Ces trois derniers jours, on s’armait de courage pour aller en mer. On n’a vraiment pas le choix. Si on n’y va pas, on ne mangera pas. Dieu sait que ce qui nous arrive n’est pas facile. Il faisait tellement froid en mer… Vous n’imaginez même pas !’’, ajoute un autre marin occupé à répandre du sel sur des poissons séchés au soleil sous un voile.

Dans ce lieu de pêche, tout est lié. Les impacts de la Covid-19, qu’ils soient directs ou indirects, personne n’est épargné. Le fait que ces nombreuses pirogues ne partent plus en mer n’inquiète pas seulement les pêcheurs. Les fabriques de glace pour la conservation des produits halieutiques et pour les poissonniers voient leur business impacté, avec la rareté du poisson et les conditions climatiques qui clouent les pêcheurs à quai.

 Assis à cet endroit de la plage où les vagues viennent lécher ses pieds, Modou Fall est revendeur de glace. Le regard lointain, il craint que cette quantité énorme de glace qu’il a dans son camion stationné non loin, finisse par dégeler. ‘’Quand les temps sont durs pour les pêcheurs, ça l’est pour nous aussi. Quand la pêche marche bien, nous pouvons avoir 600 000 F CFA par jour. Aujourd’hui, on galère pour avoir ne serait-ce que 200 000 F CFA’’, informe-t-il.

‘’Un jour, je me suis réveillé, j’ai ouvert mon camion à glace et je n’ai trouvé que des caisses vides. Toute la glace avait fondu, parce que j’avais longtemps attendu les pêcheurs qui ne venaient pas, à cause de ce manque de poisson’’, partage-t-il.

Assane tient une usine de glace. Il nous explique que son produit peut passer des jours dans son usine ‘’sans se dégeler’’. Par contre, le prix de l’électricité en souffre.

Ibrahima Minthe (stagiaire)