Publié le 24 Feb 2014 - 12:03
RAPPORT DÉFINITIF IGE

Bara Sady, chemin de croix continu

 

Bara Sady, l’ancien Directeur général du Port Autonome de Dakar, en poste pendant onze ans, est en détention préventive à la prison de Rebeuss depuis le 28 novembre 2014 pour escroquerie, détournement de deniers publics et corruption active à hauteur de 48 milliards. Il a maille à partir avec la justice à propos d'un marché relatif au dragage du chenal de la principale infrastructure portuaire du Sénégal. Mais le dossier qui est le plus sulfureux le concernant est sans conteste celui des conditions d'attribution de la concession du terminal à conteneur à Dubaï Port World, qui a finalement «négocié» avec l'Etat pour éviter une escalade judiciaire alors que l'opérateur Emirati tient plus que tout à sa réputation. Dans quelles conditions DPW a-t-il remporté ce juteux marché ? A-t-il respecté ses engagements ? «Enquête» a pu obtenir le rapport définitif de l'Inspection générale d'Etat sur la question. Les accusations sont accablantes, mais Bara Sady leur a opposé des arguments....

 

AFFAIRE DUBAÏ PORT WORLD

L'IGE sans...concession pour Bara Sady

De qui Bara Sady, ancien Directeur général du Port autonome de Dakar, en prison depuis le 28 novembre dernier, recevait-il des ordres ? Qui lui a donné des assurances pour qu'il se soit donné autant de libertés ? Qui, finalement, était derrière les Emiratis quand ils ont obtenu l'un de leurs plus juteux contrats en Afrique de l'Ouest ? Ce sont les questions qui surnagent des eaux du port de Dakar après la lecture du rapport définitif de l'Inspection générale d'Etat après son enquête sur les conditions de la concession de son Terminal à conteneurs à Dubaï Port World. Au total, c'est un préjudice financier de plus de 24,5 milliards F Cfa au détriment de l'un des fleurons du secteur parapublic qui a été relevé par les enquêteurs.

 

L'enquête conduite par l'Inspecteur général d'Etat, Assane Dianko (magistrat de formation, ancien patron de l'agence judiciaire de l'Etat), est sans nuances dans ses conclusions contenues dans son rapport définitif adressé au président de la République, il y a un peu plus d'un an, le 17 janvier 2013 précisément. Même si par la suite Dubaï Port World a négocié avec l'Etat pour rester en eaux profondes dans cette manne que constituent les terminaux à conteneurs, le rapport définitif laisse ses lecteurs bouche bée. Certes, des bribes d'information ont suinté il y a quelques mois, à propos de ce sulfureux dossier, mais cette fois-ci, le rapport définitif apporte des lumières sur les conditions dans lesquelles DPW a obtenu la concession le 8 octobre 2007.

Il faut souligner que Bara Sady est en détention préventive dans le cadre d'une autre procédure ; celle relative à l'attribution du marché du dragage du port, ce qui n'aurait pas été fait selon les règles de l'art, selon l'accusation.

LES PRINCIPAUX GRIEFS

Dans sa note de transmission, celle qui était encore le Vérificateur général du Sénégal, Mme Ndour Nafy Ngom Keïta (aujourd'hui patronne de l'Office national de lutte contre la corruption) estime que la concession n'a pas été attribuée conformément aux procédures organisées par le Code des marchés publics normalement applicable pour l'opération. Le PAD est un établissement public à caractère industriel et commercial à ses origines, transformé en société nationale en 1987.

 Sur le choix du comité de technique chargé de désigner les membres du comité technique, l'IGE souligne qu'il a été fait de manière «discrétionnaire» par Bara Sady, «dans la plus grande opacité». Les quatre membres de ce comité ont par ailleurs reçu chacun 25 millions F Cfa après l'adjudication.

Il s'agit du secrétaire général du PAD ; du directeur commercial ; du coordonnateur de la cellule Etudes et Planification ; et du directeur financier et comptable. Le rapport de l'IGE mentionne que ce comité ne comprend ni le directeur de l'exploitation et de la sécurité et son collègue en charge des infrastructures et de la logistique, «censés pouvoir donner, compte tenu de leur formation et de leurs attributions, des avis d'expert, notamment sur les offres techniques des candidats à la concession».

Pire, le conseil d'administration de l'entreprise n'a été saisi dans le cadre de l'opération qu'après adjudication. Ce qui sort de l'ordinaire, alors que l'avenir de l'entreprise, dans un secteur très concurrentiel avec la présence des ports de Tamalé (Ghana), Lomé et Abidjan, était en jeu dans le processus d'attribution du concessionnaire du terminal à conteneurs.

Les questions liées aux personnalités qui ont servi de porte d'entrée à DPW au Sénégal persistent quand on sait que, selon l'enquête de l'IGE, «le concessionnaire n'a pas respecté tous les engagements qu'il avait pris dans son offre de soumission et sur la base desquels il a été retenu». Ainsi, les Dubaïotes n'avaient pas respecté, à la date de janvier dernier, leur promesse de verser au PAD, au titre du ticket d'entrée, 54,6 milliards F Cfa dont 30 en cash et 24,6 au titre de participation dans le capital de la société d'exploitation du terminal

 Selon les termes de l'accord, le concessionnaire devait également se lancer dans la construction du «Port du futur», un projet évoqué par le président Wade dès ses premières années de pouvoir à partir de 2000.

 L'enquête de l'IGE démarre en mai 2012 et fait d'emblée l'objet de l'attention de l'opinion publique car le Port de Dakar est réputé être un des «fromages» de la République avec ses marchés à profusion et sa grande capacité financière. Quand Me Wade vient de prendre le pouvoir en 2000, et après quelques mois de magistère du colonel de gendarmerie Meïssa Niang à la tête de l'entreprise (on est en plein dans les audits de la gestion du régime socialiste), il décide de confier les rênes de la stratégique boîte au fils d'un de ses meilleurs amis. Bara Sady fera onze ans à la tête de la direction du port de Dakar...

 LE CONTEXTE JURIDIQUE

 Le PAD été créé par ordonnance en août 1960 aux premières lueurs de l'indépendance. Pendant 27 ans, l'entreprise mettra à profit ses atouts, en dormant cependant sur ses lauriers, alors qu'un peu partout sur la côte ouest-africaine, la concurrence s'organisait. C'est en 1987, dans un contexte de privatisations tous azimuts, sous la pression des bailleurs de fonds, que l'une des principales sources de rentrées de devises pour l'Etat, voit son statut changer.

Naturellement, il est hors de question pour les socialistes au pouvoir à l'époque de le «vendre» au secteur privé. Mais un nouveau cadre juridique s'impose : une réelle autonomie de gestion et de décision sont nécessaires. C'était pour lui donner les capacités nécessaires pour tirer profit au maximum de la position géographique de Dakar et renforcer sa compétitivité.

 Cependant, en 1992, devant les difficultés du PAD à développer les investissements à l'intérieur de son domaine, l'Etat a révisé la loi de 1987 pour permettre à l'entreprise de consentir, sur le domaine public dont la gestion lui était transférée, des autorisations d'occupation temporaire d'une durée au plus égale à 25 ans renouvelable. C'est sur cette base que Dubaï Port World a obtenu la concession.

Sont candidates les célèbres entreprises. Le président Wade vient de se faire réélire et son fils Karim Wade monte en puissance dans les arcanes de l'Etat après avoir dirigé le comité d'organisation du sommet de l'OCI. Jusqu'aujourd'hui, le dossier relatif à la gestion du port de Dakar fait partie des déboires judiciaires de l'ancien patron de la «Génération du concret», en détention à la prison de Rebeuss depuis presque un an...

ENGAGEMENTS IRRÉALISTES

L'enquête conduite par les IGE Assane Dianko, Moussa Kâ et Armand Jean Jacques Nanga (ancien Dg des douanes) est sans complaisance surtout à propos des termes non respectés du contrat. Certes, ils reconnaissent que la concession a permis de hisser le PAD à un rang de niveau international et d'améliorer sa trésorerie, mais les hauts fonctionnaires soulignent plusieurs manquements, au double plan de la procédure d'attribution et de l'exécution du contrat. Selon les enquêteurs, sur la procédure d'attribution, les notes maximales attribuées à DP World, «sur la base d'engagements irréalistes qui ne seront pas respectés» (…), prouvent que la procédure n'a pas été transparente et que DPW a été «favorisée».

 En ce qui concerne l'exécution du contrat, DP World n'a pas respecté tous les engagements qu'il avait pris selon le rapport (niveau du trafic, démarrage du Port du futur, développement des ports secondaires et paiement intégral du ticket d'entrée). Sur le plan financier, les vérificateurs soulignent que non seulement l'engagement de verser un ticket d'entrée de 54 milliards n'a pas été respecté, mais il a été modifié, selon leurs conclusions, pour en mettre une partie à la charge du Port autonome de Dakar.

Dans ses recommandations, l'IGE recommandait la traduction du Dg Bara Sady devant la Chambre de discipline financière de la Cour des comptes ; de saisir le ministre de la Justice pour l'ouverture d'une information judiciaire contre les dirigeants de DPW ; d'initier un projet de décret pour dissoudre le conseil d'administration «pour carence caractérisée». Ces propositions ont été suivies en partie depuis belle lurette. Mais chaque jour, comme des poissons flottant, le dossier du Port fait remonter des choses pas belles à voir.

 

 

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