Publié le 15 May 2020 - 23:46
RAPATRIEMENT DES SENEGALAIS DE L’ETRANGER

Retour polémique au pays natal

 

 
Des Sénégalais, bloqués en France, ont saisi ‘’EnQuête’’, hier, pour dénoncer une ‘’commercialisation’’, par Air Sénégal, des vols destinés à leur rapatriement. La compagnie et les autorités démentent et apportent des clarifications. 
 
 
On n’est jamais mieux que chez soi. Le proverbe a rarement eu autant de valeur qu’en ces temps de fermeture des frontières, partout à travers la planète. Ils sont nombreux, les Sénégalais bloqués à l’étranger, depuis maintenant des mois. Avec la décision du gouvernement de les aider à rentrer au bercail, l’espoir avait commencé à renaitre. Hélas ! Certaines frustrations se sont ravivées avec le premier vol affrété, hier, par Air Sénégal pour les concitoyens bloqués en France.
 
D’après l’accusation, la compagnie nationale aurait transformé cette initiative tant attendue de l’Etat en une opportunité d’affaires. Elle aurait vendu des billets à des personnes ne figurant pas sur la liste des gens concernés par la mesure gouvernementale. Avec des photos où l’on pouvait apercevoir beaucoup de Blancs, certains ont même tenté de faire croire qu’il existerait des étrangers convoyés, au moment où des Sénégalais bloqués attendent encore désespérément leur rapatriement.
 
Après vérification, ‘’EnQuête’’ a eu la preuve qu’il existe bel et bien des non ayants droit qui ont été convoyés dans le vol en question arrivé hier à Dakar. Parmi eux, il y a des footballeurs professionnels, dont Idrissa Gana Guèye, Moussa Konaté et Mbaye Diagne. Tous convoyés par Air Sénégal, alors qu’ils n’étaient pas concernés par la mesure de rapatriement. 
 
En ce qui concerne les étrangers, aucune preuve irréfutable n’a été apportée. Demba Sow, député : ‘’Tout s’est passé dans les règles de l’art’’
 
Témoin oculaire de l’embarquement à l’aéroport Roissy Charles de Gaulle, le député Demba Babael Sow apporte quelques clarifications. ‘’On a suivi ce processus de bout en bout. Au début, ce sont les Sénégalais bloqués en France qui avaient formé un collectif pour réclamer leur retour. On s’est rapproché d’eux et on a joué les bons offices avec la représentation diplomatique et les autorités gouvernementales. Je suis heureux que le président de la République ait entendu notre appel... Ce matin également, j’étais sur place avec l’ambassadeur pour superviser le déroulement des opérations. Et je puis vous assurer que tout s’est passé dans les règles de l’art. Toutes les personnes figurant sur la liste envoyée par l’ambassadeur ont été convoyées par Air Sénégal’’, informe-t-il. 
 
Il ajoute : ‘’Il n’y a que deux personnes qui n’ont pu embarquer. L’une parce qu’il y avait un malentendu relatif au paiement des 100 euros pour les frais de dossier ; son dossier a été rejeté par Air Sénégal, parce qu’elle n’a pas versé le montant. L’autre parce qu’elle a été omise sur la liste présentée par l’ambassade. Aucun travail humain n’est parfait, mais le rapatriement continue et ces gens sont prévus dans le prochain vol.’’
 
En ce qui concerne les footballeurs professionnels ayant voyagé à bord du vol de rapatriement, il précise : ‘’En fait, il faut savoir que nous sommes tous des Sénégalais. Mbaye Diagne, par exemple, est un patriote et vous n’êtes pas sans savoir les difficultés auxquelles il faisait face chez lui, à Bruxelles (il a été expulsé de chez lui avec ses deux enfants notamment, NDLR). J’assume, pour des raisons humanitaires et de solidarité, avoir agi pour qu’on puisse l’aider à rentrer au Sénégal. Pour Gana, il n’est pas sur la liste de l’ambassade. Donc, je ne saurais répondre de son cas. Mais vous conviendrez qu’ils sont tous des Sénégalais et ont aussi le droit de rentrer chez eux. Mais, il ne figure pas sur la liste présentée par l’ambassade.’’  
 
Le dépit des responsables d’Air Sénégal
 
A l’instar du député de la diaspora, les responsables d’Air Sénégal que nous avons pu joindre ont également nié en bloc les accusations. Etonné, l’air circonspect, notre interlocuteur peste : ‘’C’est archi-faux de dire que des étrangers ont voyagé à travers ce vol pour une raison ou une autre. D’abord, il faut savoir que c’est l’ambassade qui organise ce vol de rapatriement. Pas Air Sénégal qui ne fait que mettre à disposition un avion. Les frontières étant fermées, aucune compagnie ne peut organiser des vols de rapatriement. Ensuite, tous ceux qui ont voyagé avec ce vol sont soit détenteurs du passeport ou d’une carte d’identité sénégalaise. Pour les étrangers, il faut une carte de résident au Sénégal.’’
 
De plus, précise la source, il y avait 155 personnes dans le vol, pour un avion qui prend 290 personnes. Mieux, insiste-t-il, si les règles de l’industrie aéronautique avaient été appliquées dans toute leur rigueur, les passagers auraient payé beaucoup plus cher. ‘’Nous leur avons demandé de payer 100 euros. Ce sont les règles de l’industrie qui prévoient que le passager doit payer la différence tarifaire. Nous avons décidé de ne pas appliquer cette règle pour faciliter les choses aux compatriotes. Si on appliquait la règle, ils allaient payer 400 au lieu de 100 euros’’, précise-t-il, convaincu qu’il y a une volonté manifeste de nuire à la compagnie nationale.
 
Selon le programme retenu, il y aura un vol Air Sénégal chaque mercredi, jusqu’au 17 juin. En raison de respect des mesures barrières, le vol doit prendre beaucoup moins de passagers que d’habitude. Au total, soutient le député Sow, il y a environ 300 Sénégalais bloqués en France, à cause de la fermeture des frontières. 
 
L’imbroglio vient donc du fait que d’autres personnes - même des Sénégalais - aient pu voyager dans ces vols spécifiquement dédiés aux compatriotes qui étaient en transit ou en vacances en France ou bloqués à cause de la fermeture des frontières. 
 
 
SENEGALAIS DE LA SOUS-REGION
 
Si près, mais si loin
 
Tandis que les Sénégalais bloqués en France ne sont plus loin de voir le bout du tunnel, d’autres, beaucoup plus proches, attendent avec impatience la délivrance. Il en est ainsi des compatriotes bloqués dans la sous-région, à cause de la fermeture des frontières. C’est le cas de Tapha Sow et son épouse, piégés en terre mauritanienne depuis plus de deux mois. Après avoir pris ses congés, le couple avait prévu d’y passer 10 jours, avant de rentrer. Alors qu’ils étaient sur le point de faire leurs valises, les mesures de fermeture des frontières ont été prises de part et d’autre. Depuis, ils ne savent plus à quel saint se vouer. 
 
‘’Je pense que de la même manière qu’elles sont en train d’aider des Sénégalais à rentrer de Turquie, de France…  les autorités doivent aussi penser à nous qui sommes tout près. Notre rapatriement aurait coûté beaucoup moins cher. Nous avons été à maintes reprises à l’ambassade, mais rien n’a bougé. On s’est juste inscrit sur les listes qui ont été ouvertes à cet effet. Nous sommes vraiment fatigués’’, confie M. Sow qui devait reprendre son travail depuis longtemps. Avant la France, l’Etat du Sénégal avait déjà aidé une dizaine de Sénégalais bloqués en Turquie à retrouver leurs familles respectives. 
 
Les rapatriés rentrent directement chez eux
 
Par ailleurs, si le gouvernement se démène comme un diable pour faire rapatrier les Sénégalais bloqués dans les autres pays, l’enjeu sanitaire semble vachement négligé par les autorités. A en croire certains passagers du vol Air Sénégal arrivés hier vers les coups de 14 h, aucune mesure particulière n’a été prescrite à leur encontre. ‘’A notre arrivée à l’aéroport international Blaise Diagne, on nous a bloqués là-bas pendant deux heures. Ensuite, quelqu’un s’est présenté comme responsable au ministère de la Santé pour nous dire : ‘Vous pouvez rentrer chez vous et vous y confiner vous-mêmes.’ Il avait commencé à faire des recommandations, mais personne ne l’a écouté. On a pris nos charriots et on est parti’’. 
 
Pourtant, il était prévu que tous soient logés dans des réceptifs hôteliers, pour les besoins de la surveillance. Laquelle procédure avait déjà été suivie pour la première vague de Sénégalais rapatriés via Air France.

 

Section: