Publié le 26 Nov 2013 - 12:02
RANCH DE DOLLY, 45 ANS, DÉLABRÉ, 87 500 HA, 3337 HABITANTS...

Macky Sall en visite chez un grand malade peul

 

Le ranch de Dolly, à la limite sud du département de Linguère, est ce mardi le point de convergence des éleveurs des quatre coins du pays, à l'occasion de la visite du président de la République. L'infrastructure, confrontée à l'insécurité, aux vols de bétail, aux pannes récurrentes de forages, à la sous-utilisation, proche du délabrement irrémédiable, est un grand malade en quête d'un bon médecin post diagnostic.

 

Dolly a mal. Situé à l’extrême sud du département de Linguère, le ranch de Dolly a été créé en 1968 par le premier président de la république du Sénégal Léopold Sédar Senghor. Il couvre une superficie de 87.500 ha et sa population permanente est estimée à 3.337 habitants répartis dans 7 villages centres et d’environ une centaine de campements. Auparavant, en 1963, l’État avait conféré à la zone de Dolly le statut de réserve sylvopastorale s’étendant sur une surface globale de 110.900 ha. Cette zone a fait l’objet d’un aménagement en 1968.

La création du ranch répondait à un double objectif : promouvoir l’élevage de ruminants domestiques dans le souci de réguler l’approvisionnement en viande de la ville de Dakar et des autres grands centres urbains du pays, d'une part, et favoriser la préservation de la diversité biologique dans la zone, par ailleurs.

Mais depuis dix à vingt ans environ, le ranch a perdu son lustre d’antan. En effet, le territoire de Dolly fait l’objet de toutes les convoitises dont celles des grands agriculteurs du front pionnier arachidier et des investisseurs privés. Ce qui crée parfois des mésententes entre paysans et pasteurs. Rappelons que le ranch vers les années 90 a été le théâtre de fréquents et violents affrontements entre cultivateurs «baay fall» et éleveurs majoritairement de l’ethnie peulh. Plusieurs pertes en vies humaines y ont été notées.

Un domaine très délabré

En marge du congrès du SUDES (Syndicat unique des éleveurs du Sénégal), le ministre de l’Élevage et des productions animales, Aminata Mbengue Ndiaye, avait annoncé un investissement d’un montant de 430 millions de francs Cfa pour la réhabilitation du ranch. Et pour cause, le domaine est dans un dangereux état de délabrement. Les infrastructures pastorales sont vétustes et se sont fortement détériorées. La disparition de la clôture favorise des entrées non contrôlées dans le ranch et une aggravation de l’insécurité.

Pendant la saison sèche, on constate un approvisionnement insuffisant en eau voire des ruptures fréquentes dans la fourniture du liquide précieux à cause des pannes répétées de moteurs de forage.

C'est sous ce décor peu reluisant que le professionnels du bétail attendent le Président Macky Sall, aujourd'hui sur les lieux, pour espérer qu'il aborde les sujets brûlants axés autour de la progression de l’élevage, la transformation et la valorisation du lait, l’amélioration génétique, l’insémination artificielle, l’hydraulique pastorale, les feux de brousse, entre autres. Bref, un large tour d’horizon sur  beaucoup de secteurs aux allures d’un forum sur le développement rural.

Selon les éleveurs avec qui EnQuête a pris langue, «le ranch constitue l’un des derniers replis pour les troupeaux du bassin arachidier qui sont obligés en hivernage de quitter des terroirs complètement saturés» à la recherche de pâturages de plus en plus difficiles à dénicher.

Le ranch en quelques chiffres

Du point de vue de l’occupation de l’espace, le ranch est subdivisé en quatre secteurs : Diaga (23 904 ha), Thiabouli (14 517 ha), Ogo (21757 ha) et Dioridi (22 255 ha). Contacté par nos soins, le député Adama Sow, incollable sur la question, précise que «le ranch était barbelé autour de 120 km de périmètre mais présentement, il est en état de délabrement très avancé.» Il renchérit : «le ranch compte 42 abreuvoirs, 2 forages dont l’un des châteaux d’eau contient 30 m3

Très critique à l'endroit des politiciens qui ont laissé accumuler les problèmes dans et autour du complexe, Adama Sow explique : «Vous savez que Dolly (le ranch) a été toujours laissé en rade par nos gouvernants parce qu’ils pensaient que seul l’aliment de bétail peut régler le problème des éleveurs. Or, Dolly est assimilable à un pneu de secours d’un véhicule, le chauffeur se rend compte de l’importance du pneu de secours que lorsqu’il tombe en panne. Dolly sert exactement et pertinemment de repli. En cas de crise, les bêtes peuvent se réfugier là-bas.»

Parmi les préoccupations du moment, figure en bonne place le financement du sous-secteur. En attendant la cure de jouvence, les éleveurs broient du noir durant la saison sèche. Ils attendent le financement hypothétique qui leur permettra d’acheter et de revendre les ruminants. Ici, tout est détruit, cela se voit et se constate. Malgré tout, Adama Sow, ressortissant de Khaadar (près de Labgar) garde encore espoir que les choses changent de manière positive. D'autant plus que, précise-t-il, «nous éleveurs, nous nous sommes retrouvés autour d’un cadre des éleveurs républicains dirigés par le député Aliou Sow.»

Sabakhao Kâ, président régional de la Coopérative des éleveurs de Louga y va lui aussi de son couplet et décline ce que doivent être les ambitions pour sauver Dolly. «Présentement, le vœu le plus  cher des éleveurs est que le ranch soit revitalisé. La clôture s'est complètement détérioré, et surtout la gestion doit être revue et corrigée», souligne-t-il.

Comme une sorte de matière première, l'eau reste une contrainte incontournable autant pour la survie des bêtes que pour les besoins des populations. «Dolly a besoin de plus de points d’eau importants parce qu’à l’intérieur, outre les milliers de bovins, d’ovins et de caprins, il y a des habitations, et donc des hommes,des femmes et des enfants. En tout cas, les éleveurs ont bon espoir que le chef de l’Etat répondra à leurs préoccupations.»

Plaidoyer pour la mutation du ranch

Le ranch de Dolly, après 45 ans d'existence, doit maintenant faire l'objet d'une mutation en profondeur mais progressive vers une modernité plus sentie. C'est l'avis par exemple de Bérouba Guissé. Pour cet expert environnementaliste, «le déplacement de l’École des techniciens de l’élevage sise à Saint-Louis vers ce grand ranch» aiderait fondamentalement au développement des localités alentour car «l’économie du Djolof est basée sur l’élevage.» Allant plus loin dans les suggestions, le Dr Guissé, par ailleurs responsable départemental de l'Alliance des forces de progrès (AFP), avance même le transfert du plus grand abattoir du Sénégal à l'intérieur du ranch. «Comme on a valorisé le poisson à Mbour et à Saint-Louis, dans ce ranch, on doit développer la culture fourragère pour booster le développement du secteur par un élevage plus performant et donc plus productif.»

Pour Leyti Marame Ndiaye, membre de l'Alliance pour la République (APR) au pouvoir, «la situation qui prévaut dans le ranch de Dolly appelle une solution politique urgente» dont seul le Président de la République est en mesure d'en impulser les bases. A cet effet, ajoute-t-il, «il est indispensable de mettre en place un dispositif sécuritaire visant à réduire le vol du cheptel.» Dans ce même souci, «la réhabilitation des forages en panne, et la reconstruction de la clôture pour éviter une surexploitation du tapis herbacé s’inscrivent comme des priorités.» Ces mesures sont incontournables car «le ranch de Dolly joue un rôle crucial sur le plan économique au niveau du département de Linguère et sur l’échiquier national».

Le ranch et les infrastructures routières

Au foirail de Dahra, il est 7 h ce dimanche. Les éleveurs, très matinaux, arrivent par petits groupes pour écouler leurs bêtes. La visite de Macky Sall annoncée pour aujourd'hui à la mi-journée est sur toutes les lèvres. Amadou Kâ, un éleveur trouvé sur place, prépare activement le rendez-vous du président. «C’est la fête des éleveurs parce que c’est la première fois qu’il foule le sol d'un ranch chargé d’histoire et de symbole». Amadou Peul, comme l’appellent ses pairs, poursuit : «entre autres préoccupations des éleveurs, figurent la sécurisation du ranch qui passe impérativement par un mur de clôture et l’installation de forages suffisants».

Baba Ndao, le tout-nouveau secrétaire général de la Ligue démocratique (LD) dans la commune de Dahra, plaide pour la réhabilitation du ranch, la redynamisation des centres de refroidissement laitier, du programme d’insémination artificielle et de fabrication de vaccin au CRZ de Dahra ainsi que de l’abattoir moderne. Pour ce membre de la coalition Benno Bokk Yaakaar, «la réfection de l’axe routier Linguère-Dahra-Touba constitue un dispositif qui permettra au département de Linguère de jouer pleinement son rôle de pôle agro-sylvopastoral dans le cadre de l’acte 3 de la décentralisation.» Il ne doute pas une seconde que «la vision du président Macky Sall est claire et peut mettre le Djolof sur la voie du yokkuté».

102 taxis-brousses Op yah pour les éleveurs

Pour ce qui est de la sécurité, son opinion est faite : «le désenclavement du Ranch doit être fait et dans ce cadre, une route reliant Dahra à Koungheul qui passerait dans le ranch pourrait améliorer la sécurité à l’intérieur de la réserve, assurer la bonne circulation des personnes et des biens entre le bassin arachidier et le Djolof».

Pour colorer l'événement, le député Adama Sow annonce que «pas moins 102 op yah, ces fameux taxis-brousse qui arpentent les pistes sableuses du Djolof, sont mis à la disposition des éleveurs pour rallier Dolly, sans compter les véhicules particuliers.» De quoi improviser un méga-meeting. «En tout cas, les éleveurs de la région se sont mobilisés pour donner un cachet populaire exceptionnel à cette visite». 

MAMADOU NDIAYE (Correspondant)

 

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