Publié le 27 Oct 2019 - 13:44
REFUGIES AFRICAINS

L’art au secours des déplacés internes

 

En passant par le domaine artistique, le Comité international de la Croix-Rouge a voulu montrer les pénibles conditions de vie des déplacés internes, en plus de sensibiliser les groupes armés et les Etats africains sur l’urgence humanitaire. L’exposition ‘’J’ai dû tout quitter’’ en dit long sur la problématique.

 

‘’Nous venons d’une île du lac Tchad. Là-bas, nous menions une vie paisible d’élevage et pêche. Lorsque notre village a été attaqué, il y a quatre ans, nous avons dû tout quitter pour sauver nos vies… Le voyage ne fut pas facile. Ceux qui savaient nager s’agrippaient à des morceaux de bois pour traverser. Nous avons eu du mal à nous adapter à ce nouvel endroit. Le manque de nourriture est notre principal problème…’’.

Un témoignage de Ngabou, un jeune déplacé parmi des millions d’autres dans la province du lac Tchad, en raison de conflits armés. Il fait partie des portraits peints par l’artiste Ben Betsalel résidant à Dakar, exposés depuis hier à la place du souvenir. ‘’J’ai dû tout quitter’’ est une exposition née sous l’impulsion du Comité international de la Croix-Rouge (Cicr), montrant le vécu des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Eric Chege (photographe), Birom Seck (vidéaste) et Ben ont recueilli, en République centrafricaine et au Tchad, des témoignages poignants qui transportent le visiteur dans l’univers bouleversant des déplacés internes.

En effet, le Cicr a voulu, à travers l’art, ouvrir une fenêtre sur l’histoire de ces personnes forcées de fuir pour vivre, dans un avenir incertain. ‘’On rencontre des personnes à qui la guerre a tout pris. Et nous devons raconter leurs difficultés le plus fidèlement possible, sans les embellir, ni les rendre plus tristes. Pour raconter leur histoire fidèlement, il faut les écouter, rester concentrés, même quand des images de tout ce qu’ils ont pu traverser vous envahissent et vous occupent l’esprit. Lorsque vous pensez à tous ces proches qu’ils ont perdus, vous êtes aussi perdus, mais il faut rester concentré, professionnel.  Cette chose qui nous aide à contenir nos émotions, c’est la résilience de ces personnes déplacées’’, a déclaré avec beaucoup d’émotion l’artiste Birom Seck. Il ajoute : ‘’On n’oublie jamais un visage marqué par la tristesse, encore moins un visage qui garde le sourire, malgré tout. Ce projet, ‘J’ai dû tout quitter’, est un appel à l’action. Il permet de transmettre leurs messages pour que tous apprennent d’eux et réagissent.’’

Photos, vidéos, portraits de visages sombres, tristes aux yeux larmoyants… Bref, le trio a touché de près une problématique qui inquiète le Comité international de la Croix-Rouge. Selon la chargée des relations publiques du comité, ‘’ce sont des gens qui sont dans des situations difficiles et vulnérables. Nous nous chargeons de distribuer de la nourriture, nous nous assurons que ces personnes qui ont fui les violences aient accès à de l’eau potable, car elles partent sans rien. Elles prennent la route sans savoir quand elles pourront rentrer chez elles’’.

Une sensibilisation sur la Convention de Kampala

En Afrique, ce sont près de 18 millions de déplacés internes, soit plus d’un tiers des déplacés dans le monde. Le continent compte d’ailleurs l’un des plus forts taux. Au-delà des conditions de vie des déplacés, le Cicr entend sensibiliser les Etats africains quant à l’adoption de la Convention de Kampala encore appelée Convention sur la protection et l’assistance des personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays. Mise en œuvre par l’Union africaine le 23 octobre 2009, elle constitue le premier instrument régional au monde qui permet aux Etats membres de protéger les droits et le bien-être de ces personnes forcées de fuir à l’intérieur de leur pays d’origine. A ce jour, 40 pays l’ont signée et 28 sont passés à sa ratification. Par ailleurs, la convention stipule qu’en Afrique, le déplacement est un phénomène à causes multiples : catastrophes naturelles, impact du changement climatique, conflits armés, projet de développement. ‘’Les situations de déplacés internes sur de longues périodes témoignent de la nature chronique des conflits armés. Au-delà des chiffres, il y a des destins humains et c’est ce que nous avons cherché à montrer à travers une démarche artistique’’, affirme la responsable du Centre de communication régional à Dakar, Angélique.

Selon elle, les pays africains sont invités à faire davantage d’efforts pour que les aspirations de la convention deviennent une réalité. ‘’Personne ne choisit d’être déplacé, de laisser tout derrière soit pour un avenir incertain. Cependant, quand les conflits font rage, de nombreuses personnes sont amenées à prendre des décisions. Est-ce temporaire ? Dois-je aller plus loin ? Dois-je partir dans un autre pays ? Où serais-je en sécurité ? Dans le cadre de ce dixième anniversaire de la Convention de Kampala, l’exposition nous permet d’entrevoir ces réalités et ces espoirs’’, ajoute-t-elle.

Sous le commissariat de la médiatrice culturelle Aïssatou Diop, ce vernissage constitue, pour l’artiste principal Ben Betsalel, un engagement. L’art, selon lui, fascine, accroit la curiosité et enthousiasme plus d’un. C’est un cataclysme de dialogue. ‘’En fait, il s’agit d’imaginer ce qui se passerait, si cela vous arrivait. Chaque portrait est celui d’une personne réelle. Plus que des chiffres, des noms et des histoires, ce sont des êtres humains, des personnes qui ont vécu des cauchemars de voir leur village et leur maison attaqués mais qui, malgré tout, ont accepté le projet partageant leurs histoires et posant pour les portraits’’, lance-t-il. L’exposition durera un mois et le Comité internationale de la Croix-Rouge compte lancer sous peu un prix dénommé ‘’Art et humanité’’ qui mettra en jeu des écoles d’art sénégalaises. 

  EMMANUELLA MARAME FAYE

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