Publié le 26 Aug 2014 - 18:47
RECURRENCE DES MARCHES INTERDITES

Le pouvoir et la tentation du tout sécuritaire

 

Systématiquement interdite depuis quelque temps, la marche est en passe de devenir une exception sous le régime de Macky Sall.

 

Macky Sall serait-il réfractaire à la marche et aux manifestations politiques ? En tout cas, le droit à la marche pour lequel l’opposition d’alors (à laquelle il appartenait) s’était battue corps et âme, est en train d’être remis en cause par son régime. Le pouvoir, de manière quasi-systématique, rejette depuis plusieurs mois ou semaines les demandes de marche adressées au Préfet de Dakar.

Cette règle, le Parti démocratique sénégalais n’y échappe pas car le rassemblement qui était prévu le samedi dernier à la Place de l’Obélisque sur initiative de l’ancien chef de l’Etat, a été finalement interdit par l’autorité administrative. Celle-ci, pour motiver sa décision, a invoqué plusieurs facteurs : ‘’un risque sérieux de troubles à l’ordre public’’ ; ‘’un risque d’entrave à la liberté de circulation des personnes et des biens’’ ; ‘’un risque d’infiltration de la manifestation par des individus mal intentionnés’’; et ‘’une insuffisance de dispositif sécuritaire’’.

Des motifs que contestent naturellement les libéraux qui, victimes d’une ‘’douzaine’’ de mesures d’interdiction au plan national, parlent de ‘‘dérive autoritaire de Macky Sall’’. Prenant acte, le Comité directeur du PDS a annoncé une plainte contre le régime actuel pour violation grave de libertés garanties par la Constitution et les conventions et traités internationaux’’.

A juste raison, semble dire la Ligue démocratique (LD), qui se désolidarise du régime de Macky Sall. ‘’Qu’on interdise les manifestations politiques, c’est contre les droits politiques fondamentaux’’, a indiqué un communiqué rendu public avant-hier.

Un principe réitéré par l’Alliance de forces de progrès (AFP), un autre allié du pouvoir. Pour Dr. Malick Diop, porte-parole, ‘’la marche est prévue dans la Constitution’’; par conséquent elle ‘’n’est pas soumise à une quelconque autorisation’’ préalable. ‘’On informe juste le préfet’’, précise Doudou Issa Niasse selon qui la délivrance du quitus doit s’apprécier en fonction du contexte. ‘’Si le gouvernement pense que cette manifestation peut déboucher sur des troubles, il peut l’interdire’’, dit le baron socialiste.’’

Une explication qui ne convainc pas Déthié Fall, le patron des cadres de Rewmi. ‘’C’est à l’Etat de prendre ses dispositions pour encadrer la marche’’. Soit ! Mais Doudou Issa Niasse invite à tenir compte de la situation de l’heure. ’’Il y a des problèmes partout dans le pays. (Donc), il ne faut pas que les gens cherchent à attiser le feu’’, exhorte-t-il, non sans fustiger « les velléités déstabilisatrices du pays de la part du PDS. »

Replaçant le débat dans son contexte, Déthié Fall estime que rien ne peut justifier l’interdiction de la marche de l’opposition dans un pays qui se dit  démocratique. ‘’On a l’impression qu’on est dans un régime d’exception. Depuis l’arrivée de Macky Sall au pouvoir, la marche est devenue une exception. On ne peut pas remettre en cause les acquis démocratiques obtenus de haute lutte’’, dit ce proche de Idrissa Seck.

Pour Doudou Issa Niasse, c’est un mauvais procès qui est fait à Macky Sall si on le compare à ses prédécesseurs. ‘J’ai connu le régime de Senghor, de Diouf et de Wade ; je peux dire que le régime de Macky Sall est moins policier. Wade a voulu briguer un troisième mandat et nous imposer son fils (Karim), nous nous y sommes opposés et il y a eu mort d’homme (Ndlr : Mamadou Diop)’’, rappelle le maire de Biscuiterie. D’ailleurs, Momar Sambe, secrétaire général du RTA/S, considère qu’au-delà des principes démocratiques universellement partagés, l’opposition ‘’doit savoir raison garder’’. ‘’Les étudiants ont manifesté, il y a eu malheureusement mort d’homme. Il ne faut pas que le PDS  surfe sur cela pour envenimer la situation’’. Compte tenu de la ‘’capacité de nuisance de Wade’’, Sambe juge plus prudent d’interdire la manifestation des libéraux.

Ce ne qui signifie pas pour autant que ‘’nous soyons dans un Etat policier’’, rassure Abdou Mbow, vice-président de l’Assemblée nationale. Bien au contraire, ‘’Macky Sall est un démocrate. Il ne va pas bannir ce qu’il avait prôné avant’’, ajoute le responsable de la COJER. Rappelant le caractère constitutionnel de la marche, Abdou Mbow précise qu’il revient à l’autorité préfectorale de donner son dernier mot.

Wade, l’arroseur arrosé

Il est vrai que la récurrence des mesures d’interdiction de marche à laquelle on assiste préoccupe, mais elle n’est pas l’apanage de l’actuel régime. Si la marche était quasi-inexistante sous le régime socialiste, les citoyens avaient nourri beaucoup d’espoirs avec la première alternance. S’estimant victime de cette machine répressive du régime socialiste, le président Wade avait alors inscrit le droit à la marche dans la Constitution.

Mais l’espoir va s’envoler au bout de quelque temps lorsque le ministère de l’Intérieur fut confié à Me Ousmane qui, d’une main de fer, tentera de museler l’opposition. Les marches seront alors systématiquement refusées à l’ex-opposition. Un rouleau compresseur accéléré durant la période préélectorale lorsque l’opposition et la société civile ont voulu empêcher Me Wade de briguer un troisième mandat en  2012. Le bilan fut macabre : 9 morts et plusieurs blessés sur l’ensemble du territoire… C’est Abdoulaye Wade qui était au pouvoir…

DAOUDA GBAYA

 

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