Publié le 30 Aug 2019 - 02:19
RECOMPENSE DES ATHLETES SENEGALAIS

Lésion des sports gagnants 

 

Le football et le basket-ball s’adjugent la part du lion, dans les récompenses faites aux sportifs sénégalais. Ils ont récemment été honorés, malgré leurs échecs répétitifs, au moment où d’autres athlètes beaucoup plus méritants courent derrière une première audience avec le président de la République.     

 

L’universalisme fait la beauté du sport qui bannit tout sectarisme et toute discrimination. Au Sénégal, les autorités semblent oublier ce principe, au moment de récompenser les sportifs. La politique prend le pas sur toutes les autres considérations. Sinon, comment comprendre que les athlètes du football et du basket aient reçu des millions de francs Cfa et d’autres biens, alors qu’ils n’ont rien gagné, sinon des accessits, alors que les autres, dans des disciplines moins cotées aux yeux de ces mêmes autorités, ne reçoivent aucun kopeck et sont royalement ignorés, malgré les sacres continentaux ou mondiaux.

Dernièrement, les Lions du football, vice-champions d’Afrique des nations (2019) ont été royalement reçus et récompensés par le chef de l’Etat. Qui a remis, à chacun d’eux, la somme de 20 millions de francs ainsi qu’aux différents membres de l’encadrement technique. L’autorité ne s’est pas arrêtée là.  Elle a également récompensé les basketteuses. Les Lionnes du  basket, battues à domicile en finale de l’Afrobasket-2019, ont eu droit, chacune, à 10 millions de francs Cfa et un appartement à la nouvelle ville de Diamniadio (région de Dakar). Le ministre Matar Ba a annoncé, dans la foulée de cette finale perdue, que les basketteuses seront honorées par le président Macky Sall.

Le football et le basket-ball sénégalais sont récompensés au moment où d’autres disciplines sont laissées en rade. Le Beach soccer a décroché la coupe d’Afrique, en décembre 2018. Les karatékas ont fait autant. Ils ont remporté la médaille d’or des champions d’Afrique de kumité, le 14 juillet 2019 à Gaborone (Botswana). Ces athlètes n’ont reçu aucun sou des mains des autorités du gouvernement, malgré leurs performances de grande envergure. D’ailleurs, l’équipe nationale de Beach soccer est quintuple championne d’Afrique. Les protégés du coach Ngalla Sylla sont réguliers également à la Coupe du monde. Cette régularité a été sanctionnée par deux qualifications en quarts de finale. Les footballeurs de plage sont aussi qualifiés à la Coupe du monde prévue au Paraguay (Amérique du Sud) du 21 novembre au 1er décembre 2019.   

Le Beach soccer a réussi là où le basket et le football ont échoué. A titre comparatif, pendant que les Lionnes du basket peinent, pour la deuxième édition de suite, à accéder à la plus haute marche du podium devant les Ladys Tigers du Nigeria, les footballeurs de plage avaient fini de triompher, pour la deuxième fois, en finale contre le même pays.

Le scrabble s’est aussi illustré, cette année, avec le rang de vice-champion du monde décroché par Ndongo Samba Sylla à la 44e édition du Mondial de scrabble francophone tenue à Louvain-La-Neuve (Belgique). Le Sénégal avait aussi remporté le titre de champion du monde en 2016 en duo. Une performance réalisée à l’époque, grâce au concours de Ndongo Samba et de son frère Matar Sylla.

Depuis toujours, les acteurs du football et ceux de la balle orange captent toute la lumière et également l’attention des autorités qui n’ont d’yeux que pour eux et surtout les foules qu’ils drainent sur leur sillage. D’ailleurs, les handballeuses prendront part au Mondial-2019 au Japon (30 novembre-15 décembre) grâce à leur statut de vice-championnes d’Afrique. Doungou Camara et compagnie ont perdu la finale des championnats d’Afrique de handball de 2018 (14-19) comme les footballeurs et les basketteuses. Mais jamais elles n’ont vu la couleur de l’argent.     

Priorité aux sports populaires

Ainsi, les autorités ont décidé de prioriser les disciplines sportives les plus populaires : le football et le basket-ball. L’octroi de la prime spéciale de 20 millions de F Cfa à chaque Lion du football est intervenu le jour de l’audience improvisée que le chef de l’Etat leur a accordée, au lendemain de leur défaite (0-1) contre l’Algérie en finale de Can (Egypte-2019). Sadio Mané et ses coéquipiers avaient été reçus, après l’accueil triomphal que les milliers de supporters leur avaient réservé à leur descente d’avion à l’aéroport international de Yoff. Les autorités étatiques, surprises par l’immense foule courant derrière les Lions, ont demandé aux fédéraux de conduire la caravane au palais de la République.

La promesse d’offrir une indemnité de 10 millions de francs Cfa et un appartement à Diamniadio aux Lionnes du basket procède du même opportunisme. L’annonce a été faite devant plus de 15 000 spectateurs présents au complexe sportif Dakar Arena de Diamniadio. Pendant ce temps, le Beach soccer coure derrière une audience avec les autorités étatiques.

‘’C’est une erreur monumentale de faire preuve de partialité’’

Cette situation ne plait pas à l’entraîneur adjoint de l’équipe nationale de foot de plage. Mamadou Diallo y voit une injustice de la part des autorités étatiques dans leur façon de traiter les athlètes sénégalais, même s’il reconnait les résultats satisfaisants des sports populaires. ‘’Le basket et le football sont dignes des récompenses qu’ils reçoivent, cela ne fait aucun doute. Mais je dis que c’est une erreur monumentale, de la part de nos dirigeants, de faire preuve de partialité, en laissant presque en rade les autres sportifs, d’autant plus que ceux-ci représentent toujours dignement notre pays, avec à la clé plusieurs trophées. En sus, c’est un manque de considération qui, à la longue, pourrait peut-être décourager tous ces jeunes qui aspirent à évoluer dans des disciplines autres que le football et le basket’’, regrette le technicien.

A ses yeux, la reconnaissance de l’Etat à l’égard des disciplines sportives ne doit pas être forcément financière, mais symbolique, car tous les athlètes font figure d’ambassadeurs du Sénégal.  ‘’Le karaté, le handball, le roller méritent une attention particulière.  Les jeunes  sportifs sénégalais ont réalisé beaucoup de performances et le plus important, pour eux, c’est ce symbole que constituerait le fait d’être reçu  par le président de la République’’, souligne le technicien.

Le football de plage, quintuple champion d’Afrique, tout comme le handball, le karaté, du roller, le scrabble, l’athlétisme… sont les parents pauvres du sport sénégalais. Une injustice que les autorités devraient s’empresser de réparer dans un futur proche.

MATAR BA, MINISTRE DES SPORTS

‘’On ne peut pas mettre toutes les disciplines sur la même table’’

‘’Les récompenses pécuniaires relèvent de la volonté du président de la République. Les athlètes essaient de faire le meilleur d’eux-mêmes, mais il revient au chef de l’Etat d’apprécier le montant à attribuer aux athlètes, à la fin de chaque compétition. Ce qui est important, c’est que le chef de l’Etat est en train de se battre pour accompagner tous les sports.

Chaque discipline sportive a vu ses conditions s’améliorer, même si beaucoup de sportifs ne sont pas encore reçus par le président de la République. La réception, par le chef de l’Etat, ne doit pas être une condition pour qu’un athlète se batte au profit de son pays. Les disciplines qui ne sont pas encore reçues doivent passer par leurs fédérations respectives. Le Beach soccer a fait beaucoup de résultats positifs.

C’est pourquoi j’ai instruit le président de la Fédération sénégalaise de football, Augustin Senghor, de demander une audience pour ce sport. Il n’y a pas une discipline sportive qui est discriminée, même si l’Etat ne peut pas les mettre tous sur une même table. Nous avons 55 fédérations et associations sportives à gérer. J’invite tous les acteurs du monde sportif à travailler la main dans la main, afin d’améliorer nos conditions de participation et de préparation. Cela nous permettra d’avoir des résultats meilleurs que ceux que nous avons enregistrés, ces dernières années.’’   

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BAMBA KASSE, JOURNALISTE SPORTIF

‘’Il faut réactualiser le tableau des récompenses’’

Le secrétaire général de l’Association nationale de la presse sportive, Bamba Kassé, estime que les autorités doivent revoir la manière de récompenser les athlètes sénégalais. Selon le journaliste de l’Agence de presse sénégalaise (Aps), l’Etat peut réactualiser le tableau des récompenses et mettre tout le monde sur le même pied.

 Quelle analyse faites-vous des récompenses attribuées aux footballeurs et basketteuses sénégalais, malgré leur statut de vice-champions d’Afrique en 2019 ?

Je pense que récompenser un sportif pour avoir fait un parcours honorable ou avoir réalisé une performance sportive est une chose très courante dans le monde. Habituellement, dans le monde du football moderne, chaque étape d’une compétition majeure équivaut à une prime. Maintenant, ces primes ont été négociées au Sénégal. Mais le chef de l’Etat peut le faire, selon l’engouement suscité par les disciplines sportives ou sa satisfaction personnelle. Donc, c’est lui qui attribue souvent des primes. Ça a été le cas, d’abord en 2015, avec les basketteuses qui avaient remporté l’Afrobasket-2015 au Cameroun. Il leur avait remis une prime de 10 millions et un appartement. Ça s’est poursuivi ensuite en 2015, avec les Lions des U20 du football. Ils avaient reçu chacun 13 millions, après leur qualification en demi-finales de Coupe du monde. Donc, je n’y vois aucun inconvénient. Tout dépend de la performance réalisée, de la disponibilité des fonds et de la volonté du président de la République de récompenser.

Mais je pense que la récompense d’un sportif ne doit pas être forcément liée à l’argent. Cela veut dire qu’elle ne doit pas être uniquement pécuniaire. Il y a beaucoup de types de récompense que le pays peut décerner à ses fils, comme l’ordre national du Mérite et l’ordre national du Lion. Je pense que nos autorités doivent penser à récompenser autrement que par l’argent, notamment dans les cas où la performance n’est pas complète. C’est comme le basket et le football en 2019. Ils n’ont pas été vainqueurs dans leurs compétitions. 

Le Beach soccer et le karaté n’ont pas été récompensés, alors qu’ils ont remporté des titres et des médailles d’or. Pensez-vous qu’il existe une politisation dans ces récompenses ? 

Pour moi, il n’y a pas de politisation dans la récompense des athlètes sénégalais. Il y a plutôt un vide concernant sa réglementation. Il n’existe pas, dans le règlement du sport sénégalais, un tableau spécifique. L’ancien ministre des Sports, Youssoupha Ndiaye, avait tenté de l’organiser, à l’époque. Il avait mis en place un tableau dont l’objectif était d’établir à l’avance les montants à verser aux athlètes qui ont réussi des performances au niveau zonal, continental ou international. Je pense que c’est ce tableau qui doit être remis au goût du jour, évaluer et réadapter par rapport au contexte actuel. Comme ça, on saura à l’avance quelle récompense donner au sportif, selon la performance qu’il a réalisée. Si on ne le fait pas, on continuera à avoir le sentiment qu’il y a deux types de sportifs sénégalais. Or, les athlètes sont tous des ambassadeurs du pays, nonobstant la différence des disciplines qu’ils pratiquent.

Donc, dans les normes, il devrait être tous au même pied par rapport aux ressources destinées aux récompenses.

Qu’est-ce que l’Etat doit faire pour mettre fin à ce déséquilibre ?  

 Ce qu’il faut, dans l’immédiat, c’est de réactualiser le tableau des récompenses. Cela permettra de savoir par rapport à l’arbitrage budgétaire les compétitions auxquelles les athlètes sénégalais vont prendre part et de prévoir, pour chaque type de compétition, des récompenses pécuniaires. Mais les autorités étatiques doivent réfléchir sur d’autres types de récompense. Il peut s’agir de la médaille de l’ordre nationale du Mérite ou de la médaille de l’ordre nationale du Lion. Il peut s’agir également d’une carte de reconnaissance. Cette distinction permettra à l’athlète de bénéficier d’une gratuité de soins médicaux pour lui et sa famille, tout au long de sa vie. Il faut que nos autorités cessent quelque part de monétiser les performances sportives.      

OUMAR BAYO BA

 

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