Publié le 4 Jan 2016 - 07:06

REFORMES INSTITUTIONNELLES  ITE MISSA EST ! (LA MESSE EST DITE)

 

Après presque quatre ans de tergiversations, d’atermoiements et de louvoiements, le Président de la République vient, lors de son message à la Nation du 31 décembre 2015, de mettre un terme aux illusions des forces de gauche regroupées au sein de la Confédération pour la Démocratie et le Socialisme (CDS), qui rêvaient encore de faire prévaloir leur programme minimum  basé sur les « conclusions des Assises nationales » et le « projet de réforme des Institutions » proposé par la Commission Nationale de Réforme des Institutions (CNRI).

 

Ce discours tant attendu a commencé par l’énumération fastidieuse de réalisations gouvernementales, dont la communication présidentielle envahissante et assourdissante, ponctuée de slogans élogieux, fait quotidiennement état dans la presse officielle, sans vraiment rendre compte du vécu réel et morose de la majorité des citoyens sénégalais.

Ensuite, sur la base d’efforts réels au niveau de la politique agricole et à la faveur d’une pluviométrie exceptionnellement favorable, le Président, s’appuyant sur les chiffres factices concoctés par les experts du Ministère de l’Economie et des Finances, nous a fait miroiter des taux de croissance alléchants, qui ne se font pas encore ressentir dans le panier de la ménagère.

Enfin et c’est sur cet aspect que nous voudrions insister, sa position sur les réformes institutionnelles est venue confirmer les actes qu’il a posés depuis son accession à la magistrature suprême, à savoir une défiance manifeste envers les conclusions des Assises Nationales, dont il n’a même pas évoqué le nom durant l’intégralité de son allocution.

Conscient que toute fausse manœuvre sur les réformes institutionnelles risque de faire voler en éclats sa coalition dénommée Benno Bokk Yakaar, le Président continue de faire dans le clair-obscur, se servant encore de formulations générales et refusant d’indiquer la date officielle de tenue d’un référendum hypothétique, soumis à la saisine du Président de l’Assemblée Nationale et à l’approbation préalable du Conseil Constitutionnel.

DES REFORMES SUPERFICIELLES ET IMPRECISES

Le package proposé par le Président de la République, dans le cadre de son projet de réforme constitutionnelle ne vise qu’à édulcorer les propositions novatrices issues des Assises Nationales, confirmées par la CNRI et qui ont eu l’assentiment de larges couches populaires de notre pays. Hostile à toute idée de rupture véritable telle que préconisée par le Peuple des Assises, le premier magistrat de la Nation se propose "d’apporter à notre Constitution les changements consensuels appropriés sans provoquer de rupture normative dans la nature même de notre régime politique", allant ainsi à contre-courant des forces politiques de gauche, qui préconisent l’application intégrale de l’Avant-projet de Constitution proposé par la CNRI.

On peut noter, cependant, quelques mesures positives telles que le respect de la promesse de réduction du mandat présidentiel avec application immédiate, encore soumis à un possible véto des cinq Sages du Conseil Constitutionnel, la participation des candidats indépendants à tous les types d’élections, l’intangibilité des dispositions relatives à la forme républicaine, la laïcité, le caractère indivisible, démocratique et décentralisé de l’Etat,  la durée et le nombre de mandats consécutifs du Président de la République.

Il faudra, par contre que le peuple sénégalais soit davantage édifié sur le contenu des chapitres relatifs à la modernisation des partis, à la reconnaissance de nouveaux droits aux citoyens, au renforcement de la citoyenneté par la consécration des devoirs du citoyen, à l’élargissement des pouvoirs de l’Assemblée nationale en matière de  contrôle de l’action gouvernementale et d’évaluation des politiques publiques.

D’autres mesures dégagent un fort  relent politicien et/ou clientéliste telles que celles relatives à la mise en place d’un Haut Conseil des Collectivités Locales, qui est une sorte de Sénat qui ne dit pas son nom, l’élection des députés de la diaspora alors qu’on aurait pu se satisfaire d’un Conseil consultatif des sénégalais de l’extérieur tel que proposé par la CNRI.

Le renforcement des droits de l’Opposition et de son Chef ne pourra se faire que si des pratiques telles que la transhumance, le traitement sélectif des dossiers de justice, la répression et l’intimidation de leaders politiques sont bannies de l’espace politique national.

Le renforcement des pouvoirs du Juge Constitutionnel ne se fera pas simplement par des mesures de replâtrage telles que l’élargissement des compétences du Conseil constitutionnel appelé par ailleurs à délibérer sur des lois organiques pour contrôle de constitutionnalité avant leur promulgation.

QUELQUES MESURES PHARES OCCULTEES

La CNRI avait, quant à elle, préconisé la suppression du Conseil Constitutionnel et la création d’une Cour constitutionnelle, aux pouvoirs renforcés, assurant un meilleur contrôle de la constitutionnalité des lois et garantissant la primauté de la Constitution.

Le Président de cette Cour Constitutionnelle placée  au sommet du système judiciaire devra présider le Conseil Supérieur de la Magistrature, dont devraient être exclus le Président de la République et le Ministre de la Justice, afin de garantir une réelle séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire.

Pour une véritable autonomisation du pouvoir législatif, une réforme du mode de scrutin aux élections des députés est incontournable, en vue d’une plus grande représentativité des élus du peuple. En effet, la prédominance du mode de scrutin majoritaire à un tour favorise les partis ou coalitions au pouvoir. Cet état de fait est à l’origine des majorités mécaniques dont l’hégémonie au niveau de l’Assemblée Nationale nuit au jeu politique, qui perd en audace, qualité et en diversité.

Dans le même ordre d’idées, le cumul des fonctions de Président de la République et de président du parti fausse le jeu démocratique. C’est ainsi que les Assises avaient proposé  que le Président de la République cesse d’être chef de parti dès son élection. Son pouvoir de nomination devrait également être encadré, par "l’instauration de l’appel à candidature pour la nomination aux postes de direction dans l’Exécutif ainsi que le respect des critères de compétence et de hiérarchie dans la nomination des personnels des différentes administrations".

Les fonds secrets mis à sa disposition devraient faire l’objet d’un contrôle rigoureux et ne pas relever de son seul pouvoir discrétionnaire

L’adresse du Chef de l’Etat à la Nation, en ce début d’année 2016 aura au moins le mérite de clarifier le débat politique sur la seule question qui justifiait le compagnonnage des forces de gauche avec ce président d’obédience libérale.

Il appartient maintenant aux partis de gauche regroupés au sein de la CDS et toutes autres forces intéressées à une refondation institutionnelle véritable d’engager la bataille contre la reconduction de la Constitution de Wade.

Ne pas le faire serait trahir l’esprit des Assises Nationales !

NIOXOR TINE

 

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