Publié le 27 Jul 2015 - 23:29
RECURRENCE DES BAVURES DES FORCES DE L’ORDRE

Le manque de formation et de référence pointé du doigt

 

En dépit des sanctions, des séminaires de formation et de sensibilisation organisés en renfort à la formation initiale, le phénomène des bavures demeure toujours chez les forces de l’ordre. Quelles en sont les causes ? Des défenseurs des droits de l’Homme et des hommes de tenue indexent la lancinante question de la formation des jeunes recrues. Mais aussi l’indiscipline de certains agents et le traitement salarial à une moindre échelle.

 

‘’Les forces de l’ordre ont pour mission première la dissuasion mais maintenant, c’est comme si elles se sont fixées comme mission première la réprimande.’’ Cette réflexion faite par l’avocat Me Abdourahmane So, lors du procès du lutteur Ama Baldé, se vérifie bien au regard des nombreux cas de bavures commises soit par la police, soit par la gendarmerie. D’ailleurs, un phénomène pas nouveau au Sénégal. Le cas d’Omar Blondin Diop pourrait être considéré comme l’un des symboles. Figure emblématique du mouvement contestataire post-soixante-huitard, Omar Blondin Diop est décidé à 26 ans, la nuit du 10 au 11 mai 1973 dans une prison goréenne. Le suicide par pendaison, c’est la version officielle avancée par l’administration pénitentiaire pour justifier la mort de celui qui défia le président Léopold Sédar Senghor. Mais la famille du défunt n’a jamais cru à cette version et réclame toujours justice. Et ce n’est pas le seul cas non élucidé.

 Après Omar Blondin Diop, d’autres Sénégalais sont tombés soit sous les balles soit sous les coups de crosses ou matraques de policiers, gendarmes ou agents pénitentiaires. L’après 2000, le nombre de bavures a augmenté. Parmi les victimes, l’on peut citer le cas de l’étudiant Balla Gaye, décédé le 31 janvier 2001 lors d’affrontements entre policiers et étudiants. Le meurtrier de l’étudiant court toujours car le policier Thiendella Ndiaye mis en cause avait finalement bénéficié d’un non-lieu. C’est le cas également dans l’affaire du jeune Abdoulaye Wade Yengou.

Un jeune arrêté le 14 juillet 2010 suite aux manifestations contre les inondations et les délestages organisées par les populations de Nietty Mbar. Le jeune manifestant avait trouvé la mort durant sa garde-à-vue à la police de Yeumbeul car ‘’il aurait été torturé à mort’’  par les forces de l’ordre, selon ses proches. Dans ces cas cités, les familles attendent toujours justice contrairement à l’affaire Dominique Lopy. Les policiers Ibrahima Ansou Diédhiou et Yaya Badji ont été condamnés à 6 mois ferme par le tribunal de Kolda. Idem pour les quatre gendarmes auxiliaires impliqués dans la mort du jeune sourd-muet Kékouta Sidibé, tué lors de son interpellation à Kédougou. Ils ont été condamnés à 2 ans de prison, dont un an ferme. Outre ces sanctions, d’autres policiers ou gendarmes impliqués dans des bavures font l’objet de poursuites et attendent d’être jugés.

Mort du jeune Matar Ndiaye

Pourtant malgré ces sanctions et en dépit des séminaires organisés par les organisations de défense des droits de l’Homme en renfort à la formation initiale, des citoyens continuent de faire les frais des violences des forces de l’ordre. La mort du jeune Matar Ndiaye dit Ndiaga, décédé dans la nuit du jeudi passé, lors d’une opération de sécurisation menée par la police de Grand-Yoff, est le dernier cas en date.

Une situation dont se désole le président de la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH). Me Assane Dioma Ndiaye pensait qu’avec la fin de l’impunité et les intenses sessions de formation et de renforcement de capacité, la page des bavures était tournée. ‘’Nous avions pensé que le phénomène était dû à l’impunité dont jouissait les agents mais aussi à la formation’’, alors, on s’est battu en multipliant les formations et en poussant le Procureur à ouvrir une enquête dès qu’il y a une bavure’’, a soutenu Me Ndiaye. Et de poursuivre pour s’en désoler : ‘’Nonobstant tous les efforts, il y a une récurrence du phénomène devenu inquiétant.’’ Ainsi, tout en reconnaissant les limites de la formation, l’avocat plaide son élargissement aux acteurs qui sont sur les terrains des opérations. ‘’Les formations se limitent à la hiérarchie, je pense qu’il faut désormais l’élargir à la base.’’

Mais selon un gendarme, les causes du mauvais comportement de ses frères d’armes sont à chercher dans la formation initiale ainsi que dans le recrutement. ‘’Non seulement certains candidats réussissent le concours parce que leur père est un gendarme ou un policier, mais aussi, il y a beaucoup de carences dans la formation’’, analyse notre interlocuteur sous le sceau de l’anonymat. Cette carence dans la formation fait que l’homme de tenue ignore sa véritable mission et pense être investi d’un pouvoir. ‘’Certains agents pensent que la tenue leur confère un pouvoir et en usent or, c’est pour protéger la population. Se sentant puissant, ils tabassent à tort et à travers.

Maintenant les gens s’affolent très vite en utilisant leur arme or, c’est l’ultime recours  lorsque votre vie est menacée’’, s’est plaint le gendarme. Aussi a-t-il déploré l’absence de ‘’cours de recyclage’’ ainsi que les ‘’causeries morales’’ qui leur rappelaient leur mission. ‘’ Dans nos unités territoriales, tous les mois, le chef organisait une causerie morale. Là, on sentait qu’il y avait quelqu’un derrière nous, et cela nous ramenait à l’ordre’’, se rappelle le pandore.

Pour en témoigner, il explique que du temps du Général Waly Faye, ‘’aucun gendarme n’osait marcher dans la rue avec un sac à dos car il disait que c’est inélégant’’. Et justement, c’est pour relever une absence de référence pour les jeunes recrus. Et si les supérieurs ne se soucient plus de la formation des jeunes, c’est parce que tout simplement, selon les explications du gendarme, la préoccupation est ailleurs. A l’en croire, nombreux sont ceux qui sont plus préoccupés à aller en mission à l’étranger pour se faire plus d’argent. ‘’Comme cela se passe dans les familles, les chefs ont abandonné’’, a expliqué un autre gendarme convaincu que la conjoncture actuelle pousse certains hommes de tenue à la dérive. ‘’Quand on cherche à tirer le diable par la queue, on devient facilement nerveux.  Nous, on nous avait  appris à dominer le sujet’’, constate notre interlocuteur.

Cet argument est balayé d’un revers de main par un lieutenant de la police. Sa conviction est que le salaire importe peu dès lors que la personne a choisi de faire le concours pour être policier ou gendarme. ‘’Même si on percevait 15 centimes, on doit accepter les contraintes’’, fulmine le policier pour qui le manque de moyens logistiques ou financiers ne peut pas justifier les bavures. Car, argue-t-il, sur le plan salarial, la police n’a rien à envier aux autres corps. Il s’y ajoute, poursuit-il, que la police a beaucoup de moyens maintenant puisqu’on ne loue plus de véhicules pour déferrer des personnes. Ainsi donc, selon notre interlocuteur, la cause des bavures est à chercher plus dans l’éducation même des agents. Pour lui, tout est question de comportement mais aussi et surtout de discipline.

Manque d’éducation et de référence

 La preuve en est que d’après ses explications, certains agents posent des actes à l’insu de leurs supérieurs. A ce propos, il a cité le cas d’Ibrahima Samb, un apprenti tué lors d’une opération de sécurisation à Mbacké. ‘’Le commissaire a appris l’incident à la télévision’’, a-t-il révélé tout en soulignant que certains agents n’attendent pas les ordres de leurs supérieurs et ne rendent pas compte’’. Cela relève de ‘’l’insubordination et de l’indiscipline’’ que la formation ne peut combler. ‘’Ce n’est pas avec deux ans de formation qu’on peut changer une personne de 21 ans. Si tu es mal éduqué, ce n’est pas la police qui va te changer et cela se reflète sur ton travail’’, a soutenu le policier. Cette indiscipline explique la violence verbale dont font montre certains agents.

‘’Des fois, lorsque vous entrez dans un commissariat, vous saluez les agents sur place, on vous ignore royalement où on vous crie dessus’’, fustige l’homme de tenue qui désapprouve également certains de ses collègues de la circulation. ‘’Au lieu de conscientiser la personne qui a commis une infraction, il lui réclame son permis d’une manière insolente et lorsque la personne tarde, il lui donne des coups’’, fulmine notre interlocuteur. Un de ses collègues inspecteur de police d’abonder dans le même sens pour déplorer le caractère naturellement violent de certains agents. A son avis, cela explique leur promptitude à user de leurs armes contre les populations. ‘’Après une formation initiale, les agents sont envoyés au niveau du Groupement mobile d’intervention puis envoyés directement dans des brigades où il n’existe pas souvent d’anciens pour compléter leur formation’’, a souligné le policier.

Ainsi, tout en prônant le retour aux causeries morales, nos interlocuteurs invitent à un changement de mentalités. En cas de maintien de l’ordre où l’on note plus de bavure, le lieutenant de la police invite ses collègues à privilégier ‘’une gestion démocratique des foules’’. Cette nouvelle forme de dialogue consistant à discuter et à conscientiser les responsables des manifestations permet d’éviter les dérives dans la mesure où, selon le lieutenant, ‘’une personne hors-la-loi considérera toujours le policier ou le gendarme comme un ennemi’’.

FATOU SY

 

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