Publié le 9 Jul 2019 - 00:21
RASSEMBLEMENT AAR LI NU BOKK

La Can et le préfet limitent la mobilisation

 

A défaut de la mobilisation réussie du 21 juin dernier, c'est une protestation moyenne qui a sanctionné la marche de samedi dernier. Les organisateurs ont dénoncé l'autorisation préfectorale tardive et l'inaccessibilité organisée. Ils promettent de remettre ça samedi prochain. A Guédiawaye. 

 

A la place de la Nation (ex-Obélisque) les barrières sont assaillies par un groupe de gens de divers âges. Une sono surpuissante saisit le piéton venant du marché de Colobane où un dispositif sécuritaire dévie tous les véhicules qui s'aventurent sur la route. Beaucoup de personnes sont regroupées. L'Obélisque est pleine de personnes, mais ce sont les amateurs de foot qui suivent le classique de la Coupe d'Afrique des nations, Cameroun-Ghana, dans la fan-zone dédiée à cet effet, en lieu et place des manifestants de la plateforme Aar Li Nu Bokk. Il faut progresser, à pied, jusqu'au rond-point du Centenaire, pour apercevoir les gilets orange revendiquant ''Sunu pétrole'', des ‘’khalifistes’’ en tee-shirts blancs demandant la libération du maire révoqué, divers écriteaux brocardant le maire de Guédiawaye Aliou Sall et beaucoup d'autres individus sans signes apparents de protestation.

Ce samedi, ils étaient moins nombreux, pour cette deuxième manifestation autorisée de la plateforme Aar Li Nu Bokk pour la transparence dans les contrats pétroliers. La faute à une autorisation préfectorale tombée assez tard.

''Votre mobilisation est de qualité, car on a reçu l'accord du préfet à midi, pour un rassemblement qui devait commencer à 15 h. Normalement, on devait avoir sa réponse 48 heures avant'', déclare le coordonnateur de Y'en a marre, Aliou Sané. ''On est un peuple debout et digne. Que vous soyez 5, 100 ou 1 million, l'essentiel est qu'il y ait des gens dignes'', s'enflammera à son tour le coordonnateur de la plateforme, Dr Cheikh Tidiane Dièye. La perpétuation de l'acte est déjà inscrite dans l'agenda hebdomadaire, ''avec ou sans autorisation'', et samedi prochain, Guédiawaye, le fief de la principale personne citée dans cette affaire, le maire Aliou Sall, sera le point de rassemblement de Aar Li Nu Bokk.

''La bataille de Guédiawaye aura lieu''

''La bataille de Guédiawaye aura lieu'', scandera Dr Dièye, à la fin de son temps de parole, annonçant déjà que ce ne sera pas une partie facile. Une tournée dans les localités de l'intérieur du pays devrait également ponctuer les actions de la plateforme.

Mais M. Dièye n'a pas été le seul à dénoncer les procédés qui ont limité la grande mobilisation escomptée. Le maitre de cérémonie de ce rassemblement, Fou Malade, s'en est pris aux forces de l'ordre qui ont bunkerisé l'accès au rond-point. Les individus véhiculés devaient marcher sur quelques 300 ou 400 mètres pour rejoindre les manifestants. ''Le dispositif est fait de telle sorte qu'on empêche l'accès. Indignez-vous ! Ce n'est pas ça la démocratie. Voyez comment ils ont quadrillé la Rts, Colobane et la Médina pour empêcher les véhicules d'accéder ici. Tout autre acte que de sécuriser les manifestants rendra la police complice. C'est pour rendre la mobilisation inefficace. Nous sommes des citoyens de qualité. Nous sommes de qualité !'', a harangué le rappeur.

Une rengaine reprise par le public avec des applaudissements nourris. Le rassemblement a bien eu lieu, mais rien à voir avec celle d'il y a une quinzaine de jours. Le lieu de la manif, dont le passé récent traumatise les riverains, a également été l'objet d'enjeux. ''Nous résidents de Colobane n'avons jamais interdit un rassemblement de cette envergure qui a beaucoup à voir avec l'intérêt général. La place de la Nation appartient à tous. Aliou Sall ne dormira pas, son grand frère non plus'', a déclaré Pape Sy, au nom des jeunes de Colobane.

Le maire de Mermoz Sacré-Cœur a, quant à lui, insisté sur la constance d'un pareil rassemblement. ''Nous serons là, la semaine prochaine. Nous serons là le mois prochain, et l'année prochaine jusqu'à lumière totale sur cette affaire'', a avancé Barthélémy Dias. 

Forum populaire 

Qu'à cela ne tienne, la mobilisation qui a duré quatre heures s'est déroulée sous forme d'un forum populaire où, aux questions posées par des citoyens lambda, de tout âge, des spécialistes de la question ou des membres de la société civile ont répondu. Une liste ouverte des questions qui se posent pratiquement, depuis quelque temps, sur la préemption non appliquée par le gouvernement sénégalais, les conflits d'intérêt, la publication intégrale et leur traduction en langues nationales de tous les contrats, la renégociation des contrats...

Sur ce dernier point, plusieurs intervenants, dont Cheikh Tidiane Dièye et Amadou Guèye de l'Unis, affirment que la Chambre administrative de la Cour suprême est saisie par un recours pour ''faux et usage de faux sur un contrat antidaté, ainsi qu'à cause des fausses déclarations de Timis (...) On va annuler ces contrats en usant du droit. La décision d'approuver ces contrats est basée sur du faux'', estime M. Guèye. Tandis que Dr Dièye, qui a confirmé la constitution de partie civile à la Cour suprême pour casser le décret, lance un ultimatum. ''Que Macky Sall déclassifie le rapport de l'Ige avant une semaine. Autrement, on va faire signer une pétition et s'organiser pour que 1 million de Sénégalais aillent le lui remettre. On verra bien, si on pourra tous les arrêter''.  

Pour Amadou Guèye, la boutade sur les 400 000 F Cfa est même inexacte, si l'on considère que la production pétrolière devrait apporter ''6 600 milliards par an, soit 15 milliards par jour''. Richard Kengpé, dans le même sillage, annoncera que les réserves gazières placent le Sénégal au 5e rang africain et 27e dans le monde et que les retombées pourraient être de l'ordre de ''2 millions 366 mille pour chaque Sénégalais, au lieu de 400 000''.

Cependant, il a avancé qu'une telle pensée est à bannir, au nom d'une ambition qui ferait réinjecter les fonds dans des circuits comme l'industrialisation lourde.

L'activiste Guy Marius Sagna s'est lui offusqué de la rhétorique des autorités tendant à faire du pétrole et du gaz une question élitiste. ''Ce n'est pas un débat technique. S'ils disent cela, c'est pour isoler le peuple. On dispose dans notre sous-sol d'or, de phosphate, de poissons dans la mer, bref, de toutes les ressources extractives. Comment accepter qu'on ait tout ça et faire partie des 25 pays les plus pauvres au monde ?'', s'est-il interrogé.

Le leader de Frapp/France Dégage est d'avis que cette polémique sur les ressources minérales pose en filigrane celle du système politique hyper présidentiel dont ''le chef a un pouvoir de vie et de mort sur tous''.

En tout cas, la renégociation des contrats et le recouvrement de toutes ces sommes pourraient faire faire au Sénégal un grand bond en avant sur le plan économique, d'après le coordonnateur de la plateforme Aar Li Nu Bokk. ''On veut que le Sénégal soit le premier miracle africain, en termes de développement, avec ces ressources. C'est possible'', a expliqué Cheikh Tidiane Dièye. 

Barthélémy Dias : ''Aucun pays ne s'est développé avec le ballon rond''

Quoique le mouvement se soit voulu citoyen, les identités remarquables de la politique s'y sont invitées. Le maire de Mermoz Sacré-Cœur estime que la priorité à devoir clarifier cette affaire doit même primer sur la prochaine échéance électorale, l'agenda politique de manière générale et l'euphorie autour du parcours des Lions en Can.

''On sait qu'on est qualifié en quarts. Je félicite les joueurs, mais il faut que les Sénégalais sachent qu'aucun pays ne s'est développé avec le ballon rond. Qu'on se concentre sur l'essentiel, car tout le reste, c'est pour nous divertir'', a déclaré le maire. De la même manière, il a demandé que soit mise en veilleuse la programmation politique. ''Qu'on ne nous parle pas de cautions aux Locales, de fichier ou de dialogue, mais de pétrole et de gaz. Soyez plus forts. Aar Li Nu Bokk, vous êtes l'espoir. Il n'y aura pas de dialogue sans transparence. Ceux qui s'y sont engagés doivent réclamer ça, au moins'', a fait savoir Barthélémy Dias qui s'inquiète de la portée de ce scandale qui ''ne concerne que deux puits''. 

''Alors que dire de la dizaine d'autres ?''. Pour lui, Macky Sall a bel et bien le pouvoir de casser le contrat, comme il l'a fait en constatant l'inégalité dans le contrat à l'Aibd ou comme l'avait fait son prédécesseur, Me Abdoulaye Wade, dans le domaine de l'eau avec Hydro Hélio Québec. 

Le leader du Pastef, Ousmane Sonko, n'a pas boudé son plaisir de mettre les frères Sall devant la nécessité d'assumer leurs actes. Il estime, toutefois, que c'est le chef de l'État qui est le principal responsable de cette situation dans les ressources minérales, mais extractives de manière générale. ''Macky a bazardé le fer au Turc Tosyali. Ce sera comme le pétrole. La renégociation s'impose. La pression a fait lâcher Aliou Sall. Mais même s'il démissionnait de sa famille, ça ne pourrait absolument pas absoudre le principal responsable qu'est Macky Sall'', a-t-il déploré, en tant qu'antépénultième intervenant d'un rassemblement pacifique où la question de la mobilisation ou de la remobilisation pour Guédiawaye occupe déjà tous les esprits.

''Les régions ne doivent pas mobiliser plus que Dakar. Seule la pression de la rue pourra permettre le rapatriement de nos avoirs pétroliers'', a conclu le leader de Pastef. 

OUSMANE LAYE DIOP

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