Publié le 30 Oct 2019 - 19:19
RÉINSTAURATION DU VISA D’ENTRÉE AU SÉNÉGAL

Le veto des acteurs du tourisme

Pape Bérenger Ngom

 

La réinstauration du visa d’entrée au Sénégal, annoncée par le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, est bien loin de faire l’unanimité. Pour plusieurs raisons, les acteurs du tourisme rejettent cette décision.

 

Après l’avoir instauré en 2013, puis supprimé deux ans plus tard en 2015, l’Etat est en passe de réinstaurer le visa d’entrée au Sénégal. La décision a d’ailleurs été rendue publique le 10 octobre dernier par le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye. Cette mesure, qui devrait entrer en vigueur en fin d’année, vise, selon l’autorité étatique, à renforcer la sécurité intérieure du pays, par une inspection beaucoup plus efficace au niveau des frontières.

Ainsi, les raisons du retour de ces visas tournent autour de l’identification des étrangers et de leur traçabilité. ‘’Pour le visa touriste payant, je suis totalement d’accord, car nous qui nous rendons à l’étranger, nous payons avant de partir. On ne peut pas être dans un pays où on ne connait pas les étrangers qui y viennent ou qui y résident. Pour des raisons sécuritaires, il faut qu’on supervise les entrées et les sorties. Seule l’instauration des visas pourrait nous le permettre’’, a-t-il expliqué dans une interview récente accordée à ‘’EnQuête’’.

Cacophonie au sommet de l’Etat

Pourtant, sept jours plus tôt, le ministre du Tourisme et des Transports aériens affirmait, sur la chaîne internationale France24, que le Sénégal a supprimé le visa d’entrée. ‘’C’est l’un des rares pays qui l’ait fait. C’est conforme à la philosophie du Sénégal qui est un pays ouvert, un pays métissé. Aujourd’hui, le Sénégal offre cette facilité de déplacement aux touristes par la suppression du visa. On ne reviendra pas sur cela’’, avait déclaré Alioune Sarr.

Il va de soi que ce revirement de situation dénote d’une absence de communication ou de consensus entre deux ministères qui présentent des points de liaison. Même après ces différentes déclarations opposées, les positions demeurent tranchées. ‘’Je voudrais, au nom du chef de l’Etat, rassurer les professionnels de la chaîne de valeur touristique. A ce jour, le gouvernement n’a pris aucune mesure concernant l’instauration du visa. Evidemment, les questions de sécurité et de défense sont du ressort exclusif du chef de l’Etat qui peut, en fonction des informations dont il dispose, décider la mise en place d’un mécanisme supplémentaire. A ce moment-là, il convoquera les secteurs impliqués à la table de discussion. Cette concertation, cette démarche inclusive ne fera pas défaut dans le secteur touristique’’.

De cette déclaration du ministre Alioune Sarr faite le dimanche 20 octobre au cours l’émission ‘’Point de vue’’, on retient que le tourisme s’appuie sur deux piliers : la sécurité et la salubrité. Sauf que l’instauration du visa d’entrée au Sénégal en 2013 a handicapé le secteur, en raison des tracasseries administratives notées dans la délivrance. ‘’Cette décision aura un impact sur notre secteur, même si c’est de 0,1 %. Raison pour laquelle nous devons laisser le soin à l’ensemble des services de l’Etat, particulièrement le ministère de l’Economie et des Finances, de mesurer, par des études, l’impact sur le tourisme’’, a-t-il ajouté.

Cette décision de l’Etat du Sénégal fait, en effet, l’objet d’un rejet des acteurs du tourisme qui parlent d’ores et déjà d’une mesure qui va plomber l’économie générée par toute une chaîne de valeur. ‘’On ne peut pas alourdir les coûts de voyage des étrangers qui viennent au Sénégal. On ne peut pas nous parler de questions sécuritaires, parce que la police a toutes les informations sur toute personne qui passe par l’aéroport. Une fois dans les hôtels, les voyageurs ont une fiche de police qui renseigne sur les motifs de leur séjour. Donc, cette justification du ministre ne tient pas la route’’, lance, catégorique, Pape Bérenger Ngom, Président de l’Association des professionnels de l’hôtellerie et de la restauration du Sénégal.

Selon lui, ce sont plutôt les frontières terrestres qui ont besoin d’un renforcement sécuritaire. Surtout dans l’espace Cedeao qui permet la libre circulation des personnes et des biens. ‘’Un malfaiteur ne prendra jamais l’avion, au risque d’être pris. Il passera plutôt par la voie terrestre. Le Sénégal n’a pas besoin d’élaborer des visas pour sa sécurité. Par contre, s’ils veulent remplir les caisses de l’Etat, ça devient autre chose. Les hôteliers sont contre cette décision et nous n’avons même pas été associés à la prise de décision. La preuve, quand le ministre Aly Ngouille Ndiaye a vu que tout le monde tirait sur lui, il a fait savoir que c’était son avis personnel. Vu la responsabilité qui lui est confiée, c’est grave de faire une telle déclaration’’, renchérit M. Ngom, également membre du Conseil de l’industrie du tourisme.

Pour rappel, le ministre de l’Intérieur a fait savoir que le projet ne bénéficiera d’aucun investissement étatique. Ce sera l’apanage de l’entreprise qui gagnera le marché.

Politique de l’autruche

Selon les acteurs du secteur touristique, les véritables problèmes qui, à la fois, portent atteinte à la sécurité intérieure et bloquent l’essor du tourisme sénégalais, sont ailleurs. En tête de liste, figure la prolifération des résidences meublées, une réalité bien ancrée dans la capitale. ‘’Ce sont des résidences hors normes, clandestines qui gangrènent le secteur et provoquent l’insécurité. Cela brise notre économie, car c’est une concurrence déloyale. Les personnes malintentionnées empruntent souvent ces résidences meublées qui ne répondent pas à la nomenclature touristique de notre pays. C’est une cachette pour beaucoup’’, affirme le responsable de la restauration du Café de Rome.

En somme, les propriétaires de ces endroits ne disposent pas d’une autorisation préalable du ministère de tutelle. Sans oublier la licence de débit de boissons délivrée par le ministère de l’Intérieur. En effet, conformément au décret du 2 mars 2005, il n’est plus autorisé l’ouverture et l’exploitation d’un réceptif touristique sans l’agrément du ministère du Tourisme. En outre, ces résidences n’enregistrent pas leurs offres dans les registres d’hôtel, d’où l’absence d’identification de ceux qui entrent et sortent de ces lieux. Selon nos interlocuteurs, leurs propriétaires n’ont aucun titre administratif leur permettant de mener une activité d’hébergement touristique. Ce qui les expose aux sanctions de l’article 54 du Code pénal. ‘’Le problème de sécurité est purement sénégalais. Ce sont eux qui construisent des résidences meublées partout dans Dakar. Ce qui est le plus important aujourd’hui, c’est de faire appliquer les lois et les règlements de ce pays aux auteurs de ces pratiques indignes’’, pense Pape Bérenger Ngom.

Dans les rangs de ses collègues, les interrogations pleuvent quant à l’avenir d’un secteur pourvoyeur d’emplois (150 000 personnes vivent du tourisme) participant à hauteur de 7 à 10 % au Pib.

EMMANUELLA MARAME FAYE

 

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