Publié le 9 Oct 2023 - 17:12
REGAIN DE CONFLIT AU MOYEN-ORIENT

Offensive du Hamas, faillite sécuritaire israélienne

 

Le déclenchement de l'opération ‘’Déluge d'Al-Aqsa’’ a battu en brèche l’invulnérabilité de l’armée israélienne considérée comme la plus moderne et la plus puissante de la région. Les commandos palestiniens ont investi des villes comme Sderot et Ashkelon avant de tuer et d’enlever une centaine de civils israéliens. La riposte israélienne ‘’Glaive de fer’’ risque de provoquer un embrasement dans tout le Proche-Orient.

 

L’attaque-surprise du mouvement palestinien Hamas a complètement mis à nu les failles sécuritaires de l’État hébreu, notamment dans la région sud du pays (district du Sud) qui borde la bande de Gaza. Cette attaque ‘’Déluge Al Aqsa’’ depuis l’enclave palestinienne a été déclenchée le jour du Shabbat (jour férié chez les Juifs) lors de la fête juive de Souccot et qui coïncide avec le 50e anniversaire du déclenchement de la guerre du Yom Kippour (6 octobre 1973).

Ainsi, en quelques heures tôt dans la matinée de ce “samedi noir,” des commandos du Hamas, composés d’une centaine de combattants, ont réussi à franchir la barrière de sécurité censée éviter toute incursion en provenance de la bande de Gaza. Ce dispositif, constitué de barrières métalliques, de barbelés, de caméras et de capteurs érigés depuis la prise de pouvoir du Hamas à Gaza, n’a pas résisté aux assauts des commandos palestiniens à bord de pick-up et de motos qui ont réussi à atteindre les points de passage de Erez, les kibboutz, villages situés près de la bande de Gaza et même de grandes villes comme Ashkelon et Sderot.

À cela s’ajoute la campagne de saturation des défenses antiaérienne israélienne le ‘’Dôme de fer’’, système anti-défense israélienne, avec l’envoi de milliers de roquettes, 5 000 selon le Hamas et 2 500, selon les autorités israéliennes. Les commandos du Hamas se sont infiltrés, sans presque aucune résistance en face, ont conquis des bases de l’armée israélienne et capturé des civils et des militaires israéliens et envoyés à Gaza. Il s'agit à la fois d'un échec militaire pour Israël et d'un échec cuisant pour ses services de renseignement. Le bilan est lourd pour Israël, avec plus de 600 morts et près de 1 500 blessés et une centaine de civils enlevés. 

Dans la ville de Sderot, les militants du Hamas avaient pris d’assaut le commissariat de la ville tuant au passage 20 policiers.

Au moins 370 civils palestiniens ont également été tués dans la bande de Gaza, touchée par les frappes aériennes israéliennes en riposte. En effet, il a fallu attendre la fin de l'après-midi, pour voir la riposte israélienne se mettre en place avec des frappes de drones et de l’aviation israélienne contre les commandos du Hamas.

Des frappes ont visé depuis samedi soir le centre-ville où Tsahal a indiqué avoir pilonné des positions du Hamas et du Djihad islamique. Dans la journée du dimanche 8 octobre, des combats ont été signalés dans huit localités dans le sud du pays proche de la bande de Gaza. Des évacuations sont en cours autour d’un périmètre de 7 km autour de la bande de Gaza et des renforts ont été déployés dans le sud d'Israël pour tenter de mettre fin aux infiltrations du Hamas.

L'armée israélienne a mis en garde contre une nouvelle infiltration présumée de militants de la bande de Gaza à Sderot, dans le district du sud-ouest d'Israël, au cours de la soirée d’hier dimanche.  

Le Premier ministre Benyamin Netanyahu a indiqué une riposte vigoureuse et le déclenchement de l’opération ‘’Glaive de fer’’, ce qui laisse entendre une prochaine opération terrestre dans la bande de Gaza. Le paragraphe 40 de la loi fondamentale a été activé, autorisant la proclamation de l'état d’urgence nationale. La dernière opération en 2014 avait été marquée par des pertes significatives pour Tsahal au cœur d’une enclave densément peuplée avec une configuration de guérilla urbaine.

Dans la journée du 8 octobre, des centaines de roquettes ont continué de viser les villes de Tel-Aviv et de Jérusalem, tandis que des mouvements milliaires étaient notés.

Sur le plan diplomatique, les États-Unis et l’Union européenne ont exprimé leur soutien à Israël et le droit de l’État hébreu de se défendre. Tandis que la Chine, la Russie et les pays arabes ont appelé les deux parties à la retenue.

Risque d’embrasement régional avec l’implication du Hezbollah

Selon plusieurs spécialistes, cette attaque massive vient remettre en cause les doctrines sécuritaires basées sur une forte activité des services de renseignement extérieur (Mossad), du renseignement intérieur (Shin Bet) et Aman (renseignement militaire), des frappes préventives en cas de menace contre l’État hébreu ainsi qu’une surréaction en cas d’attaque pour dissuader tout ennemi d'Israël. Les services de renseignement israéliens avaient prévu une offensive depuis la Cisjordanie (Judée et Samarie) avec la multiplication des accrochages entre Tsahal et des groupes palestiniens dans les camps de réfugiés comme Jénine, depuis plusieurs mois.

Par ailleurs, la contestation de la réforme de la justice, qui a mobilisé une grande partie des réservistes qui forment la cheville ouvrière de l’armée israélienne, a profondément paralysé les capacités de réaction des forces de sécurité israéliennes. Des affrontements ont été signalés dans le nord de l’État hébreu entre le Hezbollah libanais et Tsahal, hier, dans la matinée, autour des fermes de Chebaa très contestées. Le Hezbollah a aussi émis la possibilité qu’un deuxième front.

Durant l’été 2006, une guerre dévastatrice avait opposé le Hezbollah à l’État hébreu, faisant plus de 1 200 morts côté libanais, en majorité des civils, et 160 côté israélien, des militaires pour la plupart. Ce choix du ‘’tout sécuritaire’’ - répression, colonisation, attaques de colons, des centaines de Palestiniens tués chaque année, des détentions arbitraires - a montré ses limites marquées par l’occupation qui dure depuis 56 ans. 

L’action en sous-main de l’Iran ?

Cette opération du Hamas proche de l’Iran est considérée par les responsables israéliens comme une volonté de Téhéran de déstabiliser l’État hébreu. L’Iran, qui craint une opération militaire de la part d’Israël pour tenter de mettre fin à son programme nucléaire à travers cette opération du Hamas, tente de neutraliser la force de frappe israélienne. Tel-Aviv, à travers divers sabotages informatiques, assassinats de scientifiques iraniens, a réussi à retarder pendant plusieurs années la volonté de Téhéran d’avoir la bombe atomique.

Par ailleurs, Israël s’oppose à la volonté hégémonique de l’Iran au Moyen-Orient, en menant des frappes contre des positions iraniennes et du Hezbollah en Syrie. L’Iran, qui s’opposait aux accords d’Abrams qui ont abouti à la normalisation des relations entre Israël et les pays arabes en 2020 (Soudan, Maroc, Bahreïn et Émirats arabes unis) voit dans cette aide au Hamas un moyen de torpiller les accords. Le rapprochement de plus en plus significatif entre l’Arabie saoudite et Israël avait été mal vu par Téhéran. Un conflit entre le Hamas et Israël risque de renvoyer aux calendes grecques une alliance entre les deux pays.

Selon plusieurs sources, la volonté du prince héritier Mouhamed Ben Salman d’acquérir l'énergie nucléaire a été conditionnée par les États-Unis, promoteurs de cette initiative, à une normalisation de ses relations avec Israël. Myriam Benraad, politologue et professeure en relations internationales à l’université Schiller, estime que l’attaque du Hamas va avoir un impact négatif sur les relations entre Israël et les pays arabes engagés depuis quelques années dans un processus de rapprochement dans le cadre des accords d’Abraham, signés en 2020 sous l'égide des États-Unis.

‘’Au-delà du contexte israélo-palestinien, on a un contexte israélo-arabe qui va être extrêmement tendu’’, analyse-t-elle, soulignant que "la rue arabe" reste "majoritairement pro-palestinienne".

Le Hamas, de son côté, est, selon elle, "dans une logique jusqu’au-boutiste qui vise à ne permettre aucune normalisation avec Israël". Une escalade du conflit pourrait avoir des répercussions meurtrières pour toute la région du Proche-Orient. Une montée des violences en Cisjordanie, dans le plateau du Golan et dans le nord du pays risque d’aboutir à un embrasement généralisé du conflit. Une campagne aérienne de plusieurs semaines avec la multiplication des images de destructions et de morts palestiniens risque d'entraîner des manifestations dans le monde arabe.

La superficie de Gaza, 362 km2 et deux millions d’habitants fait que toute action militaire risque d'entraîner d’importantes pertes en vies humaines. Une crise humanitaire qui découlerait de ce conflit pourrait pousser les gouvernements arabes sous pression à limiter leur coopération avec Israël, alors que des accords sécuritaires et de coopération économique étaient en train de se mettre en place au Moyen-Orient. 

Amadou Fall

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