Publié le 26 Dec 2019 - 17:52
REFORMES DU FCFA

Ces divergences entre Wade et Macky

 

Au-delà de ses aspects techniques, le débat autour du franc CFA est aussi foncièrement technique. Sous cet angle, Abdoulaye Wade s’est le plus illustré en tant que réformateur, quand il était aux affaires ; Macky Sall, lui, récemment, s’est voulu on ne peut plus prudent ; tandis que Mamadou Lamine Diallo vient de mettre les pieds dans le plat du franc CFA.

 

Chassez Abdoulaye Wade, ses idées restent encore vivaces, dans la mémoire collective de plusieurs africains. Sur la question du franc CFA qui suscite, aujourd’hui, le tollé, il fait partie des premiers chefs d’Etat africain à exprimer ouvertement son point de vue critique. A l’époque, parler du franc CFA en ces termes relevait, pour certains, d’un crime de lèse-majesté. Le Pape du Sopi disait à qui voulait l’entendre : ‘’Il faut revoir la gestion monétaire de nos pays. Nous sommes un certain nombre d'Africains à être déçus de l'évolution de notre projet continental. Nous réfléchissons à la possibilité de revenir à un projet régional avec sa propre monnaie. Les autorités françaises le savent’’. Ces propos ont été tenus en avril 2010, à l’occasion de la célébration des 50 ans d’indépendances de plusieurs Etats africains.

Très critique envers la monnaie commune des Etats de l’Union économique et monétaire ouest africaine et du Cemac, l’ancien Président sénégalais fulminait : ‘’Si nous récupérons notre pouvoir monétaire, nous gérerons mieux’’. A l’en croire, si le Ghana a sa propre monnaie et la gère bien, la Mauritanie avec son ouguiya finance son économie, la Gambie, voisine du Sénégal, fait de même avec son dalasi, les pays de la zone CFA, aussi, devraient en être bien capables. ‘’Nous, malgré tous nos atouts, nous n'arrivons pas à mener une politique monétaire’’, s’indignait le Pape du Sopi. Il se voulait certes audacieux, mais pas téméraire. A la question de savoir si le Sénégal avait l’intention d’abandonner le franc CFA, il était catégorique. ‘’Ah non ! Je ne peux pas le dire comme ça. Il faut quand même être responsable. Je fais pression pour que l'on revoie la gestion monétaire’’, précisait-il dans un entretien avec RFI.

Près de dix ans plus tard, son successeur, lui, se veut plus conservateur. Récemment, dans une interview avec RFI, il disait : ‘’Si on ne veut pas faire de politique politicienne, tout le monde reconnaît que le franc Cfa est la monnaie la plus stable en Afrique de l’ouest. Elle a cours presque dans tous les pays, contrairement aux autres monnaies. C’est la preuve que c’est une monnaie solide. On peut en dire ce qu’on veut et peut-être changer le nom, mais elle reste la meilleure monnaie’’. Cette déclaration lui avait d’ailleurs valu d’être accusé de pourfendeur du projet de monnaie unique de la Cedeao. A propos de cette question, il soulignait : ‘’C’est dans les perceptive. Mais, pour une monnaie commune, il faut aller avec tous les ingrédients. Il faut que tous les préalables soient réunis pour éviter à nos populations, de connaitre des changements qui peuvent déstabiliser nos pays. Parce que nous sommes habitués à des taux fixes et à une inflation basse…’’.

Tout en se voulant plus audacieux, Wade non plus n’a jamais milité pour une rupture totale d’avec le FCFA. La question de la monnaie, faisait-il savoir, est très importante et nécessite beaucoup de rigueur. Il préconisait ainsi la prudence. Dans une audience accordée, à l’époque, aux dirigeants de banques centrales, il disait : ‘’On ne peut pas tricher avec la monnaie. Car elle est évaluée selon des instruments qui ne dépendent pas que de nous. Ces instruments dépendent de plusieurs paramètres... Tricher, c’est vouloir une chose et son contraire, peut-être parce qu’on ignore ce que c’est que la monnaie. Il ne faut pas qu’on vous (les dirigeants des banques centrales) demande l’impossible’’.

Si on en croit l’ancien Président, l’impossible serait de demander la monnaie unique (CEDEAO) comme si ça pouvait tomber du ciel sans en accepter les implications. ‘’Il faut qu’on soit logique’’, persistait-il, estimant que l’Uemoa et la Cedeao en avaient bel et bien les moyens, mais à condition de mettre en avant leurs forces. ‘’Partout dans le monde, il y a un leadership. Le leadership de l’UEMOA, ce n’est pas le Sénégal, ce n’est pas la Cote d’ivoire, c’est parce que nous sommes ensemble. Voilà pourquoi nous pesons’’.

A propos des réserves, Abdoulaye Wade s’indignait que la moitié soit gardée dans des banques en Europe.  ‘’Il faut qu’on nous donne l’argent pour nous éviter de parcourir le monde à mendier. On me dit que c’est un problème de comptabilité, cela ne peut pas se faire. Moi, je ne connais pas la comptabilité, et je ne veux pas la connaître. Tout ce que je sais, c’est que j’ai de l’argent à l’extérieur et j’en ai besoin. C’est tout!’’

En critiquant aussi vertement le franc CFA et ses conséquences dans le domaine économique, Maitre Wade ne se faisait pas que des amis. Aujourd’hui donc, une partie de son rêve a été réalisé. Les réserves vont retourner en Afrique, le nom va changer et les Français vont quitter les instances de décisions. Des progrès importants, même si le combat reste entier, si l’on en croit plusieurs spécialistes. Mais l’ancien président de la République, comme ses homologues actuels, n’a jamais souhaité, une rupture totale et brutale. Selon lui, il ne faut surtout pas provoquer une débandade du franc CFA.

Pour sa part, la France, hier comme aujourd’hui, a opté pour la même stratégie. Christine Lagarde, à l’époque ministre française de l’Economie, précisait : ‘’Ce n’est pas à la France de déterminer si le système actuel est approprié ou non, s’il faut en sortir ou pas. Cette époque est révolue. C’est aux Etats concernés de prendre leurs responsabilités.’’  Toutefois, tenait-elle à affirmer comme pour décourager toute velléité d’indépendance : ‘’Face à la crise financière internationale, ‘'il n’a pas été nuisible aux pays de la zone franc d’être dans un système accroché à l’euro’’. Près d’une décennie, plus tard, l’actuel Président de la France Emmanuel Macron a tenu le même langage au Burkina Faso, avant de passer à l’acte, prétextant avoir entendu la jeunesse africaine.

Outre la stabilité, les défenseurs du franc ont, aussi, toujours mis en avant la convertibilité avec les monnaies des autres pays africains et avec l’euro. Mais cet atout comporte aussi des inconvénients, si l’on en croit les experts, car favorisant les évasions fiscales et la fuite des capitaux. ‘’Entre 1970 et 2008, rappelait dans une tribune l’économiste Demba Moussa Dembélé, l’Afrique aurait perdu quelque 850 milliards de dollars, dont la moitié entre 2000 et 2008. Certes, ces sorties illégales de capitaux ne sont pas exclusivement liées à la convertibilité des monnaies, mais celle-ci tend à faciliter la tâche des criminels en col blanc’’.

 Citant Sanou Mbaye, ancien économiste à la Banque africaine de développement, il soulignait : ‘’dans l’état actuel du développement des économies des pays de la zone franc, la norme, en matière de politique de change, devrait reposer sur l’inconvertibilité et l’intransférabilité du franc CFA’’.

Aujourd’hui donc, c’est une nouvelle page qui s’ouvre pour les pays dans les rapports entre la France et les pays de l’espace franc, particulièrement de la zone Uemoa. Une phase historique pour certains intellectuels africains, juste symbolique pour beaucoup d’autres, principalement de gauche.

QUESTEKKI, MAMADOU LAMINE DIALLO

‘’Le régime de Macky Sall est dans ses petits souliers’’

Dans sa dernière question économique de la semaine, le président de Tekki, Mamadou Lamine Diallo, s’est intéressé à plusieurs questions dont les réformes du franc CFA. Pour lui, ces nouvelles mesures annoncées depuis Abidjan met le régime de Macky Sall dans ses petits souliers. ‘’Il a soutenu jusqu’au bout que le franc CFA  n’avait que des avantages : bas niveau d’inflation et possibilité garantie par la France de ne jamais manquer de devises fortes... Or, le bas niveau d’inflation ne peut pas être un objectif unique de la politique monétaire pour un pays où plus de 90% de la population vit dans l’extrême pauvreté et la précarité, sauf à démontrer qu’un pauvre du Sénégal vit mieux qu’un pauvre du Nigéria ou du Ghana’’.

Selon lui, la jeunesse a bien compris cela.  Agacé par un sentiment anti-français grandissant dans l’Afrique de l’Ouest, Macron a décidé d’accélérer des réformes étudiées depuis quelques années. ‘’Alassane Ouattara, aussi, voudrait briguer un troisième mandat et sait que la jeunesse ivoirienne est sensible à l’indépendance monétaire. Ainsi, pour des raisons politiciennes, le franc CFA sera remplacé par l’éco. Tant mieux, si on évite la balkanisation monétaire et si on engage une politique monétaire plus active’’, souligne l’économiste. Pour Mamadou Lamine Diallo, le reste est l’affaire des techniciens de la politique monétaire.

MOR AMAR

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