Publié le 8 Jan 2013 - 09:45

Réponse à Fatou Sarr, chercheure a l‘IFAN

 

La contribution de la chercheure Fatou Sarr à la réflexion pour donner une chance au projet social du Président Macky (dans le programme yoonu yokute) de se mesurer à la réalité n’a pas apporté d’éclairage ni dans la conception, ni dans la vision encore moins dans la stratégie.

 

«De l’approche assistancielle à l’autonomisation des pauvres», ce titre qu’elle a donné en croyant marquer la différence entre deux approches n’est pas appropriée puisque dans tout son développement elle n’a parlé que d’une seule approche, l’approche assistancielle d’autonomisation des pauvres, qui est aussi au centre de yoonu yokuté. «…Cette démarche renvoie à l’approche assistancielle et ne permettra pas aux familles de sortir de la pauvreté… Pour les professionnels du travail social, la politique assistancielle a été toujours inopérante. Il s’agit pour eux de privilégier l’autonomisation des pauvres, avec comme cadre d’intervention la famille et l’implication de la communauté pour amener les populations à produire de manière satisfaisante les conditions de leur existence». Cela n’est il pas une assistance ? cela ne signifie rien d’autre qu’il faut assister les populations en visant l’objectif de les rendre autonomes ?

 

La bourse de sécurité familiale et la couverture maladie universelle combinées au Fongip et au Fonsis répondent exactement à ces préoccupations. Donc rien de nouveau ! Elle convoque Bismarck pour tenter une conception de la protection sociale. «Or, au Sénégal…la misère doit être contenue en dessous d’un seuil tolérable sous peine… de révolutions. C’est ce qu’avait compris Bismarck, initiateur des premières mesures de politiques sociales, au 18e siècle, dans une Allemagne capitaliste. Le but visé était d’atténuer les conditions sociales des plus pauvres pour juguler les révoltes inévitables». Tout en lui demandant de nous aider à fixer le seuil tolérable de pauvreté, je lui fais remarquer que c’est justement cette vielle conception de Bismarck qui a emmené beaucoup d’observateurs politiques à remettre en cause les vertus de la politique sociale. Deux modèles de protection sociale sont appliqués actuellement en Europe : celui inspiré de Bismarck et celui inspiré de William Beveridge.

 

Le libéral Beveridge (1946) préconise un système universel financé par l’impôt par opposition au modèle de Bismarck (1883, donc 19e au lieu de 18e siècle) fondé sur un système de ciblage financé par des cotisations sociales des travailleurs. L’application du modèle de Bismarck en France a provoqué aujourd’hui des fraudes qui s’élèvent dans le système français de sécurité sociale à 20 milliards d’euros dont 17 milliards de fraude des entreprises à travers le travail au noir et 3 milliards de fraude des bénéficiaires par faux et usage de faux. Le gouvernement travailliste de Clement Attlee, en appliquant le plan de Beveridge en 1946, après sa victoire aux élections législatives de 1945, fait adopter la National Insurance Act qui instaure la sécurité sociale anglaise et révolutionne notamment le système médical anglais avec le National Health Service. Le raz-de-marée travailliste lors des élections de 1945 emporte le siège de l’initiateur libéral Beveridge à cause de la réticence idéologique coupable de ses pairs libéraux à adopter le projet. De même, la bourse famille au Brésil a permis au président Lula après ses deux mandats, de se faire succéder par sa camarade de parti Dilma Roussef, puisque ces politiques rencontrent les préoccupations des populations. Toutefois, il nous faut rompre avec ces vieilles conceptions de l’assistance.

 

Nous sommes au 21e siècle, un cycle de civilisation de 2000 ans est révolu, les récentes rumeurs sur la fin du monde le confirment. Ce n’est pas une apocalypse, c’est une révolution de civilisation. Il faut donc renouveler les principes démocratiques, économiques, pédagogiques et culturels de la société et de la pensée qui les conçoit. Cette conception de l’assistance sociale doit être abandonnée. A la notion d’assistance préférons la notion d’équité et de justice sociale pour respecter la dignité des pauvres. L’Etat est une entreprise dont les actionnaires sont les citoyens. Donc tout citoyen a droit à un dividende citoyen, qu’il peut recevoir sous forme monétaire. « Tous les membres de la société sont co-capitalistes d'un capital réel et immensément productif.

 

Le capital réel est base sur la capacité de production du pays, donc sur les richesses naturelles, qui ne sont la production d'aucun homme, sur toutes les inventions faites, développées et transmises d'une génération à l'autre. Ce dernier est le plus gros facteur de production aujourd'hui et nul homme ne peut prétendre, plus qu'un autre, à la propriété de ce progrès, qui est fruit de générations. Eh bien ! le plus gros capital réel de la production moderne, c'est bien la somme des découvertes, des inventions progressives, qui font qu'aujourd'hui, on obtient plus de produits avec moins de travail. Et puisque tous les vivants sont, à titre égal, cohéritiers de cet immense capital qui s'accroît toujours, tous ont droit à une part des fruits de la production. L'employé a droit à ce dividende et à son salaire. Le non-employé n'a pas de salaire, mais a droit à ce dividende, que nous appelons social, parce qu'il est le revenu d'un capital social. Oui. Et c'est le moyen le plus direct, le plus concret pour garantir à tout être humain l'exercice de son droit fondamental à une part des biens de la terre. Toute personne possède ce droit — non pas à titre d'embauché dans la production, mais à seul titre d'être humain, disait l'ingénieur écossais Clifford Hugh Douglas.

 

La capacité productive par homme et par heure ne cesse d’augmenter grâce au développement et à la diffusion des progrès scientifiques et technologiques. Nous sommes tous des chômeurs en sursis. Le chômage endémique augmentera au fur et à mesure que la machine, la science appliquée, les inventions, les perfectionnements diminueront la part de travail exigée pour maintenir la production. Toute politique sociale doit être basée sur cette vision et cette conception moderne de l’évolution de l’histoire. C’est pourquoi nous proposons à la place le revenu de base généralisé (RBG) qui constitue une approche stratégique de la demande sociale et économique mais aussi qui sert d’instrument efficace et efficient de lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité et qui profite à tous les citoyens et citoyennes. Nous souhaitons que la bourse de sécurité familiale du programme «yoonou yokoute» proposée pour lutter contre la pauvreté soit le premier jalon dans la généralisation du revenu de base.

 

DR. ABDOULAYE TAYE

Enseignant-Chercheur à l’Université Alioune Diop de Bambey

Initiateur du RBG-AMO

 

 

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