Publié le 19 Feb 2018 - 22:31
RECRUTEMENT EN PÉRIODE DE DEUIL

Condoléances politiques !

 

Les écoles d’enseignement des sciences et techniques de communication politique devront bientôt ajouter une nouvelle matière dans leur filière : les condoléances politiques. Si Abdoulaye Wade pourrait être considéré comme le précurseur de cette discipline Made in Sénégal, Macky Sall est sans doute celui qui lui aura donné ses lettres de ‘’noblesse’’.

 

Dans le dictionnaire ‘’Le Grand Robert’’, le mot condoléance signifie : ‘’Expression de la part que l’on prend à la douleur de quelqu’un, à l’occasion d’un deuil.’’ Mais, au regard de la façon dont le président Macky Sall et ses partisans partagent la tristesse de ceux qui ont perdu un parent, il faudrait sans doute redéfinir le terme, avec l’aide des sociologues et des politologues. Ce qui s’est passé vendredi dernier chez Bamba Fall n’est que la suite d’une longue liste de moments de deuil transformés en agora politique. Devant le Premier ministre et d’autres membres du gouvernement venus lui présenter les condoléances du chef de l’Etat, suite à la disparition de son oncle, le maire de la Médina a déclaré qu’il est prêt à travailler avec le régime de Macky. ‘’Je n’ai pas de maître en politique. Je suis socialiste, ils sont de l’Apr, mais quand le pays a besoin de vous, vous devez répondre’’, déclare en substance le maire de la Médina.

Bamba Fall a vu en Macky Sall ‘’un homme bon’’, puisqu’il lui a envoyé une délégation en dépit de l’adversité politique qu’il y a entre eux. Les propos n’ont pas manqué d’échos, d’autant plus qu’ils interviennent le jour même où le procureur a requis 7 ans de prison ferme et 5 milliards 490 millions de francs Cfa d’amende contre son mentor Khalifa Sall, dans le cadre du procès de la caisse d’avance de la mairie de Dakar. Non content de tresser des lauriers au patron de l’Apr à qui il a d’ailleurs promis de rendre la monnaie de sa pièce, l’homme a jeté une pierre dans le jardin de ses camarades de Taxawu Dakar qui n’ont pas partagé sa douleur. Ce qui lui fait dire qu’il ne peut pas traiter Macky Sall, qui a fait preuve d’attention à son égard, au même titre que les autres restés indifférents.

Bamba Fall s’est-il exprimé de façon spontanée ? Ou bien sa sortie est-elle le fruit d’une volonté de communication bien calculée ? Au-delà de son attitude qui a précédé cette déclaration et malgré ses précisons 24 heures après (‘’je ne transhume pas, je reste fidèle à Khalifa Sall’’, dit-il), il y a de quoi opter pour la seconde hypothèse.

En effet, depuis des années maintenant, il a été constaté qu’au Sénégal, les tenants du pouvoir ont fini de transformer les moments de deuil en tribune politique. Dans certains cas, ça ressemble même à des séances de démarchage. A la différence que tout est mis en scène pour faire croire à une spontanéité. Sauf que le débauchage de l’intéressé, quelques jours après, indique le contraire.

‘’Mais cela n’est pas une conversation qu’on doit aborder aujourd’hui’’

A titre illustratif, malgré l’amitié revendiquée entre le président Macky Sall et Souleymane Ndéné Ndiaye, il a fallu que les deux hommes se retrouvent chez Samuel Sarr, en fin avril 2017, pour que l’ancien Premier ministre sous Wade rejoigne les prairies marron, lui qui demandait qu’on ‘’brûle’’ (sic) les transhumants. Ce jour-là, tous les deux, ainsi que d’autres responsables du Parti démocratique sénégalais (Pds) étaient venus partager la douleur de l’ancien ministre de l’Energie.  ‘’Souleymane, je te demande de venir appuyer ce que fait ton frère et ami", invite Macky Sall, rappelant au passage qu’il a partagé la même chambre avec Ndéné à l’université de Dakar. Moins d’une semaine après, pour justifier sa transhumance, l’avocat déclare : ‘’Un ami m'a tendu la main et j'ai accepté volontairement…’’ Le président avait d’ailleurs élargi son appel à tous ses ‘’frères libéraux’’. Mais ces derniers avaient décliné l’offre, demandant plutôt que leur candidat pour la présidentielle de 2019, Karim Wade, ‘’exilé’’ au Qatar, soit autorisé à retourner au pays.

Avant Souleymane Ndéné Ndiaye, ce même procédé a été utilisé par le même Macky Sall pour débaucher Bécaye Diop. À l’époque, il venait d’accéder au pouvoir et voulait fortifier sa position. A défaut de prendre Ziguinchor, la forteresse d’Abdoulaye Baldé (député-maire), Macky Sall essaie de prendre pied dans le sud du pays, à partir de Kolda. L’ancien ministre des Forces armées étant le responsable le plus en vue, il va profiter de sa tournée économique, en février 2015, pour lui présenter ses condoléances après le décès de sa sœur, non sans formuler une demande.  ‘’Je veux que tu viennes me soutenir. Mais cela n’est pas une conversation qu’on doit aborder aujourd’hui, en de telles circonstances’’, déclare-t-il.

Cette séance sera d’ailleurs le point de départ de la dynamique qui mènera Bécaye Diop dans le camp présidentiel. Il faut dire que le concerné avait presque accepté séance tenante. ‘’J’ai entendu ce que tu as dit. Si tu cherches un ami, saches que tu le trouveras en moi. Pour ta demande, je viendrai te trouver à Dakar et on en parlera’’, avait répondu Bécaye Diop. C’est ainsi, en toute logique, que Bécaye rejoint Macky Sall en avril. Comme Ndéné, l’ancien maire de Kolda n’est pas allé loin pour se justifier. ‘’Macky m’a prié de venir le soutenir. Je suis avec lui pour lui apporter mon soutien. Je n’ai pas rallié l’Apr (Alliance pour la République, parti présidentiel)’’, se défend-il.

Nom de l’aéroport Blaise Diagne

En 2016, rebelote chez Oumou Salamata Tall, autre responsable du Pds, après le décès de son fils. Là aussi, Macky Sall avait appelé ses anciens ‘’frères’’ libéraux dont l’ex-sénatrice Aïda Ndiongue à le rejoindre. Il a tenté de leur faire accepter qu’après la grâce présidentielle accordée à Karim Wade suite à sa condamnation, rien ne s’opposait à ce que la famille libérale se retrouve. ‘’L’Etat, c’est l’Etat ; la justice, c’est la justice. Mais quand tout cela est derrière nous, il nous faut maintenant nous retrouver et travailler’’, disait-il. Il avait également promis de rendre visite à Oumar Sarr, le coordonnateur du Pds qui avait perdu lui aussi son frère.

Dans cette stratégie de  recrutement, Macky Sall ne se déplace pas toujours en personne. Avant Bamba Fall, il avait déjà envoyé une délégation à Me Ousmane Ngom, libéral et ancien ministre. Le groupe composé, entre autres, du porte-parole du gouvernement Seydou Guèye, de Pape Maël Diop, de Youssou Touré… était dirigé par le ministre d’Etat Mbaye Ndiaye. La suite est connue.

Cependant, même si Macky Sall a sans doute perfectionné cette nouvelle ‘’discipline’’ de la communication politique, son inventeur n’est personne d’autre que son maitre, Abdoulaye Wade. L’ancien président a, en effet, fait usage de cette stratégie avant son ancien Premier ministre. C’était en 2011, lors du rappel à Dieu de Serigne Mamoune Niasse, guide religieux et fondateur du Rassemblement pour le peuple (Rp). Wade avait réussi à décrocher le fils ainé du défunt, Baye Mamoune Niasse, alors que le père de ce dernier était le président de la coalition Idy4président, censée mener le candidat Idrissa Seck à la victoire de la présidentielle de 2012. D’où les dissensions entre le fils ainé et son frère Mansour Niasse.

Au-delà des recrutements, c’est en fait les moments de deuil qui pourraient être subtilement transformés en tribune politique. En effet, alors qu’il se disait que le président Macky Sall voulait faire de Me Wade le parrain du nouvel aéroport, ce dernier a attendu d’être à Kaolack pour s’exprimer sur la question. Parti présenter ses condoléances, suite au décès du khalife général de Léona Niassène, Wade a menacé Macky Sall de plainte, si jamais il s’aventurait à faire donner son nom à l’aéroport de Diass. Le moment choisi pour faire cette sortie avait d’ailleurs été dénoncé, à l’époque, par l’imam de la mosquée de cette famille religieuse. ‘’Nous condamnons fermement sa déclaration ; qu’il la fasse ailleurs, ça n’engage que lui. Ici, ce n’était pas le lieu indiqué pour le faire’’, s’est-il désolé.

Outre l’imam, ces pratiques sont d’ailleurs dénoncées par des Sénégalais qui estiment que c’est contraire à la morale, de faire du ‘’commerce’’ sur la dépouille d’un être humain.

BABACAR WILLANE

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