Publié le 5 Nov 2017 - 05:09
RECONFIGURATION POLITIQUE EN VUE

Les bleus à l’épreuve de la realpolitik

 

Le terrain politique national a ses réalités et les leaders politiques en rupture de ban avec leurs formations de base l’apprennent à leurs dépens. Thierno Alassane Sall, Khalifa Sall, Aïssata Tall Sall, Thierno Bocoum, Malick Gakou, Modou Diagne Fada ont en commun d’être relativement jeunes, ambitieux et déterminés à prendre en main leur destin politique. Un chemin long et semé d’embûches. L’ancien PM Abdoul Mbaye, arrivé en politique sur le tard, est aussi résolument engagé sur ce terrain glissant. Néophytes ou expérimentés, l’avenir politique de ce pays s’écrira avec eux.

 

Depuis l’avènement de la seconde alternance, des ruptures nées de dissidences internes jalonnent la vie des formations politiques du pays, du pouvoir comme de l’opposition. L’Alliance des forces de progrès de Moustapha Niasse, le Parti démocratique sénégalais d’Abdoulaye Wade, le Parti socialiste d’Ousmane Tanor Dieng, le Rewmi d’Idrissa Seck et l’Alliance pour la République du président Macky Sall (la liste est loin d’être exhaustive) n’échappent pas à la réalité du landerneau politique faite d’alliances et de ruptures. Parmi les départs les plus médiatisés, il y a ceux de Thierno Bocoum et de Thierno Alassane Sall.

Si le divorce est définitivement consommé pour certains (notamment les deux précités), pour d’autres, par contre, à l’image du maire de Dakar, le processus n’est pas encore à son terme. Une question sous-jacente à ce bouillonnement : qu’est-ce que cette nouvelle vague de leaders peut apporter à la planète politique déjà occupée par près de 276 partis et mouvements ? Ont-ils des chances de s’imposer face aux partis traditionnels ? Leurs départs peuvent-ils impacter sur la performance de leurs formations initiales ?  Autant d’interrogations qui méritent des réponses…

Thierno Alassane Sall, la revanche d’un révolté 

Après son départ du gouvernement de Dionne 1, le 2 mai dernier (démission ou limogeage, c’est selon), l’ex-ministre de l’Energie a entrepris de donner une autre trajectoire à sa carrière politique. Thierno Alassane Sall multiplie, actuellement, les rencontres avec ses sympathisants pour dessiner les contours de ce nouvel élan. Lui qui veut restaurer les valeurs qui ont toujours guidé son engagement en politique et qui devront guider une République digne de ce nom. D’où la dénomination de son mouvement ‘’La République des valeurs’’, lancé ce week-end en présence des leaders de l’opposition dont Idrissa Seck, Abdoul Mbaye, Ousmane Sonko, Cheikh Bamba Dièye et Me El Hadj Diouf, entre autres, venus accueillir leur nouveau membre.

Thierno Alassane Sall promet, donc, de faire la différence avec son mouvement qui, dit-il, aura pour but de ‘’proposer un pacte politique national qui aura les allures d’un mouvement de reconquête de la démocratie et de la souveraineté’’. Reste à savoir si cette offre trouvera preneur.

D’autant plus qu’à Thiès, son fief politique, la concurrence est rude. Il a en face de lui la cohorte des responsables républicains (Abdou Mbow (député), Pape Siré Dia (DG de La Poste) et Augustin Tine (ministre des Forces armées). Dans cette partie du pays, militent aussi d’autres responsables politiques de premier plan, notamment Idrissa Seck, patron du Rewmi, et ses lieutenants, l’ex-député Hélène Tine. Il lui sera compliqué de se constituer une base électorale solide et d’affirmer son leadership. Toutefois, fort d’une réputation d’homme de principe, le nouvel opposant peut s’y appuyer et se forger une identité politique attrayante et proposer une offre programmatique séduisante aux Thiessois et, par ricochet, aux Sénégalais.

A la veille des dernières élections législatives, l’ex-coordonnateur des Cadres républicains avait fait cette déclaration aux allures de profession de foi : ‘’Toute l'attention des Sénégalais sera braquée sur Thiès, le 30 juillet prochain, pour savoir si les Thiessois ont accepté l'asservissement par l'argent ou s'ils ont gardé intacte leur dignité légendaire.  Ce n'est plus, en tout cas, mon problème, car j'ai refusé là où je devais refuser. J'ai démissionné quand il fallait le faire. Il appartient maintenant aux Thiessois de réagir à travers les urnes. La cité des cheminots, le cœur du Cayor, qui est par ailleurs la quintessence du Sénégal, saura montrer que la dignité, la conscience et l'honnêteté vibrent encore dans le cœur de ses enfants et que le Thiessois n'est plus une marchandise.’’

Considérée comme un appel à un vote sanction, cette déclaration ne semble pas avoir produit l’effet escompté. Puisque la coalition Benno Bokk Yaakaar (BBY), tirée par son ancienne formation politique, l’APR, est sortie largement victorieuse dans la région de Thiès. Les responsables locaux ayant fait le job. Mieux, ils sont parvenus à déboulonner le baobab Idrissa Seck, en remportant le département de Thiès avec, en poche, 32 des 33 bureaux de vote. Idrissa Seck, qui a représenté la coalition Manko Taxawu Senegaal (MTS) dans cette contrée, n’a remporté que trois communes, malgré le soutient annoncé de TAS.

Toutefois, cette première déconvenue ne semble en rien altérer la détermination de l’ex-militant de l’APR de tracer sa route.

Abdoul Mbaye, la grande inconnue         

Avant Thierno Alassane Sall, il y a eu le départ d’Abdoul Mbaye du gouvernement, en septembre 2013. L’ancien banquier a ensuite fait le grand saut dans la politique. A la tête de sa propre formation politique, l’Alliance pour la citoyenneté et le travail (ACT), il a participé aux dernières législatives, en faisant presque cavalier seul. Car il a préféré cheminer avec des formations de moindre envergure qui partagent la même vision que son parti politique, au sein la coalition Joyyanti. Même si l’expérience a été peu concluante, l’ex-PM n’ayant pas réussi à obtenir un siège à l’Assemblée nationale, Abdoul Mbaye n’a pas l’intention de renoncer. Il reste convaincu, en effet, que les alliances ne doivent pas conduire à renoncer à des principes. Toujours soucieux de faire la politique autrement, il lui appartient de se réajuster, de tirer les enseignements de son ‘’échec’’ et d’essayer de mener sa barque à bon port.

Toutefois, la lecture des résultats du dernier scrutin montre qu’il lui faudra des alliés solides, s’il veut réaliser de bons scores électoraux. Car on ne lui connait pas une base politique, ni une bonne assise populaire, à l’instar du PUR qui œuvre depuis longtemps dans le social.

En tout cas, cette première participation à des joutes électorales lui aura permis de mesurer la spécificité de l’électorat sénégalais qui privilégie l’affectif et la proximité et entretient une relation ambiguë avec l’argent des politiques. Cette prise de conscience salutaire pourrait être fondatrice de lendemains victorieux, s’il réussit à reconstituer une formation politique victime d’une véritable saignée, à l’approche des dernières législatives.

En effet, l’ACT a enregistré de nombreuses défections, à l’approche des élections du 30 juillet. Tous ou presque ayant rejoint les prairies marron-beige.

Malick Gakou, un avenir en pointillé

Le président du Grand parti (GP) est également issu des flancs du pouvoir. Après la présidentielle de 2012, son parti, l’AFP, est devenu membre de la coalition gouvernementale. Mais le refus de son ex-mentor, Moustapha Niasse, de présenter une candidature des progressistes à la prochaine présidentielle, a créé des remous dans cette formation politique. L’ex-n°2 du parti a fini par en être exclu, avec 16 autres cadres progressistes. Si, en 2014, Gakou n’avait pas brigué le fauteuil de la mairie de Guédiawaye au profit du frère du président Macky Sall, Aliou Sall, en 2017, par contre, il a dirigé la liste de la coalition Manko Taxawu Senegaal dans ce département. Il a, cependant, été défait.

Comme Abdoul Mbaye, le leader du Grand parti ne compte pas baisser les bras et réaffirme ses ambitions présidentielles. Qui prennent toutefois des allures de gageure, vu son faible score dans son fief, malgré le concours d’autres partis de l’opposition. Toutefois, Malick Gakou a l’avantage d’être très jeune, pour un leader politique et peut, dès à présent, poser les fondements de victoires électorales futures. Comme les autres, le chemin sera long. Et son salut passera par la direction d’une grande coalition de l’opposition. Pour le moment, il fait un bon lieutenant et a la latitude de faire son bonhomme de chemin dans l’ombre des actuels leaders de premier plan et attendre son heure, s’il sait s’armer de patience. Car l’horizon immédiat semble bouché.

Modou Diagne Fada face à son destin

Les départs ne sont pas uniquement enregistrés dans la mouvance présidentielle. L’opposition a, elle aussi, connu quelques soubresauts. Le Parti démocratique sénégalais en a ainsi fait les frais, avec le départ du député Modou Diagne Fada du navire libéral. Après la perte du pouvoir des libéraux du PDS en 2012, l’ex-président du groupe parlementaire de l’opposition a demandé une restructuration de la formation politique du ‘’Pape du Sopi’’. Ce qui a été négativement perçu par ses anciens frères de parti qui le considèrent désormais comme ‘’un traître’’ et même une ‘’taupe’’ de Macky Sall pour déstructurer le PDS. Acculé, Modou Diagne Fada a fini par se résigner à prendre son destin en main. Il a ainsi lancé son propre parti politique : Les démocrates réformateurs (LDR/Yeesal). A quelques encablures des dernières législatives, l’enfant de Darou Mousty s’est séparé de ses alliés de Manko Wattu Senegaal et mis sur pied Manko Yessal Senegaal. Il a pu obtenir un siège à l’hémicycle.

A l’instar de Malick Gackou, il a l’avantage d’être jeune. Il a, en plus, une solide expérience politique et fait presque figure de vieux routier de la politique sénégalaise. Sous ce rapport, son avenir politique semble lié à sa capacité à être à la tête d’une grande coalition. En attendant, il se meut bien dans le landernau politique et possède une grande carapace politique et l’étoffe pour diriger. A l’instar d’un Idrissa Seck, c’est un pur produit de Me Abdoulaye Wade qui connait les arcanes de l’Etat. Toutefois, Darou Mousty est trop étriquée pour lui servir de tremplin vers la station présidentielle, si telle est son ambition ultime. Mais, en attendant, il bénéficie d’une certaine marge de manœuvre et dispose de quelques atouts dans sa manche (son expérience et son habileté politiques). Même s’il est contraint de pêcher dans les mêmes eaux que d’autres ténors comme Idrissa Seck, Khalifa Sall, Ousmane Sonko et autres.

 Khalifa Sall, l’homme à abattre         

Justement, le cas de l’édile de la capitale est un peu différent des autres susmentionnés. Car c’est son avenir politico-judiciaire qui est en jeu. Khalifa Sall pourrait être écarté, sous peu, si la proposition d’exclusion formulée à son encontre par le Secrétariat exécutif national du PS est actée par le Bureau politique. Mais, du fait de la menace judiciaire qui plane sur lui, cette probable exclusion du PS pourrait très rapidement devenir le cadet de ses soucis. Aujourd’hui, Khalifa Sall est menacé d’une condamnation, avec le compte à rebours déclenché par l’Assemblée nationale pour la levée de son immunité parlementaire. Il risque ainsi de perdre ses chances de se présenter à la prochaine présidentielle, s’il est condamné dans l’affaire de la caisse d’avance de la ville de Dakar. Dossier judiciaire dans lequel il lui est reproché d’avoir détourné 1,8 milliard de francs CFA.

Quoi qu’il en soit, les amarres entre le maire de Dakar et le reste de sa formation politique sont bien rompues, depuis 2012. Le maire de Dakar, par ailleurs secrétaire national en charge de la vie politique du Parti socialiste, s’est depuis lors détaché de la ligne de conduite de son parti. Prenant systématiquement le contrepied des décisions de sa formation politique. Notamment celle de voter NON au référendum du 20 mars 2016, ou encore de se présenter contre la coalition BBY, lors des locales de 2014 et des législatives du 30 juillet 2016.

Une chose est constante : ces différents rendez-vous électoraux ont été des moments charnières, infléchissant sa trajectoire politique. En 2014, devant la grande coalition au pouvoir, Khalifa Sall et sa coalition Taxawu Dakar sont sortis largement victorieux, raflant 16 des 19 communes de Dakar. Dès lors, le maire de Dakar a été vu comme un potentiel challenger du président Macky Sall à la présidentielle de 2019, un temps pressentie en 2017. Ensuite, ses partisans n’ont cessé de le pousser à prendre son destin politique en main et de disputer le leadership du PS à Ousmane Tanor Dieng.

Mais le point de non-retour n’a été atteint que lors du référendum et les violences qui ont sanctionnées la rencontre du Bureau politique du 5 mars 2016. Depuis, deux tendances nettes se font face : pro-Khalifa vs pro-Tanor. Mais fort de la victoire de BBY à Dakar, lors des législatives du 30 juillet, le patron des verts a nettement pris le dessus. Et s’apprête à le conduire à l’échafaud, en ayant enclenché le processus d’exclusion du maire de Dakar et de ses affidés.

Mais ce n’est pas tout. Puisque le bras de fer engagé contre le pouvoir tourne irrésistiblement en la défaveur de l’édile de la capitale qui, non seulement va sûrement être condamné à une peine invalidante, mais aussi risque de perdre la mairie de Dakar. Il faut dire que le régime emploie les gros moyens pour le neutraliser.

Car, à l’évidence, de tous les ‘’jeunes loups’’ qui lorgnent le fauteuil présidentiel, c’est le plus ‘’dangereux’’. Sa défaite, lors des législatives, est rédhibitoire et l’a considérablement affaibli. Mais il peut compter sur le soutien de ses partisans et de ses avocats qui ne lésinent pas sur les moyens pour le tirer d’affaire. Car de gros nuages s’amoncellent au-dessus de sa tête.

Aïssata Tall Sall, la louve solitaire

En froid avec les membres de sa formation politique (PS) et ayant gelé ses activités depuis le congrès des 6 et 7 juin 2014, la député-mairesse de Podor a pris ses responsabilités et ‘’Oser l’avenir’’, du nom de son mouvement politique qui lui a permis d’obtenir un poste de député, lors des dernières élections législatives. Avant Khalifa Sall, c’est celle qui a osé se dresser devant le patron du Parti socialiste, Ousmane Tanor Dieng, lors de ce congrès devant désigner le premier secrétaire général du parti. Battue, elle avait été débarquée de son poste de porte-parole, dans la foulée. Depuis, elle dit être ‘’redevenue une simple militante du PS’’.

Comme les pro-Khalifa, elle est accusée d’activités fractionnistes et est en passe d’être exclue du PS. Une éventualité qu’elle dit attendre de pied ferme. ‘’J’attends une notification formelle du Secrétariat exécutif national… Je fais partie des personnes qui ont rédigé les procédures d’adhésion avec la charte du militant’’. A ce titre, dit-elle, ‘’le Bureau politique n’est pas légitime à exclure un membre du parti’’. D’ailleurs, elle croit savoir les raisons du déclenchement de cette procédure. "Il a fallu qu'un de nos camarades, en l'occurrence Barthélémy Dias, agite la probabilité d'une candidature contre le secrétaire général, pour qu'il y ait tout ce branle-bas de combat à vouloir exclure de potentiels candidats, en considérant qu'ils se sont auto-exclus", renseigne-t-elle.

N’empêche que sa posture au sein du PS relève de l’ambivalence. Absente de la scène du PS depuis 2014, l’avocate se construit un avenir politique, pour l’instant, loin des prairies vertes. Mais il faut dire qu’elle ne désespère pas de redevenir une figure clé du parti, le seul à même de lui servir de tremplin pour la station présidentielle. Pour l’instant, elle n’est pas de taille à déboulonner Ousmane Tanor Dieng, n’ayant pratiquement pas d’alliés au sein du PS. En louve solitaire, elle n’a presque aucune chance d’atteindre cet objectif, étant entendu que ses relations avec Khalifa Sall sont ambiguës. Son avenir politique s’écrit-il au sein du pouvoir actuel ? Ce n’est pas impossible, vu que ses relations avec le chef de l’Etat sont cordiales. Elle pourrait se laisser tenter. Mais, là aussi, l’avenir nous édifiera.

Thierno Bocoum, à l’épreuve du terrain politique

Des départs, le Rewmi en a beaucoup connu, depuis 2012. Oumar Guèye, Pape Diouf, Youssou Diagne, Waly Fall, Ousmane Thiongane, Me Nafissatou Diop et Oumar Sarr, ont tous tourné le dos à l’ancien Premier ministre Idrissa Seck, pour cheminer avec le président de la République Macky Sall. Mais le départ le plus surprenant est incontestablement celui de Thierno Bocoum. L’ex-chargé de communication du Rewmi et fidèle compagnon d’Idrissa Seck a tourné casaque, au grand dam de ses camarades de parti. Car c’est un coup dur porté à l’image du Rewmi dont Thierno était l’une des figures marquantes.

Le jeune politique mène, depuis, sa barque et compte aussi se faire une place au soleil. Il faudra compter avec lui, les années à venir. Car son expérience parlementaire est un acquis de taille. S’il a le charisme et une certaine bonne image aux yeux de l’opinion, son très jeune âge est pour l’instant un handicap qui peut devenir un atout, s’il prend le temps de construire patiemment son avenir. Mais surtout s’il fait les bonnes alliances. D’ailleurs, il ne fait pas mystère de sa volonté de lancer sa propre structure (parti ou mouvement). Qui va prendre les contours d’une plateforme pour une alternance générationnelle dans le landerneau politique. Toutefois, se mesurer aux dinosaures politiques qui ont traversé tous les régimes qui se sont succédé à la tête du pays ne sera pas une mince affaire.

L’ancien parlementaire exclut toute idée de rejoindre la mouvance présidentielle. Les actes qu’il va poser pour son avenir politique seront scrutés avec intérêt. En tout cas, le challenge est là et exaltant pour ce très jeune leader en quête d’une envergure nationale.     

 GASTON COLY ET HABIBATOU TRAORE

 

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