Publié le 23 May 2020 - 00:18
REFORME DU FRANC CFA

La France presse le pas 

 

Le gouvernement français a examiné, ce mercredi, en Conseil des ministres, le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre la France et les gouvernements des États membres de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa). Une initiative qui vise à mettre fin au franc CFA, notamment l’implication de la France dans la gestion de la monnaie de cette zone. 

 
 
La France a fait un pas de plus dans le processus de mise à terme du franc CFA dans les pays de l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa) et de son implication dans la gestion de la monnaie de cette zone. Ce mercredi, en Conseil des ministres, ils ont examiné le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord de coopération entre le gouvernement français et les gouvernements des États membres de l’Umoa. Ceci comme signé le 21 décembre dernier, à l’occasion d’une visite du président de la République française, Emmanuel Macron, en Côte d’Ivoire. Un accord que les deux parties considèrent comme une ‘’réforme ambitieuse’’ des relations entretenues par l’Umoa avec la France pour le fonctionnement de son union monétaire.
 
‘’Cet accord de coopération monétaire, remplaçant l’accord de coopération du 4 décembre 1973, préserve les paramètres économiques clefs de stabilité monétaire et de résilience de la monnaie de l’Umoa, à savoir la parité fixe de la monnaie commune avec l’euro et le soutien apporté par la garantie de la France’’, rappelle le document du Conseil des ministres français.
 
D’après la même source, les modalités de la coopération monétaire entre la France et l’Umoa ‘’évoluent cependant en profondeur’’. Et comme décidé par l’Umoa, le nom de la monnaie de l’union, aujourd’hui le franc CFA, évoluera pour devenir l’Eco. La France et l’Umoa ont également décidé de mettre fin à la centralisation des réserves de change de l’Umoa à Paris, en actant la suppression du compte d’opérations. Enfin, les modalités d’échange entre l’Umoa et la France sont profondément modifiées : la France se retire de l’ensemble des instances de gouvernance de l’union. ‘’Avec cette réforme, elle ne nommera plus de représentants au Conseil d’administration et au Comité de politique monétaire de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), ni à la Commission bancaire de l’union’’, lit-on dans le document.
 
Une coopération sur de ‘’nouvelles bases’’ 
 
Ainsi, la place de la France se transforme donc pour devenir celle d’un ‘’simple garant financier’’. Dans cette optique, le gouvernement français renseigne que de ‘’nouveaux mécanismes’’ sont prévus pour lui permettre de ‘’disposer de l’information nécessaire’’. Ceci pour ‘’suivre et maîtriser le risque financier qu’elle continuera de prendre’’. ‘’Il s’agit notamment d’informations régulièrement transmises par la BCEAO ou de rencontres informelles avec les différentes autorités et institutions de l’union. En cas de crise ou d’activation de la garantie, les liens se renforceraient pour permettre des échanges approfondis entre l’Umoa et le garant, en particulier au sein du Comité de politique monétaire de la BCEAO’’, précise le communiqué. 
 
Donc, avec cet accord, la coopération entre la France et l’Umoa se poursuit sur de ‘’nouvelles bases’’, tout en garantissant à la France une ‘’maîtrise de son exposition’’. ‘’Ce nouveau positionnement permet, enfin, d’accompagner l’Umoa dans sa volonté de s’inscrire dans le projet de monnaie unique à l’échelle de la Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO)’’, indique la France. 
 
En réalité, dans le projet de loi cosigné par le ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères et son collègue en charge de l’Economie et des Finances, il est expliqué que l’accord pose ‘’les axes de la réforme (mention dans le préambule du changement du nom de la monnaie, de la suppression du compte d’opérations et du retrait de la France des instances de gouvernance, dans le contexte de la création progressive d’une monnaie unique à l’échelle de la CEDEAO) tout en conservant explicitement le régime de change fixe vis-à-vis de l’euro et la garantie illimitée de la France’’. 
 
Il fixe, ainsi, le principe de la présence au Comité de politique monétaire (CPM) de la BCEAO d’une personnalité ‘’indépendante et qualifiée’’, nommée ‘’intuitu personae par le Conseil des ministres de l’Umoa, en concertation avec la France’’. Cette personnalité, qui prendra part aux délibérations, sera choisie en fonction de son expérience dans les domaines monétaire, financier ou économique. 
 
Le texte prévoit également la possibilité, pour chacune des parties à l’accord, de ‘’demander une réunion’’ lorsque les conditions le justifient, notamment en vue de prévenir ou de gérer une crise. Mais aussi, qu’en situation de ‘’crise sévère’’ (taux de couverture de la monnaie, soit le rapport entre le montant moyen des avoirs extérieurs de la BCEAO et le montant moyen de ses engagements à vue inférieur à 20 %) ‘’la France pourra désigner, à titre exceptionnel et pour la durée nécessaire à la gestion de la crise, un représentant’’ au Comité de politique monétaire (CPM). Et le projet de loi précise que la transformation du rôle de la France en celui ‘’d’un strict garant financier’’, se traduit ainsi par la fin de sa représentation dans les ‘’instances techniques’’ de gouvernance de la zone où elle ‘’ne disposera plus’’, hors cas de crise, de droit de vote.
 
Impacts économiques, financiers et juridiques de l’accord 
 
Il convient de noter que cet accord n’est pas sans conséquence, selon le document des autorités françaises. En effet, sur le plan économique, la réforme maintient ‘’inchangés’’ les paramètres essentiels à la stabilité macroéconomique et monétaire de l’Umoa. ‘’La garantie apportée par la France fonctionnera sur le même principe qu’aujourd’hui : si la BCEAO fait face à un manque de disponibilités pour couvrir ses engagements en devises, elle pourra se procurer les euros nécessaires auprès de la France. La crédibilité de l’ancrage de la monnaie de l’union sur l’euro est donc préservée’’, renchérit le texte. D’après la même source, la fin de l’obligation de dépôt des réserves de change de la BCEAO permettra à la Banque centrale de ‘’disposer de la totalité de ses réserves et de décider de leur allocation et de leur placement’’, avec, dans l’environnement de taux actuel, un impact probable sur la rémunération de ses avoirs.  
 
‘’La transition vers un régime de change flexible, évoquée par la CEDEAO pour sa monnaie unique, correspond cependant à un objectif de plus long terme, lorsque le projet de monnaie unique CEDEAO aura pu être concrétisé à l’échelle de toute la CEDEAO. Ce n’est pas l’objet principal de la réforme de la coopération entre l’UEMOA et la France, qui reste pleinement engagée aux côtés de ses partenaires, comme le montre le maintien de la garantie illimitée de convertibilité de la devise, au même taux fixe qu’aujourd’hui’’, affirme la France.
 
Concernant les conséquences financières, le projet de loi informe que la réforme prévue par l’accord sera mise en œuvre dans le courant de l’année 2020. ‘’Le principal risque auquel les finances publiques françaises seront exposées, et correspondant à l’activation de la ligne de garantie (jusqu’à son remboursement lors de la reconstitution des réserves de change) demeure le même que celui de découvert du compte d’opérations dans le dispositif actuel. Ce découvert correspond, en pratique, à un prêt de l’Etat français à la BCEAO, dans des conditions qui seront définies par la convention de garantie auquel renvoie l’accord’’, soutiennent les autorités françaises. 
 
Les réserves de change de l’union estimées à 15,3 milliards d’euros à fin 2019
 
Selon celles-ci, ce risque d’activation est à l’heure actuelle ‘’très limité’’. Ceci, compte tenu de la situation macroéconomique globalement favorable de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Il s’agit du taux de croissance supérieur à 6 % entre 2012 et 2019, du niveau d’endettement global maîtrisé autour de 50 % du produit intérieur brut (PIB) de la zone à fin 2019 et du niveau élevé de réserves de change. Qui sont estimées à environ 15,3 milliards d’euros à fin 2019, soit près de cinq mois d’importations. Pour le taux de couverture de la monnaie (TCM), il reste supérieur à 70 % depuis plusieurs années. 
 
Pour mémoire, les derniers cas d’activation de la garantie, dans le cadre de l’accord actuel, sont limités et relativement anciens, c’est-à-dire antérieurs à 1994.
 
Selon le texte de loi, le retrait des sommes déposées par la BCEAO au Trésor français se traduira par une ‘’baisse du niveau moyen’’ du compte du trésor. ‘’La fin de l’obligation de dépôt des réserves de change de la BCEAO sur le compte d’opérations entraînera également la fin de la rémunération avantageuse des avoirs déposés sur le compte (à un taux de 0,75 % actuellement). Pour mémoire, ce sont respectivement 40,6 et 40,4 millions d’euros qui ont été versés à la BCEAO en 2018 et 2019. Enfin, la garantie de change dont bénéficient les sommes déposées par la BCEAO sur le compte d’opérations disparaîtra également’’, estime la même source. Sur ce, il est soutenu que les dépôts obligatoires de la BCEAO bénéficient actuellement d’une ‘’garantie de non-dépréciation’’ par rapport au panier de devises internationales constitutif du droit de tirage spécial (DTS). À ce titre, en cas de dépréciation de l’euro par rapport aux monnaies internationales, la France ‘’compense financièrement la perte de valeur’’ des dépôts sur le compte d’opérations. 
 
‘’En France, cet accord n’emporte pas de conséquences sociales. Dans les pays de l’UEMOA, le maintien du régime de change fixe et de la parité permet de protéger le faible niveau d’inflation observé en UEMOA’’, poursuit le texte.
 
Pour les aspects juridiques, il est envisagé l’articulation de cette loi avec les accords ou conventions internationales existantes. Au fait, cet accord, dans son article 7, reconnaît à la BCEAO des ‘’privilèges et immunités équivalents’’ à ceux reconnus aux institutions spécialisées des Nations Unies en application de la convention sur les privilèges et immunités des institutions spécialisées des Nations Unies de 1947. Il précise également que l’accord ‘’ne porte préjudice en rien’’ aux privilèges et immunités accordés par l’accord signé le 4 avril 1979 entre le Gouvernement du garant et la BCEAO relatif à l’établissement à Paris d’un bureau de la BCEAO et à ses privilèges et immunités. Le régime de privilèges et immunités défini à l’article 7 de l’accord ‘’ne comporte ainsi aucune limitation ou modification’’ du régime de privilèges et immunités issu de l’accord du 4 avril 1979.
 
Toutefois, compte tenu du maintien de la parité fixe et de la garantie illimitée et inconditionnelle de convertibilité assurée par la France, les autorités françaises s’inscrivent dans la procédure d’information prévue à l’article 4 de la décision du conseil. Le considérant n°11 de la décision prévoit, en effet, qu’il ‘’convient que les organes communautaires compétents puissent se prononcer avant toute modification de la nature ou de la portée des accords actuels ; que cela s’applique aux modifications concernant les parties à l’accord et le principe de la libre convertibilité à parité fixe entre l’euro et les francs CFA et comorien, cette convertibilité étant garantie par un engagement budgétaire du Trésor français’’. 
 
‘’Or, les modifications envisagées pour la réforme de notre coopération avec l’Umoa ne modifient pas la parité fixe de la devise de l’union avec l’euro et la garantie assurée par la France, mais seulement les modalités techniques opérationnelles de suivi de la garantie. Cette analyse est partagée par la Commission européenne. Dans le droit interne, aucune modification législative ou réglementaire complémentaire n’est prévue’’, rassurent les autorités françaises. 
 
MARIAMA DIEME 

 

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