Publié le 20 Oct 2018 - 03:33
RAPPORT HUMAN RIGHTS WATCH

Silence, on harcèle !

 

Le mouvement MeToo tient certainement son plus farouche adversaire dans les écoles sénégalaises où les enseignants semblent ériger en règle l’exploitation sexuelle de leurs propres élèves, le harcèlement et les abus en tous genres. Human Rights Watch a présenté hier son rapport sur la question.

 

‘’Du yoon !’’. ‘’Nopi wouma !’’. Voilà deux hashtags lancés, depuis hier à Dakar, par Human Rights Watch et d’autres organisations de défense des Droits de l’homme pour dénoncer les violences sexuelles dont les filles sont victimes dans les établissements secondaires du Sénégal. C’était à l’occasion de la présentation du rapport de l’Ong sur la question. Pourtant, le serment de l’enseignant prévu dans le Code de déontologie du ministère de l’Education nationale est clair, à propos des relations élèves-enseignants. ‘’Je m’interdis, s’engage l’enseignant, d’être volontairement une cause de tort, de corruption ou de toute entreprise de séduction à l’égard des élèves, filles ou garçons… Je m’engage à les protéger contre toutes formes d’abus... Je jure de ne jamais user de mon autorité sur les élèves à des fins sexuelles’’.  Mieux, avant d’entrer en fonction, l’instituteur ou professeur, selon toujours l’organisation non gouvernementale,  doit préciser : ‘’Ma position à l’école me confère une responsabilité particulière dans l’éducation et la formation des filles et des garçons, leur protection contre toutes formes d’agressions, notamment remarques ou attitudes à connotation sexuelle.’’

Cependant, entre ces professions de foi et la réalité, il semble y avoir à manger et à boire. Dans un rapport intitulé ‘’Ce n’est pas normal’’, l’organisation montre, par le biais de témoignages poignants de victimes, comment les adolescentes, dans les écoles secondaires, sont exposées à l’exploitation sexuelle, au harcèlement et aux abus de la part des enseignants et des membres du personnel scolaire.

Des histoires renversantes

Fanta habite un village dans la région de Sédhiou. Aujourd’hui âgée de 23 ans, elle se remémore devant Human Rights Watch une des pages les plus sombres de sa petite vie. Elle dit dans le rapport : ‘’J’avais 16 ans. J’avais une relation secrète avec mon professeur âgé de 30 ans. En classe, j’avais honte, parce que tous mes camarades avaient fini par comprendre. Même les enseignants de l’école le savaient, mais personne ne disait rien.’’ Ainsi, vendait-elle son corps contre de bonnes notes et privilèges de toutes natures. A 17 ans, c’est la tragédie. L’adolescente découvre qu’elle est enceinte. Son père la chasse de la maison, avant de la reprendre. Au lieu de poursuivre l’enseignant-profiteur, le pater tente de trouver un arrangement. Hélas pour la famille, ce dernier nie en bloc toute implication dans la grossesse. ‘’Je me sentais humiliée’’, enchaine Fanta qui a vu son cursus scolaire anéanti. L’enseignant, lui, continue de donner des cours et de faire du mal en toute impunité.

Des Fanta, il y en a à la pelle, partout au Sénégal, selon Human Rights Watch, qui semble éviter de stigmatiser des régions. Harcèlements, abus et viols sont monnaie courante dans les établissements scolaires. Pour certains enseignants, tous les stratagèmes semblent bons pour attirer la ‘’proie’’ dans la gueule du loup. Des élèves, interrogées, expliquent quelques-uns de leur modus operandi. Cela va des tapes sur les fesses aux petits pièges pour se retrouver seul dans une chambre avec la potache sans défense.

Maïmouna, 16 ans, est de Médina Yoro Foula. Elle témoigne : ‘’Un jour, mon prof m’a envoyée chercher de l’eau que je devais lui apporter chez lui. Une fois arrivée, il m’a invitée dans sa chambre, a commencé à me faire des avances et à me demander mon numéro de téléphone. Ce que j’ai refusé.’’

Son sort n’est guère différent de celui d’Aissatou, 16 ans. ‘’Mon prof, dit-elle, m’a invitée chez lui et m’a clairement proposée de sortir avec lui en échange de notes et des moyens. J’ai dit non, parce que quand ils te disent ça, c’est parce qu’ils veulent te mettre enceinte. Ensuite, ils te laissent toute seule avec ton enfant. Après, il est devenu méchant avec moi. J’en ai alors parlé avec le directeur qui a discuté avec lui. Il a nié les faits, mais les représailles ont cessé, depuis lors.’’

Une innocente a certes été sauvée des griffes d’un pervers, mais le danger reste permanent. Car le délinquant sexuel vaque toujours à ses occupations. Aïssatou confirme : ‘’Il n’a pas du tout arrêté ses agissements. Je connais au moins une personne qu’il continuait d’exploiter. C’est une amie. D’ailleurs, il a fini par l’enceinter et aucune mesure disciplinaire n’a été prise à son encontre.’’

‘’Nous ne voulons pas qu’ils nous frappent sur nos fesses…’’

‘’Nous ne voulons pas qu’ils nous frappent sur nos fesses ou nous touchent’’, confie à son tour Amy, 14 ans, qui estime en avoir été elle-même victime. Un professeur, renseigne-t-elle, lui a une fois donné une claque aux fesses. ‘’J’étais outrée’’.

Malgré les cris du cœur, malgré les multiples complaintes, le phénomène semble élire domicile dans les écoles du Sénégal. Il a pris une ampleur telle que nombre des acteurs ont fini de le banaliser. ‘’Tellement c’est fréquent, affirme la responsable des questions de genre à l’inspection de Kolda, Awa Kandé, qui ajoute : ‘’Plusieurs personnes ont signalé des enseignants qui épousent leurs élèves, après les avoir mises enceintes. Dans certains cas, les parents négocient la prise en charge des frais médicaux pendant la grossesse et une petite allocation.’’ Et comme dans la plupart des cas, la plus grande perdante c’est la fille qui, d’un jour à l’autre, voit sa vie basculer : arrêt de son cursus, stigmatisation de la société, rejet de la famille dans certains cas… Et pour ne rien arranger, elles se retrouvent avec, dans les bras, un nourrisson vomi par son propre père.

Aïcha Ba, Ziguinchor : ‘’Je connais un enseignant qui est en prison depuis 2016 (l’entretien a eu lieu en 2017), parce qu’il avait enceinté son élève et l’a refusé. Quand le bébé est né, on a fait un test Adn qui a confirmé qu’il en est bien l’auteur. Les parents de la fille ont porté plainte et c’est ainsi qu’il a été arrêté.’’ Il n’est pas le seul.

En effet, malgré l’omerta qui semble être érigé en règle, il arrive que des cas soient détectés et parfois sévèrement réprimés. A Médina Yoro Foula, renseigne Koumba Ndiaye de la Brigade de dénonciation des violences faites aux filles et aux femmes, un enseignant a été poursuivi pour viol sur son élève mineure de 12 ans, dans son bureau. Il a été condamné à 4 ans de prison. C’était en 2014. La directrice de la maison d’accueil de Kullimaaro à Ziguinchor, elle, renseigne qu’un enseignant a été également jugé pour viol sur une élève de 16 ans.

La racine du mal 

Selon l’organisation Human Rights Watch, le terreau fertile de toute cette prédation est bien la pauvreté, la quête de réussite, mais aussi la loi de l’omerta qui encourage les abus de toutes sortes des professeurs sur leurs élèves. A cause de la précarité, ‘’les enseignants les attirent avec des promesses d’argent, de bonnes notes, de nourritures ou de biens matériels comme des téléphones portables ou nouveaux vêtements’’, fait savoir le rapport.

Au-delà des professeurs, les parents sont également mis au banc des accusés, dans certains cas. Néné Marichou, Youth Woman for Action, rapporte ce témoignage qu’elle a requis d’une fille dans la banlieue dakaroise : ‘’Ma maman me dit d’aller chercher le diner. Elle me dit que je ne sers à rien dans la maison…’’ Autant de facteurs qui poussent, d’après elle, à les considérer comme complices. Pour Elin Martinez, chercheure à Human Rights Watch, à ce jour, il est difficile de quantifier avec précision l’ampleur du mal : ‘’C’est très difficile de parler de la prévalence, puisque beaucoup de cas sont méconnus, du fait du silence des victimes et de leurs familles’’, argue-t-elle.

La loi de l’omerta

Pour les organisations de défense des Droits de l’homme, les actes de sensibilisation ne manquent pas. Mais, selon toute vraisemblance, les prêches semblent tomber dans l’oreille de sourds. Les panélistes appellent ainsi les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités. ‘’Le gouvernement doit clairement indiquer que toute relation sexuelle entre le personnel enseignant et les élèves, ainsi que l’exploitation et la coercition en échange de notes, d’argent ou d’articles de base  est formellement interdite et passible de sanctions disciplinaires’’, plaide Mme Martinez. Toutefois, le rapport a tenu à signaler que les enseignants ne sont pas les seuls à profiter de la vulnérabilité des couches concernées.

‘’Les filles sont aussi victimes d’abus de la part de leurs pairs (les élèves de l’autre sexe), des commerçants, chauffeurs de taxi…’’. Pour les droit-de-l’hommistes, l’heure est venue de rompre le silence et mener des actions concrètes. Aussi, ils exhortent l’Etat à adopter un ‘’Code de conduite national contraignant, décrivant les obligations des enseignants, des responsables scolaires et des acteurs de l’éducation vis-à-vis des élèves’’.

Ce que disent les textes

La cérémonie de présentation du rapport, hier, a permis à la représentante de l’Association des juristes sénégalaises (Ajs) de revenir sur les concepts. Elle a rappelé que le viol est défini par l’article 320 du Code pénal comme étant tout acte de pénétration sexuelle de quelque nature qu’elle soit, par contrainte, violence, menace ou surprise. ‘’Le problème qui se pose avec les mineurs, c’est qu’ils ne peuvent consentir. Il faut donc revenir sur les concepts pour les clarifier’’. Quant à l’exploitation sexuelle, elle renvoie, selon elle, à toute personne qui tire profit de la sexualité d’autrui. Ça peut être le proxénétisme, l’incitation à la débauche…

De même, la loi sanctionne également tout individu ayant ou tentant d’avoir des actes sexuels avec une fille en usant ou en abusant de son autorité. Dans ce cas de figure, les sanctions vont de 6 mois à 3 ans. ‘’Ce sont généralement des enfants qui sont dans le besoin. L’adulte en a conscience et en profite. Souvent, c’est ce que j’ai pu constater dans la banlieue et la Petite Côte où je travaille’’, informe pour sa part Néné Maricou.

Les chiffres de la honte

Depuis 2013, seuls 24 enseignants ont été traduits devant la justice pour des faits de viol ou actes de pédophilie. Pourtant, expliquent les enquêteurs, plusieurs études montrent que le mal est beaucoup plus profond. ‘’Les violences sexuelles et sexistes liées aux écoles constituent un grave problème dans le système éducatif du pays’’, estiment les panélistes. En 2012, rappelle la responsable à Human Rights, le ministère de l’Education avait fait une étude dans 4 régions du Sénégal. Et 37 % des personnes enquêtées avaient déclaré être victimes de harcèlement sexuel, 13 % de la pédophilie (attouchements ou caresses dans les parties intimes des enfants de moins de 16 ans), près de 14 % ont déclaré avoir fait l’objet de viol. L’enquête avait aussi révélé, dit-elle, que les enseignants sont les premiers responsables, soit 42 % des cas concernés. Suffisant pour demander des réponses appropriées. ‘’C’est au gouvernement d’approfondir les recherches, puisque c’est de sa responsabilité d’apporter des solutions à ces problèmes’’, plaide-t-elle.

Selon des chiffres du ministère de la Justice, en 2014, 3 600 cas de viol ont été répertoriés au niveau des tribunaux. Néné Maricou de renchérir : ‘’Dans notre réseau, chaque année, dans chaque centre, nous enregistrons plus de 100 enfants victimes de violences sexuelles. Et ça n’a rien à voir avec l’exploitation sexuelle que nous enregistrons dans la banlieue et ailleurs.’’ Combien sont passées par pertes et profits ?

MOR AMAR

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