Publié le 5 Dec 2019 - 18:49
REGULATION SECTEUR HYDROCARBURES

Avis d’inflation réglementaire 

 

Le Sénégal serait-il dans l’inflation législative, au vu de l’enchainement des textes organisant le secteur des hydrocarbures ? C’est l’impression de Stéphane Essaga, et d’autres experts du domaine, qui en discutait hier au Salon international du pétrole et du gaz de Dakar.  

 

‘‘Le tissu législatif est suffisamment intéressant. Il traduit une attention et une vigilance de l’Etat. Mais, en tant qu’expert, ont dit : ‘‘Attention ! Plus vous légiférez, plus vous vous mettez une pression administrative.’’ L’alerte, lancée aux autorités sénégalaises, est de Stéphane Essaga, Docteur en droit et Directeur du Centre africain sur les politiques énergétiques (Arcmep). La conséquence pourrait être une instabilité pour l’Administration, puisqu’il faudra réinterroger l’ensemble des systèmes administratifs et fiscaux dans le sillage de ces législations.

‘‘Il y a un enjeu de digestion pour l’Administration. Lorsqu’il y a des lois, ça suppose qu’il y a des gens qui sont là pour veiller à leur application. Plus il y a de textes, plus il y a une pression sur les agents de l’Etat’’, a-t-il analysé. L’universitaire et inspecteur des impôts camerounais, accroché hier au Salon du pétrole et du gaz, a disserté sur les contrecoups d’une législation trop serrée. Alors que l’opposition et une partie signifiante de la société civile sénégalaise estiment que les pouvoirs publics sont souples sur la législation, ces académiciens et un groupe de privés sont d’avis contraire.

Le Sénégal est-il en train de trop bien légiférer dans ce domaine ? La réponse d’Essaga est positive, quoiqu’empreinte de précautions et motivée par la nécessité de la critique scientifique. A titre de comparaison avec le Cameroun, le pays en est à son quatrième texte réglementaire, après l’ordonnance n°60-24 du 10 octobre 1960, la révision de la loi 86-13 du 14 avril 1986, la réforme de janvier 1998 (98-05) ainsi que la récente loi 2019-03 du 1er février 2019 portant Code pétrolier et sur le contenu local. Un avant-projet de loi gazière et une loi sur la répartition des revenus sur les hydrocarbures sont également dans le circuit. Tout ceci sans la moindre goutte de pétrole, alors que le Cameroun, qui est producteur depuis les années 1960, n’en a que deux.

Si l’expert salue la vigilance des pouvoirs publics sénégalais, la volonté de l’Etat d’encadrer l’activité pétrolière, il estime que le manque de souplesse pourrait rebuter les investissements privés étrangers. ‘‘Il y a une sorte de ‘too much’, la presque maladie de législation systématique sur des questions qui s’explique, en partie, par la survenue de normes sur la transparence, le contenu local. Cela peut être un désavantage même. Mais dans le cadre du Sénégal, on ne peut pas encore le dire’’, estime-t-il.

Fiscalité sévère

Malgré la prérogative d’encadrement juridique de l’activité des hydrocarbures qu’il reconnait aux autorités, le professeur décrit un flou sur le chevauchement de deux systèmes de fiscalité. Un système de droit commun figé et une fiscalité spécifique qui fait que, systématiquement, ces éléments fiscaux sont négociables, les modalités étant fixées par voie contractuelle. Ils sont pratiquement tous négociables, au regard du Code pétrolier du 1er février 2019. En revanche, dans ce même Code, on dit que l’impôt sur les sociétés, les retenues à la source notamment, sont applicables dans les règles du droit commun. ‘‘C’est ce qu’on appelle juxtaposition : le fait qu’il y ait dans le même code et pour le même opérateur des règles tantôt ‘contractualisables’ et d’autres qui sont plaquées et appliquées de façon autoritaire par l’administration chargée de mobiliser les recettes’’, fait remarquer Essaga qui souligne que cette formalisation peut être aussi bien incitative que produire l’effet contraire. Le secteur extractif est spécifique, puisque les investissements sont captifs.

Devant l’impossibilité de quitter la mine pour délocaliser ses activités, les compagnies étrangères sont prisonnières. La longévité des investissements est telle que l’on peut mettre des capitaux sur plus d’une décennie d’exploration, des années d’évaluation et d’autres années de développement sans contrepartie financière. Au Sénégal, le temps est relativement court, entre la découverte des gisements en 2014 et le ‘’first oil’’ attendu pour 2023. Mais l’expert considère que la législation sénégalaise laisse peu de marge en matière fiscale. ‘‘User du régime de retenue à la source de droit commun (applicable aux banques, assurances) au pétrole, de façon indistincte, comme une obligation, va créer un problème. Dans le cadre de l’évaluation des coûts de production des entreprises pétrolières, s’ils retiennent 25 % à chaque fois qu’une entreprise paie une prestation de services à l’étranger, ça va grever le Capex. Ce qui pourrait décourager les investisseurs’’, analyse-t-il.

Et de plaider pour une fiscalité plus modulable, pour rester avec l’esprit d’incitation qui a présidé à la rédaction des textes. ‘‘Il y a un problème qu’on ait sanctifié le volet droit commun, alors que la vérité est que dans un système d’incitation, il faudrait être capable de changer le statut autoritaire du droit commun pour le rendre contractuel. Il y a des éléments de droit commun qu’il faudrait intégrer dans le Code pétrolier et en changer la nature pour qu’ils s’alignent aux éléments spécifiques’’.

Mille-feuilles administratif : ‘‘Lorsque l’activité de production va commencer, la superposition de l’Administration, des systèmes fiscaux...’’

L’expert estime que le Sénégal, qui ne possède pas encore la totalité de la chaîne pétrolière, doit également fournir plus d’efforts dans la lisibilité de ses services. Les compagnies qui opèrent au Sénégal ont, en réalité, deux types d’entités qui s’imposent à elles, lorsqu’elles viennent investir : le ministère du Pétrole et des Energies (Ndlr : désigné ministère des Hydrocarbures dans certains textes de loi) et la compagnie nationale privée Petrosen. ‘‘Lorsqu’on regarde leurs compétences, on se rend compte qu’on confine Petrosen au volet opérationnel. C’est dans ses statuts et, dans la législation, il est là pour appliquer. De l’autre côté, ceux qui ont à la fois les compétences pour la négociation des contrats ; on sent que ceux qui impulsent le contenu, du point de vue des responsabilités politiques, doivent émaner des ministères. Il y a des ministères qui sont plus de filiation politique et d’autres sociétés pour les mandats spéciaux bien encadrés et un mandat spécial général. Au Sénégal, Petrosen a un mandat spécial, les sources de cette force limitée, il la tire du Code pétrolier et de ses propres statuts. On constate, en matière fiscale et en matière administrative, il y a un encadrement juridique que j’appelle classique, qu’on peut même trouver dans d’autres secteurs d’activité’’, décrit M. Essaga.

Toutes choses qui font que les énoncés prévisionnels de l’expert ne sont pas des plus optimistes pour une exploitation censée débuter dans trois ans. ‘‘Malgré la volonté d’être attractif, autant être classique, autant être attendu, sera un préjudice pour le Sénégal. Sous réserve de changer le système, évidemment. Mais il ne va pas changer de lui-même. Il se trouve que, lorsque l’activité de production va commencer, la superposition de l’Administration, des systèmes fiscaux, va être un goulot d’étranglement pour les investisseurs. La difficulté va être de savoir à qui s’adresser lorsqu’on a un problème avec un service d’administration douanière ou fiscale. L’interlocuteur naturel, c’est Petrosen qui a le droit de s’associer aux investisseurs, aura la primeur des informations, mais aura la sensibilité de défendre les investisseurs. Mais Petrosen n’aura pas le pouvoir, parce qu’en termes d’orientation, de norme, d’application de règles, c’est un bras séculier de l’Etat sur le plan opérationnel’’, analyse-t-il. 

Essaga met toutefois cet entrain législatif sur le compte d’une activité dont tous les contours ne sont pas encore assimilés par les pouvoirs publics sénégalais. Il pronostique même sur un réaménagement des textes quelques années après le ‘‘first oil’’, puisque les autorités seront dans l’obligation de s’ajuster. ‘‘C’est un encadrement juvénile normal par rapport au niveau de production du Sénégal. Trois ou quatre ans après le début de la production pour constater qu’il y aura des demandes de révision du code par rapport à ces deux systèmes fiscaux’’.

OUSMANE LAYE DIOP

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