Publié le 30 Mar 2016 - 08:53
REFERENDUM DU 20 MARS

Un triomphe sans gloire

 

Le film qui s’est déroulé récemment sous les yeux des Sénégalais, est plein de rebondissements. Un vaudeville sur fond de manipulation et de déception.

L’histoire commence en effet un jour de campagne présidentielle où le candidat Macky Sall demande un soutien moyennant une réduction de son mandat, une fois Président de la république. Un vœu qui se réalisera, mais une promesse qui, 4 ans après, fera pschitt…

Le Président Sall ne peut pas réduire son mandat, lié d’après lui par l’avis du Conseil constitutionnel qu’il avait choisi de consulter.  

Les esprits avertis avaient toutefois senti le coup fourré depuis le moment où le constitutionnaliste de conseiller de Macky Sall, le Pr Ismaïla Madior Fall était intervenu au cours d’une émission radiophonique pour annoncer la couleur de ce qui pouvait dès lors être considéré comme reniement programmé. Ce qui a suivi, fut juste de la communication destinée à amortir le choc d’une telle annonce et faire passer la pilule.

A partir de ce moment-là, Macky Sall n’avait plus rien d’autre à faire que d’annoncer au 20 heures de la Rts, le 31 décembre passé, ce qui fera l’effet d’une bombe dans l’opinion sénégalaise, tant la déception était grande.

Ce fut par la suite le tour des constitutionnalistes de renom tels que le Pr Babacar Guèye de soutenir un avis contraire au cours d’une émission « Remue-Ménage » sur la Rfm, expliquant qu’il y avait d’autres voies possibles que celle du Conseil constitutionnel. Le Pr Serigne Diop relèvera au cours de l’émission « Grand Jury » sur la RFm, que le Conseil constitutionnel peut se prononcer à chaque fois qu’il est consulté. Un avis qui ne liait nullement celui qui le consulte, avait-il fait remarquer.

DEBAT JURIDIQUE

45 constitutionnalistes sénégalais de la communauté universitaire qui ne pouvaient assister, indifférents au débat juridique, sont alors entrés dans la danse pour arrêter la position selon laquelle, l’avis du Conseil constitutionnel ne peut en aucun cas lier celui qui le demande.

Une caution supplémentaire de son « maître Seydou Madani Sy et de Jacques Mariel Nzouankeu» apportée par le Pr Serigne Diop qui les citera comme références, est venue étoffer cette thèse au cours de la même émission. Ce dernier n’avait d’ailleurs pas manqué d’ajouter que l’«avis conforme ne se présume pas » car il doit être expressément mentionné dans les textes pour que cela soit le cas.

La messe était à partir de ce moment, dite. Macky Sall avait déjà décidé de faire un mandat de 7 ans, se dédisant devant tous les Sénégalais et le monde entier.

Alors, vint le moment pour lui de procéder à son référendum. Mais au lieu de proposer un texte fondé uniquement sur la réduction du mandat à 5 ans que tout le monde attendait, il lui adjoint 14 autres points. Et comme pour prendre les opposants à son référendum, de court, il décide de l’organiser un 20 mars. La campagne débute, l’Alliance Pour la République, ses alliés de Benno Book Yaakaar et des alliés de circonstances, défendent le oui et lancent l’assaut.

Dès lors se pose l’équation de faire mémoriser et comprendre les 15 points de manière à faire voter en masse en faveur du oui ? Exercice bien difficile car le temps, environ 15 jours, est court.

Mais le plus grand hic dans ce référendum, c’est le procédé utilisé et consistant à devoir choisir tous les textes ou alors aucun texte. Triste sort pour ces électeurs mis dans l’embarras.

Une autre difficulté de cette consultation était le caractère vague et imprécis de certains termes tels que « droit à un environnement sain ». Que dire du terme « laïcité », un mot très philosophique et source de confusion et de division.

Une affaire qui se révèlera être un véritable jeu de dupe, une manipulation car au fond, seul le point relatif à la réduction du mandat, aurait pu être abordé dans ce référendum et le reste par voie législative.

Un fort taux d’abstention

Au regard des résultats, 38,2 % de votants, 61,8% de taux d’abstention, 62,70% en faveur du oui et 37,29% en faveur du non, selon les chiffres provisoires publiés par la Cour d’appel, le résultat se révèle catastrophique. Un triomphe sans gloire.

Mais au-delà de la faiblesse des chiffres de la victoire et du fort taux d’abstention, un fait demeure, le oui a gagné. Ses partisans ont beau bomber le torse, ils savent bien qu’au fond d’eux-mêmes, leur victoire est modeste au regard des énormes moyens et obstacles au non : les énormes moyens financiers déployés, l’implication sans limite du Président Sall qui en a fait une élection présidentielle sans toutefois obtenir de plébiscite, les achats de conscience signalés par ci et par là et accrédités par Moustapha Cissé Lo, l’ostracisme honteux de la Rts vis-à-vis des partisans du non, la maladresse du ministre de l’Intérieur qui prononce des résultats avant l’heure sans parler de l’élément le plus éloquent, le très fort taux important d’abstention. 

Si l’on ajoute à ce taux d’abstention, la publicité qui a envahi les sites internet et empêche de lire, les affiches qui ont pollué l’environnement, les nuisances des caravanes en faveur du oui, en comparaison avec le très fort taux d’abstention, on se rend bien compte qu’au fond, nous avons affaire à une victoire sans gloire.

Et comme pour amoindrir le choc du fort taux d’abstention, le fameux « stock mort » dans le fichier est brandi. Le Ministre de l’Intérieur Abdoulaye Daouda Diallo épiloguera dessus sans convaincre.

Une attitude qui dénote toutefois un grand manque de lucidité car, en dehors des 200 000 personnes qui n’ont pas reçu leurs cartes d’électeurs du fait d’une panne de machine (qui témoigne d’une grande légèreté), la question peut être légitimement posée de savoir la raison d’un tel empressement à organiser le référendum sans prendre la précaution de revisiter le fichier et d’accorder un temps nécessaire pour communiquer sur les différents points. Il était clair que Macky Sall avait ourdi le plan de prendre ses adversaires par surprise.

Un fort taux d’abstention que l’on ne peut considérer que comme un manque à gagner que pour celui qui a pris l’initiative de l’organisation de la consultation populaire. Les opposants au oui ont pourtant proposé d’autres voies au maître du jeu qu’est Macky Sall.

C’est d’ailleurs de bonne guerre que le front du non attribue 75% de non à Macky Sall en lui mettant l’addition des non et l’abstention dans sa besace.

Au-delà de tout cela, le oui a certes gagné, mais ce qui restera de ce référendum, c’est une profonde amertume, une consultation populaire vidée de son sens, un pays divisé mais surtout une grande perte de crédibilité que le Président Sall tire de son revirement.

Pour ce référendum transformé en affrontement entre le camp présidentiel et celui de l’opposition, nulle place pour le triomphalisme. Que ceux qui pensent que ce sont des opposants pris individuellement qui ont perdu du terrain dans leur fief, se détrompent. Certains électeurs sont en effet tombés dans le piège du vote des 15 points à adopter en entier. Ceux-là ont simplement pour une partie d’entre eux, choisi le pragmatisme en votant en faveur du oui pour une seule et bonne raison, la réduction du mandat à 5 ans. Ces derniers ne sont pas forcément pro Macky ou contre les opposants. Loin de là. Il y a bien évidemment les inconditionnels de Macky Sall et de Beenno Book Yaakaar qui font un vote d’adhésion, même s’ils ne sont pas forcément convaincus du bien-fondé de l’opération. Il y a enfin ceux qui croient que tout le texte est bon et constitue une avancée et qui n’ont pas été convaincus par les arguments des partisans du non.

Quant au fort d’abstention, il peut être interprété comme un désaveu de la méthode utilisée, un boycott, ainsi qu’une indifférence vis-à-vis de toute élection de la part de certains et bien évidemment tous ceux qui ont perdu leurs pièces d’identité voire carte d’électeur.

L’élection présidentielle passée, il reste à Macky Sall d’essayer de reconquérir le cœur des Sénégalais après ce reniement qui pourrait lui coûter cher à la prochaine présidentielle. Mais bien avant cette échéance, les législatives pointent à l’horizon et la crainte pour le Président de perdre sa majorité à l’Assemblée nationale, n’est pas à négliger puisqu’il s’agira pour lui d’un second test.

Surtout dans un contexte où, malgré le taux de croissance de 6,4 affiché par les autorités et dont les retombées au niveau social ne sont pas encore très perceptibles chez les populations, le Président doit se rendre compte que la bonne santé de l’économie ne peut pas être jugée que sur la seule base des infrastructures (ponts, autoroutes, etc) réalisées. La transformation structurelle de l’économie, malgré le programme Sénégal Emergent, n’est pas pour demain. Et un exemple que l’on aime bien prendre pour l’attraction des investisseurs, le Doing business, est bloqué par les réformes en profondeur à entreprendre notamment dans la justice commerciale et le combat contre la corruption. 

Autre sujet sur lequel le Président Sall doit être regardant, c’est la rupture tant annoncée et qui n’a pas eu lieu. Entre l’apologie de la transhumance et le recyclage des personnages politique à la mauvaise réputation, le Président doit tenter de restaurer l’image de la gouvernance mise à mal.

Mais un des points majeurs sur lequel Macky Sall pêche énormément, ce sont les nominations dont la grande majorité ne s’explique pas et n’obéit pour l’essentiel qu’à une logique partisane et une volonté de caser le personnel politique ou transhumant. Tous les actes posés le sont désormais sur une base politicienne. C’est d’ailleurs avec le temps, l’une des raisons qui poussent à s’interroger sur la nécessité de la création d’institutions telles que le Conseil économique, social et environnemental, le Haut conseil des collectivités, le Conseil national du dialogue des territoires ou la raison du nombre pléthorique de ministres alors que 15 seulement auraient suffi. Il y a bien sûr beaucoup d’autres problèmes qui doivent trouver une solution au risque d’un réveil brutal. Mais attention, 3 ans c’est quelque chose en termes de durée, mais ça passe finalement bien vite. 

Abdel kader Ndiaye

Consultant

 

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