Publié le 28 Oct 2019 - 23:49
RAISONS SOCIALES, FORT LOBBYING ECONOMIQUE, VIDE JURIDIQUE

Ces facteurs qui entravent la lutte contre la dépigmentation 

 

Selon les spécialistes de la santé, le taux de prévalence des maladies liées à la dépigmentation volontaire grimpe. Ce triste constat pousse des organisations telles que l’Association internationale d’information sur la dépigmentation (Aiida) à porter la bataille de l’éradication du phénomène. Mais face aux lobbys économiques, à la société qui encourage la pratique et au vide juridique dans la législation, les résultats des actions de sensibilisation se révèlent éphémères.

 

La dépigmentation artificielle volontaire prend de plus en plus d’ampleur au Sénégal.  Rien que dans le département de Pikine, à Dakar, 71 % des femmes s’adonnent à cette pratique devenue un vrai problème de santé publique. Cette situation préoccupe les acteurs qui s’activent dans la lutte contre ce phénomène, à l’image de l’Association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle (Aiida).

Celle-ci a organisé, le samedi dernier, au Musée des Civilisations noires, un panel sur le thème ‘’Quelles solutions pour une politique nationale de prévention des complications de la dépigmentation cosmétique volontaire (Dcv)’’. Une manière de revisiter les aspects sociaux, économiques, règlementaires et religieux de la dépigmentation cosmétique artificielle.

Ainsi, des experts de tout bord ont débattu, à cette occasion, sur ce phénomène de mode devenu une priorité de santé publique.

Il ressort des débats que la dépigmentation cosmétique artificielle est dangereuse pour la santé et est interdite par les religions musulmane et chrétienne. Toutefois, elle trouve ses fondements dans la société et contribue beaucoup à l’économie.

En effet, la dépigmentation consiste en l’utilisation de produits dont les propriétés de dépigmentation sont clairement établies dans le but d’obtenir une clarté de la peau. Elle a, par ailleurs, des conséquences néfastes sur la santé. La dépigmentation est ainsi devenue l’une des causes du cancer, du diabète et de l’hypertension artificielle. ‘’Parmi les patientes qui ont présenté un cancer, on a une mortalité de 25 %, c’est-à-dire un patient sur 4 qui a un cancer lié à la dépigmentation peut décéder, suite à ce cancer’’, indique le docteur Fatimata Ly, dermatologue et présidente de l’Aiida.

Ces tristes pourcentages ont poussé l’Association internationale d’information sur la dépigmentation artificielle (Aiida), en collaboration avec des associations telles que les femmes médecins et la société civile, à initier des actions de lutte contre ce phénomène, tout en ayant conscience que son éradication ne sera pas chose facile. ‘’La bataille ne sera pas gagnée d’avance. C’est de long terme et tout le monde a son rôle’’, estime Dr Ly. Car la problématique de la dépigmentation est aussi un enjeu économique. ‘’Sur la base d’extrapolation, on peut dire que l’importation de ces produits contribue à hauteur de milliards dans ce pays. Il faut que l’Etat se saisisse à bras le corps de ce problème et savoir qu’aujourd’hui, on peut gagner des milliards, mais demain, ce sera une population malade et on dépensera plus. Et dans les pays à ressources limitées, il y a de la place pour la prévention qui doit être le maitre mot pour gagner cette lutte’’, considère le Dr Ly.

La pratique a également des causes sociales non négligeables. En effet, beaucoup de personnes se dépigmentent, car la société a tendance à définir la beauté de la femme par le teint clair. Ce qui rend plus difficile la lutte contre le phénomène. Et Mme Ly de rappeler que, malgré les efforts de sensibilisation, le problème reste toujours préoccupant. ‘’En dehors de la sensibilisation active et de l’engagement que le ministère a pris de soutenir cette cause, il n’y a pas eu de résultat’’, se désole-t-elle.

‘’Il faut des assises sur la dépigmentation’’

Selon les spécialistes de la santé, la dépigmentation artificielle est devenue un problème de santé publique comme le paludisme et la tuberculose. Alors que les autorités politiques tardent à prendre des dispositions pour réglementer la pratique. ‘’La dépigmentation est une pathologie liée au comportement. D’une certaine manière, le patient lui-même est responsable de sa maladie. Ce qui n’est pas le cas pour le paludisme ou la tuberculose où il y a l’intervention d’un agent pathogène. Cependant, ces pathologies liées au comportement sont bien reconnues. Il faudrait, enfin, que l’État du Sénégal reconnaisse les pathologies liées au comportement comme une priorité de santé publique et mette en place des mesures de prévention’’, estime le Dr Ly.

C’est dans ce sens que l’Aiida avait d’ailleurs saisi l’Assemblée nationale pour légiférer sur les produits de dépigmentation. ‘’Il y a quelques années, nous avions saisi la Commission santé de l’Assemblée nationale pour légiférer. Mais, malheureusement, avec le changement de législature, c'est resté lettre morte’’, regrette-t-elle.

 Interpelée sur la question, la professeure Amsatou Sow Sidibé considère que la dépigmentation est un problème de santé publique sur lequel l’Etat doit se pencher très sérieusement. ‘’En tant que juriste, je pense que l’Etat doit encadrer cette pratique. Elle doit être interdite comme on interdit la drogue. C’est vrai que chaque personne dispose de son corps, mais son corps est protégé contre son fait à elle et le fait des autres’’, estime-t-elle.

Selon la juriste, bien que la dépigmentation soit volontaire, il y a des acteurs qui interviennent et qui doivent être sanctionnés au même titre que les pratiquants. Il s’agit, entre autres, des personnes qui font la publicité de la matière et de la douane qui fait entrer les produits à base de corticoïde. ‘’Il y a urgence de faire des assises sur cette pratique, pour voir quelle attitude adopter’’, estime la juriste.

En attendant ces solutions, l’Aiida a remis un mémorandum au ministre de la Santé avec tous ces points, pour espérer une solution à ces problèmes.

ABBA BA

 

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