Publié le 27 Oct 2019 - 00:45
RECONFIGURATION DE L’ESPACE POLITIQUE

Massalikul Jinaane installe la confusion

 

Le rapprochement entre Abdoulaye Wade et Macky Sall instaure le qui-vive dans le landerneau politique. Depuis que cette éventualité est agitée, chaque entité tente de se réorganiser pour ne pas être laissée en rade. Dans ce contexte, ce sont les petits poucets qui risquent d’être rayés de la scène.

 

Wade flirte avec Macky. Idrissa Seck étale son charme devant Malick Gakou, Papa Diop, El Hadj Issa Sall… Aminata Mbengue Ndiaye drague Khalifa Ababacar Sall. Le lieutenant de ce dernier, Idrissa Diallo, annonce des pontes du régime qui souhaiteraient rallier son mentor dans la course à la Présidentielle de 2024….

L’espace politique connaitra, à n’en pas douter, des bouleversements profonds, dans les semaines et mois à venir. L’élément catalyseur, selon bon nombre d’observateurs, c’est la rencontre de Massalikul Jinaane, entre le président de la République Macky Sall et son prédécesseur Abdoulaye Wade. Depuis lors, c’est la course aux grands ensembles pour ne pas disparaitre.

Après plusieurs rencontres informelles, les alliés d’Idrissa Seck à la dernière Présidentielle ont enfin décidé de formaliser le cadre de concertation qu’ils avaient mis en place, au lendemain de la dernière Présidentielle. Pour Ass Babacar Guèye, il n’y a rien de surprenant. ‘’Pour moi, c’est un non évènement. Tous ces partis qui se sont réunis étaient dans la grande coalition XL d’Idy2019, lors de la Présidentielle de 2019. Depuis, ils n’ont jamais cessé de se parler. C’est juste une réaffirmation d’une volonté commune d’être ensemble dans l’opposition pour faire face au camp de Benno’’, souligne le secrétaire national en charge des élections de Rewmi.

Si l’on sait que les partis membres de cette grande coalition constituent l’essentiel des contributeurs du Front de résistance nationale (Frn), l’on s’interroge sur l’avenir de ce bloc qui, jusque-là, réunissait presque tous les partis de l’opposition. Pour M. Guèye, les objets ne sont pas les mêmes, du moment que leur structure partage le Frn avec des entités avec lesquelles ils n’ont pas la même vision. A l’en croire, le Frn a une mission beaucoup plus large. ‘’Sur les grandes questions de l’heure, nous sommes tous ensemble dans le cadre du front de résistance’’, argue-t-il.

Donc, le Rewmi, présentement, ne pense pas libéral, mais surtout Idy2019. Les retrouvailles libérales tant agitées sont royalement ignorées, du côté du parti d’Idrissa Seck qui pense surtout à renforcer la coalition qui l’avait accompagné à la dernière Présidentielle. S’il a perdu certaines grosses têtes de l’opposition sénégalaise comme l’ancien Premier ministre Abdoul Mbaye et le député Mamadou Lamine Diallo, son groupement pourrait se bonifier avec des arrivées comme Papa Diop, l’ancien candidat Issa Sall, entre autres. Et la porte est loin d’être fermée, selon Ass Babacar qui déclare : ‘’Nous avons un groupe ouvert.’’

Dans ce contexte marqué par la rencontre de Massalikul Jinaane et ses conséquences, l’on se demande si cet évènement n’a pas été un peu le catalyseur et a eu le mérite de tirer le leader de Rewmi de sa torpeur.

Selon le responsable de cette formation, il n’en est rien. ‘’Cela n’a pas du tout influé. Nous pensons que dans un pays normal, les anciens présidents doivent pouvoir se parler. Tant que c’est dans l’intérêt du Sénégal, cela ne pose pas de problème. Jusqu’à présent, nous n’avons pas vu quelque chose qui peut nuire à notre compréhension politique. Pour nous, c’est dans l’ordre normal des choses qu’un président parle avec son prédécesseur, qu’un père échange avec son fils’’, analyse-t-il.

Sur une éventuelle participation de Rewmi à des retrouvailles libérales, il se veut clair : ‘’On ne peut pas faire de la météo politique. Laissons le temps au temps. Pour le moment, cette question n’est pas agitée dans notre parti. On n’en a pas discuté. Bien qu’en politique, comme on a l’habitude de le dire, il ne faut jamais dire impossible.’’

Cette assertion a tout son sens, depuis la rencontre de Massalikul Jinaane. Alors que certains les croyaient défensivement éloignés à cause de l’emprisonnement du fils de Wade, des accusations et persécutions tous azimuts… le chef de l’Etat, Macky Sall, et son prédécesseur et ex-mentor se parlent à nouveau, après sept ans sans contact direct. Depuis, l’espace politique ne bruit que de ça. Retrouvailles par-ci, retrouvailles par-là…. A l’Alliance pour la république, on chante la rencontre Wade-Macky.

Certains, comme le coordonnateur départemental du Cojer à Rufisque, demandent même aux chefs de file d’aller plus loin. ‘’Je pense, dit le coordonnateur départemental du Cojer à Rufisque, que c’est un pas important qui vient d’être franchi dans les retrouvailles de la grande famille libérale. Ces retrouvailles, si elles se concrétisent, vont dans le sens de nos intérêts politiques et de ceux du peuple sénégalais. Il faut savoir que nous (les libéraux) constituons pratiquement 80 % de l’électorat. Si nous nous retrouvons et travaillons dans un projet commun, nous pouvons réaliser le rêve cher à Wade qui est de rester au pouvoir pendant au moins 50 ans. Pour moi, si nous sommes unis, on peut même faire plus de 50 ans et ce sera au bénéfice du Sénégal’’.

Serigne Mbacké Ndiaye : ‘’Dans la famille libérale, il y a aujourd’hui trop de déchirures’’

Pour sa part, l’ancien ministre Serigne Mbacké Ndiaye se dit tout fier et content de voir son vieux rêve prendre forme, même s’il n’est pas encore totalement réalisé. ‘’J’aime bien les retrouvailles. Dans la famille libérale, il y a aujourd’hui trop de déchirures. Nous devons tous nous réunir, discuter pour amener cette famille encore de l’avant, implore-t-il en rappelant : ‘’Je suis le théoricien et le praticien des retrouvailles de la grande famille libérale depuis 2012. Dès le 1er Comité directeur présidé par le président Abdoulaye Wade lui-même, je l’ai théorisée. Depuis lors, je ne travaillais que sur ça. Et je suis convaincu que c’est dans le domaine du possible. Cela s’est même réalisé, à la limite, parce qu’aujourd’hui la plupart des responsables du libéralisme sont avec le président de la République.’’

Selon lui, personne ne peut exclure l’ancien président de cette famille, du fait du rôle qu’il a joué dans son rayonnement en Afrique noire. ‘’Le père du libéralisme en Afrique noire s’appelle Abdoulaye Wade. C’est en 1979 qu’il s’est rendu au Congrès de l’International libéral à Ottawa. Il disait : ‘Nous serons les porte-drapeaux du libéralisme en Afrique noire.’ Ce n’était pas facile à l’époque, parce que les idéologies en vogue, c’était le socialisme démocratique et le marxisme-léniniste. Mais il l’a réalisé. Aujourd’hui, les libéraux sont largement majoritaires dans ce pays.’’

Mais bien au-delà, Serigne Mbacké Ndiaye estime qu’il est temps, pour le Sénégal, que toutes les grandes familles se regroupent. Que les libéraux soient ensemble, que les socialistes en fassent de même et que les marxistes-léninistes se retrouvent. ‘’Comme ça, nous aurons trois grandes familles politiques et ce serait tout bénéfique pour le jeu démocratique’’.

Pour le moment, on semble loin d’une telle configuration. Les intérêts individualistes semblent encore primer sur celles des grands ensembles. Même si, dans les déclarations, les retrouvailles droite, gauche, centre reviennent très souvent. Même avant la disparition d’Ousmane Tanor Dieng, la question était agitée, mais jusque-là rien de concret n’a été fait dans ce sens. Dernièrement, ils sont nombreux les responsables de premier plan à se prononcer en faveur de telles dynamiques.

Ancien président d’Amnesty International et désormais responsable du Bureau politique du Ps, Pierre Sané déclarait sur ‘’seneplus’’ : ‘’La gauche doit anticiper. Essayer de savoir ce qui se passera demain, si la coalition actuelle est sacrifiée à l’aune de ces retrouvailles. Il faut qu’on soit prêt, qu’on entame la réflexion dès maintenant.’’ A l’en croire, le futur du Ps repose sur trois conditions : les retrouvailles qui doivent être immédiates et sans condition, une introspection approfondie, sincère et objective pour voir les erreurs qui ont été commises en vue de les éviter à l’avenir et, enfin, le rassemblement de la gauche.

Mais ceci, force est de le constater, sera difficilement réalisable, dans la mesure où il est difficilement envisageable que certaines pontes socialistes qui tiennent des postes dans le régime du président Sall puissent les abandonner pour un avenir incertain avec Khalifa Sall, socialiste, à coup sûr, le plus représentatif.

Idy, la quête de la troisième voie

Ainsi, depuis Massalikul Jinaane, tous les grands partis essaient de se réorganiser. Chacun essaie de démontrer qu’il existe et tente de faire peur à l’adversaire. Idrissa Seck, oublié jusque-là dans la dynamique de retrouvailles des libéraux, tente de tracer une troisième voie pour faire face aux défis électoraux futurs. Aminata Mbengue Ndiaye, elle, n’a pas perdu du temps pour montrer à son allié Macky Sall que sa formation est encore là et serait prête à chercher de nouvelles alliances au cas où il souhaiterait s’en débarrasser…

Pendant ce temps, les entités les plus faibles, elles, sont carrément aux abois. Comme tétanisées, elles deviennent de simples spectateurs dans un espace politique en profonde mutation. Dans ce cercle, on pourrait inscrire tous ceux dont la légitimité ne reposait que sur la guerre froide entre Wade et Macky. De ce point de vue, certains estiment que ce sont les dissidents du Parti démocratique sénégalais qui se rapprochaient du régime qui risquent d’en pâtir le plus.

A moins qu’ils cherchent refuge dans de grands blocs comme celui de Khalifa Sall ou de l’autre libéral Idrissa Seck. Les jeux sont ouverts.

MOR AMAR

Section: