Publié le 19 Sep 2012 - 08:05
RECRUDESCENCE DE LA VIOLENCE À DAKAR

Quand les agresseurs dictent leurs lois

Il n'y a point de vacances pour une certaine catégorie de jeunes Dakarois. Il s'agit de ceux qui s'adonnent aux agressions à mains armées, point dans la banlieue, mais plutôt dans des quartiers dits résidentiels, leurs nouveaux terrains d'opérations. Reportage à Sacré-cœur, VDN et Point E.

 

 

Circuler à Dakar et sa périphérie, sans être inquiété et être à l’abri d'une agression, n'est plus une garantie. Pis, un quartier résidentiel tel que Sacré-cœur n'est plus un havre de paix et ne remplit plus les conditions sécuritaires requises, malgré son standing. Dans cette 12e commune d'arrondissement de Dakar, il n'est point d'heure pour commettre un forfait. Même si les malfrats ont une prédilection pour la tranche horaire comprise entre 18 h et 19 h.

 

Marie-Ange, étudiante béninoise en médecine à l'université Cheikh Anta Diop, l'a récemment appris à ses dépens. Elle s'est fait dépouiller, avec son amie, au carrefour de Sacré-Cœur non loin de la boulangerie Jaune, par deux individus sur un scooter, aux environs de 19 heures. ''Avant qu'on ne réalise ce qui s'était passé, ils avaient déjà disparu avec leur moto'', raconte t-elle, ''ils ont garé juste devant nous et celui qui était derrière est descendu, pointant sur nous un couteau, en nous menaçant. On s'est empressées de leur donner nos portables et autres objets de valeur'', complète-t-elle. Le scénario ne diffère pas de celui qu'a vécu une autre étudiante en Droit à l'université du Sahel, devant la Brioche Dorée située à Sacré-cœur 3. ''Cela s'est passé en une seconde. Le temps de me rendre compte des faits, j'étais déjà à terre à cause de la violence de la charge'', confie-t-elle.

 

Toutefois, les principales victimes de ce quartier sont souvent les vendeurs à la sauvette de cartes de recharge au niveau du carrefour Sacré-cœur et des deux vois de Liberté 6. Mamadou Sagna, la vingtaine à peine, n’oublie toujours pas la douloureuse épreuve qu'il a traversée au cours du mois de ramadan. Toujours vers 18 heures, deux individus une fois de plus sur scooter ont réussi à s'accaparer de sa sacoche contenant une importante somme d'argent et des cartes de recharge. ''On a tenté de les rattraper, mais en vain'', narre-t-il. Dorénavant, il se dit prêt à en découdre avec ces ''voyous'' et ce, au péril de sa vie. Mais, s'il y a un lieu qu'il est défendu de fréquenter à des heures indues et tardives, c'est bien la zone qui se situe autour du collège Sacré-Cœur. Youssouph, vendeur de café et autres bricoles, y officie. ''Je déconseille aux usagers de traîner dans cette zone à certaines heures, dit-il. Moi quand il n'y a plus assez de monde, je plie bagage et je rentre chez moi, pour ne plus prendre de risques''.

 

Des gardiens ''poltrons''

 

Un autre endroit tout aussi dangereux demeure la Vdn (Voie de dégagement nord) et ce n'est pas le journaliste de Apanews, Fernand Tona, qui nous dira le contraire après sa récente agression à la machette il y a quelque temps à peine. Sexagénaire, Alpha Diallo est un Guinéen qui tient un étalage de fruits au niveau de la Vdn, non loin du terrain de Sacré-cœur 3. Ce vendredi quand on lui rend visite, il se tient devant son étalage, le bras enfoui sous un énorme bandage. Il a été victime d'une agression le jour même de la korité, vers 13 heures. Ce jour-là, à peine s'est-il éloigné de son étalage, que trois jeunes hommes se sont approchés pour le dépouiller, après l'avoir violenté. L'un des bandits s'étant enfui à cheval, a été rattrapé à hauteur de l'échangeur de Sipres par le marchand qui s'est empressé de monter dans un taxi pour se lancer à sa poursuite. Après quelques explications musclées, le jeune homme lui a asséné un coup de machette. Il lui aurait fendu la tête s'il n'avait pas eu le réflexe de se protéger avec son bras.

 

Conséquence, le vieux marchand s'est retrouvé à l’hôpital avec plusieurs morceaux de chair en lambeaux et beaucoup de sang perdu. Néanmoins, le jeune agresseur a été cueilli grâce à l'intervention des populations et déféré au Parquet. ''Sur la Vdn, ils agressent régulièrement. Ils tuaient même sur le terrain de Sacré-cœur. Les gens sont fatigués. Ils volent les boutiquiers, les motos n'en parlons pas et même les ordinateurs dans les maisons'', dénonce-t-il avec véhémence. Selon lui, la violence émane des jeunes qui fument et se droguent régulièrement. En ce qui concerne la surveillance du quartier Sacré-cœur, il dira qu'il n'y a point de bon gardien dans cette zone. ''On est mal organisé, peste-t-il. Il n'y a qu'un seul gardien courageux dans ce quartier du nom d'Adama Goudiaby, avec un certain Kanté ; le reste, ce sont des peureux.'' On lui donne bien raison.

 

''Éviter de sortir la nuit...''

 

Ailleurs, au point E, le meurtre de Cheikh Diamil continue d'alimenter les discussions. Le bonhomme a été tué la nuit de la Korité à proximité d'un bar. Le sentiment d’insécurité est le mieux partagé. ''Le mieux, c'est d’éviter de sortir la nuit...'', estime la dame vendeuse Marième Camara. Assise devant son étal, elle se désole de ''cette nouvelle mentalité qui banalise et minimise le crime''. La dame pointe du doigt une rupture avec la tradition sénégalaise, avec un système social qui a toujours rejeté la tension et la violence.

 

Plus loin, le mécanicien Ousseynou Dia s'interroge sur cette explosion de violence et refuse de croire que la précarité puisse servir de prétexte à toutes les agressions. Il fustige ''le désengagement de la société dans l’éducation des enfants''. C'est pourquoi, il pense que ''l'option d'agresser pour confisquer les biens d'autrui traduit seulement la paresse de travailler au niveau de la jeunesse''. Ousseynou pense également que ''la présence d'autres nationalités'' peut être une cause de l'explosion de la violence.

 

Ici, les gens s'interrogent sur le travail de la police. C'est le cas de la restauratrice Daba Sigueu. Cette mère de famille voit que ''la violence n'est pas rigoureusement punie''. ''Il suffit que l'agresseur passe juste quelque jours entre les mains des forces de l'ordre pour qu'on le croise quelques jours après dans la rue''. La même thèse est défendue par Mana Saliou Diallo, gérant d'une boutique. ''J'ai des parents vendeurs de cartes de crédit. Lorsqu'ils ont été agressés, nous avons alerté la police et la sonatel pour qu'elle bloque les numéros des cartes de crédit volés, mais il n’y a pas eu de suite'', regrette-t-il. De son côté, la police du point E considère la question de la violence comme ''un faux problème utilisé par les médias qui veulent juste vendre leurs titres''.

 

ANTOINE DE PADOU ET SOXNA FAYE

 

 

AVERTISSEMENT!

Il est strictement interdit aux sites d'information établis ou non au Sénégal de copier-coller les articles d' EnQuête+ sans autorisation express. Les contrevenants à cette interdiction feront l'objet de poursuites judiciaires immédiates.

 

Section: