Publié le 11 Nov 2018 - 14:15
RECEVABILITE DU RECOURS DE LA SDE ET DE VEOLIA DEVANT L’ARMP

Ce que dit le Code des marchés publics

 

Alors que le contrat d’affermage de la SDE prend fin dans un peu plus d’un mois, la guerre continue de faire rage entre la SDE et l’Etat du Sénégal. Saisie du litige, l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) a suspendu la procédure d’attribution en attendant de statuer sur le fond. Les spécialistes expliquent pour EnQuête les suites de la procédure, les chances des requérants (SDE et Veolia), ainsi que les non-dits d’une procédure qui est loin de livrer son verdict.

 

La guerre de l’eau se poursuit. Cette fois, c’est l’Autorité de régulation des marchés publics (Armp) qui sert de ring aux gladiateurs : Sde et Veolia contre Etat du Sénégal. Le moins que l’on puisse dire est que le combat risque d’être épique, car les parties promettent de ne se faire aucun cadeau. Avec la recevabilité du recours, d’aucuns ont vite fait de parler de désaveu du ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement. Eh bien, il n’en est rien. En effet, la suspension de la décision d’attribution est la conséquence normale de la recevabilité prononcée du recours de la Sde et de Veolia.

Il ressort, en effet, de l’article 91 du Code des marchés publics que, dès lors que le recours a été jugé recevable, le Comité de règlement des différends ordonne à l’autorité contractante la suspension de la procédure de passation du marché. Il ne peut y être dérogé que dans le cas où l’autorité contractante certifie, par notification écrite, que la suspension porterait atteinte aux intérêts essentiels de l’Etat résultant de situations d’urgence impérieuse liées à une catastrophe naturelle ou technologique.

Etant loin d’une telle hypothèse, c’est donc de manière tout à fait normale que l’attribution du marché a été suspendue. Donc, à ce jour, il est très tôt de sourire ou de pleurer. Les souffles restent suspendus à la décision de l’Autorité de régulation des marchés qui va devoir éclairer la lanterne dans cette affaire qui tient en haleine toute la République, vu l’enjeu financier non négligeable, ainsi que la sensibilité du marché.

La clé de l’énigme

Ainsi donc, c’est une étape de franchie dans cette bataille juridico-économique que mène la Sénégalaise des eaux au ministère en charge de l’Hydraulique et de l’Assainissement. Une bataille loin d’être gagnée, si l’on en croit des spécialistes en la matière. Pour statuer, l’Armp devra recevoir de l’autorité contractante (Mha), trois documents principaux ainsi que d’autres pièces complémentaires. Il s’agit d’abord du cahier des charges dans laquelle sont censées être établies toutes les attentes de l’Etat, en ce qui concerne ce marché tant convoité. Ensuite, il y a les offres des différentes entreprises concernées par la procédure. Enfin, il y a le rapport d’évaluation du comité technique mis en place par le ministère pour départager les différents soumissionnaires. Nous sources renseignent que deux hypothèses sont possibles. La première est le rejet de la requête. En pareil cas, les requérants pourraient aller devant la Cour suprême, à travers un recours pour excès de pouvoir. La deuxième hypothèse, c’est l’annulation de la décision d’attribution du marché qui peut être absolue ou relative.

Dans la première, le comité de règlement des différends demande à ce que toute la procédure soit reprise. Une telle décision est peu probable, si l’on sait que le contrat d’affermage en cours arrive à échéance le 31 décembre prochain. Matériellement, expliquent nos interlocuteurs, il serait impossible de refaire la procédure. Par contre, l’autorité de régulation a aussi la latitude de demander à ce que le Mha procède à la réévaluation des offres.

Il faut donc retenir que jusque-là il n’y a pas de quoi fouetter un chat. Pour dire si la requête est recevable ou pas, l’organe de régulation vérifie juste si les délais ont été respectés, si la consignation a été versée. Si les deux conditions sont réunies, elle prononce la suspension, en attendant d’examiner la requête sur le fond. Aussi, faut-il le rappeler, dans cette affaire, il y a deux arguments principaux qui s’affrontent. D’une part, il est avéré que la SDE, suite à la procédure d’appel d’offre, a fait l’offre la moins disante avec 277 franc CFA pour le prix du m3 d’eau contre 298,5 francs pour SUEZ. Cette dernière est cependant créditée d’avoir fait la meilleure offre technique, la SDE troisième à ce niveau.

A en croire les gens de la SDE, les phases d’évaluation techniques et financières sont totalement distinctes. Leur entreprise ayant été retenue parmi les trois finalistes, l’on ne saurait leur opposer des arguments d’ordre techniques dans la deuxième phase qui est financière. Pour rappel, dans le futur contrat, le capital social sera réparti comme suit : 45% pour l’adjudicataire, 25% pour l’Etat du Sénégal, 25% pour le privé national, 5% pour les travailleurs.

Et comme l’indiquait EnQuête dans son édition du mardi 6 novembre, au-delà de la guerre franco-française entre Suez, Eranove et Veolia, il y a une bataille sous-jacente entre hommes d’affaires nationaux pour le contrôle des 25% de ce business lucratif réservé au secteur privé. Le peuple, lui, soulignent nos interlocuteurs, exige la disponibilité de l’eau en quantité et qualité suffisantes. Mais aussi, à ce que ses intérêts financiers priment sur ceux des prédateurs.

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REGULATION DES MARCHES PUBLICS

Pourquoi l’ARMP n’inspire plus confiance

Avec les recours de la SDE et de Veolia, se pose une nouvelle fois la question de la crédibilité de l’organe de régulation dont le Directeur général est maintenu en poste, depuis plus d’un an.

La balle étant maintenant dans le camp de l’autorité de régulation des marchés, tous les projecteurs sont réorientés vers cette institution qui avait fini de plonger presque dans l’oubli. Depuis quelques temps, en effet, même ses rapports qui, à une autre époque, faisaient tant saliver, ne font plus courir. D’ailleurs, des sources donnent peu de chance à la Sénégalaise des eaux. Car, estiment-elles, cela fait longtemps que l’ARMP a cessé ou presque de jouer son rôle de gendarme des marchés. ‘’Les chances des requérants sont minces. On ne peut attendre grand-chose d’un DG illégal et illégitime’’, accuse notre interlocuteur.

En effet, cela fait plus d’un an que Saer Niang est maintenu à son poste de directeur général de l’organe de régulation, en toute illégalité. En effet, l’article 24 du décret 2007-546 du 25 avril 2007 indique clairement que : ‘’la direction générale de l’Armp est assurée par le directeur général, recruté sur appel d’offres, par le Conseil de régulation, sur la base de critères d’intégrité morale, de qualification et d’expérience dans les domaines juridiques, techniques et économiques des marchés publics et délégations de service public’’. A son alinéa 2, le même article dispose que ‘’le directeur général est nommé par décret sur proposition du Conseil de régulation pour un mandat de 3 ans renouvelable une seule fois’’. Il en résulte que le mandat de Saer Niang a pris fin, depuis le 31 janvier 2017. C’est par décret n°2017-349 du 24 février 2017 que le président de la République a décidé de prolonger son règne, en méconnaissance des dispositions précitées.

Pour ces raisons, d’aucuns n’accordent plus one once de crédibilité à cet organe dont les délibérations, autrefois, étaient dogmes et faisaient les choux gras de la presse. Pour rappel, c’est par le décret n°2011-143 du 27 janvier 2011 que Saer Niang a été nommé à la tête de l’Armp en remplacement de Youssouf Sakho. Ce dernier, au terme de son premier mandat, a préféré partir volontairement. Alors que l’opposition à l’époque évoquait des pressions du pouvoir visant à le faire partir, il disait : ‘’En venant à l’Armp, il était prévu que je fasse un mandat de trois ans renouvelable une seule fois. Ce mandat, avec l’aide de Dieu, touche à sa fin.

J’ai demandé à ce que la procédure de recrutement du nouveau directeur général soit diligentée avant la fin de mon mandat afin qu’il n’y ait pas de vacance de poste’’. Il allait même plus loin, en affirmant qu’il n’a jamais fait l’objet de pression quelconque et même que la collaboration avec les autorités de l’époque était au beau fixe. ‘’Mon départ, ajoutait-il, est une question de déroulement naturel d’une carrière. Après un mandat de challenge, il faut laisser la place à un autre et passer à autre chose’’. C’était à plus de 5 mois de son départ finalement.

Apparemment, Saer Niang, plus d’un an après ses deux mandats réguliers, n’est toujours pas dans les dispositions de quitter la barque.

 

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