Publié le 28 Oct 2019 - 16:32
REGLEMENT DE COMPTES AU SEIN DU MFDC

Abdou Elinkine Diatta exécuté à Mlomp

 

Nommé secrétaire général du Mfdc, le 8 mars 2017, par une frange du mouvement indépendantiste, Abdou Elinkine Diatta a été tué, hier, à Mlomp, dans le département de Bignona, par des hommes armés. Il y a deux mois, il s’était rendu en Italie.

 

Abdou Elinkine Diatta n’est plus. Il a été froidement tué, hier, à Mlomp, son village d’origine, à une centaine de kilomètres de Ziguinchor, la capitale de la région sud du pays. Alors qu’il prenait part à une cérémonie traditionnelle, des hommes armés, arrivés sur les lieux à bord de motos-Jakarta, ont ouvert le feu sur l’ex-secrétaire général du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc). Sérieusement atteint, il a succombé à ses blessures.

Selon des sources concordantes, c’est lui qui était visé par le commando, même si les balles ont aussi atteint deux autres individus qui prenaient part à la rencontre. Tout porte à croire qu’il s’agit d’un règlement de comptes au sein du Mfdc.  De nombreux cas similaires ayant jalonné l’histoire d’Atika - la branche armée du Mfdc. Parmi les plus récents et les plus retentissants, on note ceux des ex-combattants Rambo et Adioc-han.

Rentré d’Italie, il y a deux mois

 Selon une confidence, Abdou Elinkine Diatta est rentré d’Italie, il y a de cela deux mois. Il y prenait part à une rencontre, dans le cadre de la recherche de la paix en Casamance. Il aurait, lors de ce voyage, bénéficié d’un traitement de faveur, contrairement aux autres membres de l’aile extérieur. On le surnommait même le ‘’roi de la Casamance’’, du fait de son accoutrement et de la pertinence de ses interventions. Ce qui a suscité des crises de jalousie de la part de certains membres de l’aile extérieur.

Selon toujours notre source, il aurait bénéficié d’un financement pour l’organisation, en janvier prochain, de la commémoration de la mort de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor. ‘’Il s’agit bien d’un règlement de comptes au sein du Mfdc’’, croit notre interlocuteur.

Face à l’absence d’une forte personnalité (à l’image du chef charismatique abbé Augustin Diamacoune Senghor), Abdou Elinkine s’est souvent illustré par ses positions qui ne faisaient pas l’unanimité au sein du mouvement. En mai 2015, il avait déclaré : ‘’Pour l’instant, il n’y a pas de négociations. Parce que, quand on parle de négociations, il faut d’abord établir une relation de confiance entre les parties qui négocient. C’est la première chose à faire. Il faut des actes qui vont dans ce sens. Ce qui se passe aujourd’hui n’est autre que de la farce. J’entends le président (Macky Sall) parler de négociations avec Salif Sadio. C’est très dangereux, ce qu’ils sont en train de faire. Salif Sadio ne représente que 5 % de la force combattante du Mfdc.’’

Cette sortie avait l’heur d’irriter Salif Sadio et ses partisans.

Combattant et musicien

Mais, apparemment, il n’en avait cure. En mars 2017, Elinkine menait une autre charge : ‘’Depuis des années, nous avons montré notre disponibilité à aller à la table des négociations. Mais on a l’impression que l’Etat du Sénégal n’est pas prêt. Au sein du gouvernement comme dans le Mfdc, il y a des gens qui ne veulent pas que cette crise prenne fin. Cela ne les arrange pas. Même en Europe, il y a des gens qui mettent toujours des bâtons dans les roues pour que cette rébellion ne finisse pas, parce que cette crise les fait vivre.’’

Il poursuivait : ‘’Il y a des gens pires que Nkrumah Sané tapis dans l’ombre au Sénégal et en Europe qui ne veulent pas du tout de la fin de cette crise. Je les connais bien. Ils manipulent les gens, comme Ampouye Bodian (actuellement en détention dans le cadre de la tuerie de Boffa) en leur octroyant des financements pour brouiller les cartes. Je vais débusquer tous les fossoyeurs de la paix qui tenteraient de gâcher l’élan de paix que nous avons engagé.’’

Faisant partie du camp de ceux qui croient, mordicus, que seules des négociations sincères – pas les armes - avec le gouvernement du Sénégal pourront permettre au sud du pays de retrouver une paix définitive – même s’il porte en lui cette foi que la Casamance n’est pas sénégalaise - l’ancien combattant avait rejoint, à l’époque, l’aile politique du mouvement irrédentiste. Il en devint le porte-parole, à cause de sa proximité avec l’abbé Diamacoune Senghor, entre autres. 

Cette parenthèse dans le maquis tournée, Abdou Elinkine révéla une autre personnalité pourtant cachée : celle d’un musicien. Et comme arme en bandoulière, sa guitare qui ne le quittait jamais. Un passage de la kalachnikov à la guitare intervenu après son éviction de son poste de porte-parole du Mfdc. Il s’établit définitivement au quartier Colobane, à la périphérie de Ziguinchor, où il installa son quartier général à Mangoukouro. Là même où, un matin du 26 décembre de l’année 1982, des hommes et des femmes s’étaient retrouvés avant de battre le macadam jusqu’à la gouvernance de Ziguinchor avec comme objectif : réclamer l’indépendance de la Casamance.

Un pavé dans la mare

La nature ayant horreur du vide, Abdou Elinkine va, le 8 mars 2017, au moment où les ailes politique et militaire du Mouvement des forces démocratiques de Casamance (Mfdc) cherchaient, par tous les moyens, à créer l’unité pour aller à des négociations avec le gouvernement, être nommé secrétaire général par une frange du mouvement indépendantiste.   C’était à l’occasion du 10e anniversaire du rappel à Dieu de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, Président et Secrétaire général du Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (Mfdc). Les différentes instances du mouvement : sections, sous-sections, comités de base de Ziguinchor à Bignona, de Sédhiou en passant par Kolda, Vélingara, Tambacounda et Oussouye, notables, hommes et femmes confondus, déclaraient qu’à compter du 20 janvier 2017, le camarade Abdou Elinkine Diatta, porte-parole actuel du Mfdc, est nommé secrétaire général du Mfdc. Le Mfdc, réuni en Assemblée générale les 3 et 4 mars 2017 à son siège de Mangoukouro, à Ziguinchor, avait confirmé le statut du nouveau secrétaire général. 

Cette fin surprenante d’Abdou Elinkine Diatta, loin de combler un vide, va, encore une fois, poser la lancinante question de la succession de l’abbé Augustin Diamacoune Senghor, rappelé à Dieu le 13 janvier 2007 à l’hôpital d'instruction des armées du Val-de-Grâce de Paris. Mais surtout celle de l’unité au sein du mouvement.

HUBERT SAGNA (ZIGUINCHOR)

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