Publié le 6 Jan 2017 - 22:51
RELATIONS ENTRE MEDECINS ET INFIRMIER

La complémentarité à l’épreuve

 

Les médecins et les infirmiers sont condamnés à travailler ensemble, mais cette collaboration n’est pas parfois facile entre ces deux corps. Les uns revendiquent une autonomie d’exercice, les autres expriment un devoir de responsabilité.

 

Ils sont des collaborateurs, voire des partenaires, mais leurs relations ne sont pas toujours cordiales. Il s’agit des infirmiers et des médecins. Les premiers nommés se sentent sous-estimés par l’autre partie qu’ils accusent d’autoritarisme. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase est le problème de Diofior où le médecin chef a envoyé l’infirmier chef de poste devant la justice. Même si certains travaillent en parfaite harmonie, d’autres, par contre, montrent une mauvaise image du travail d’équipe. Pourtant il suffit, dit-on des deux côtés, que chacun se limite à ses prérogatives, pour éviter toute incompréhension.

Président de l’Association Nationale des Infirmiers du Sénégal  (Anides), Ismael Mbaye rappelle que médecins et infirmiers ont une relation professionnelle. Ils forment une équipe généralement coachée par un médecin. Cependant, il tient à ce que tout un chacun sache que l’infirmier a un rôle autonome et un rôle de délégué. Son autonomie consiste à prendre ses prérogatives. Et le délégué qu’il est doit répondre aux orientations de la prise en charge venant du médecin, partant de la prescription médicale. Si l’on en croit M. Mbaye, les infirmiers rencontrent énormément de difficultés dues à l’appréciation que certains médecins ont de leur rôle. Selon lui, il arrive qu’on les traite d’exécutants. ‘’C’est ce manque de considération que nous vivons. Alors que, si l’individu n’a pas une connaissance requise, il ne pourra jamais faire correctement l’orientation venant de la prescription’’, déplore-t-il.

Outre ce manque de considération, il y a les insuffisances notées sur la définition du champ d’exercice de l’infirmier. Ce qui, d’après le patron de Anides, fait que certains ne savent pas où commence le rôle de l’infirmier et là où il s’arrête. A son avis, il faudrait qu’on arrive à rendre compte du rôle de l’infirmier dans l’équipe de soins pour lui donner toute la dignité qu’il mérite. ‘’Il faut  qu’on arrive à mettre à jour l’arrêté sur la nomenclature des actes dédiés à l’infirmier. La demande augmente. Les besoins encombrent nos services. Cela repose sur les infirmiers. Tant qu’il n’y a pas de problème, on dit que c’est bon. Le jour où il y a un problème, on se décharge sur nous’’, s’offusque-t-il.

Mise en place de l’Ordre des Infirmiers

Pour le chef de service des soins infirmiers à l’hôpital psychiatrique de Thiaroye, Alassane Diop, la perception que les gens ont de la profession infirmière est dépassée. Il souligne que la science infirmière, comme celle médicale, est une discipline scientifique qui évolue au cours des années. M. Diop explique que les soins infirmiers représentent les soins prodigués, de manière autonome ou en collaboration, aux individus de tous âges. L’infirmier, dit-il, a d’abord un rôle autonome. Ce rôle consiste à suppléer ce qui manque au client pour être indépendant. Et il est basé sur des compétences propres à l’infirmier.

Dans le rôle de collaborateur, il reconnaît que l’infirmier appartient à une équipe multidisciplinaire. Chaque membre de l’équipe a un rôle à jouer vis-à-vis du patient. Sur le plan administratif, les médecins sont les chefs de service. Mais, sur le plan professionnel, il y a la prescription médicale qui lie l’infirmier et le médecin. ‘’L’infirmier a l’obligation de mettre en œuvre la prescription médicale, parce qu’il a acquis des compétences lui permettant de le faire. Si l’infirmier n’avait pas ces prérequis, s’il n’avait pas la compétence d’appliquer les prescriptions médicales, il ne le ferait pas’’, tient-il à souligner.

Selon lui, ce qui rend ambiguës les relations entre médecins et infirmiers, c’est l’organisation du système de santé en tant que tel.  Car dans les hôpitaux, avec la démarche de soins, les gens commencent à comprendre où débutent les prérogatives de l’infirmier et où ils s’arrêtent. Le problème se pose au niveau communautaire, dans les  postes et centres de santé. ‘’Les tâches qu’on assigne à l’infirmier, dans les postes de santé, ne sont pas les mêmes dans les hôpitaux. Donc, il y a un manque de règlements, de textes juridiques. Et on n’a pas un référentiel qui nous permette d’identifier les tâches déléguées aux infirmiers dans la mise en œuvre de la santé communautaire. De ce fait, chacun  interprète à sa façon’’, dénonce-t-il. Cette situation fait que, selon lui, les gens agissent selon leurs humeurs.

Ainsi, pour plus de visibilité dans le travail et afin d’harmoniser la cohabitation, il lance un appel à l’autorité pour la mise en place de l’Ordre des infirmiers et également sortir les textes de référence pour définir de manière claire les rôles délégués.

Absence d’un code de la Santé

De son côté, Cheikh Seck de l’Hôpital général de Grand Yoff admet que, dans la hiérarchie, le médecin est au-dessus de l’infirmier. Mais, cela ne signifie pas une relation de soumission. Parce que dans le service, le médecin s’occupe de la consultation, de l’examen du malade et établit le diagnostic. Quand il finit, il donne les consignes et c’est l’infirmier qui a en charge l’exécution des soins. ‘’Maintenant, les postes de santé sont dirigés par des infirmiers. Ces derniers, partant des actes délégués par le médecin, peuvent consulter dans leurs postes de santé. S’il y a un problème qui dépasse leurs compétences, ils se réfèrent au médecin. Le véritable problème est qu’il n’y a pas un encadrement juridique. Il n’y a pas de code de la Santé au Sénégal ; et les corps qui devraient disposer d’Ordre ne l’ont pas’’, regrette l’infirmier.

A l’en croire, les infirmiers devraient avoir leur Ordre pour au moins statuer par rapport à ces situations. A défaut, il devrait y avoir un code de la santé qui permette à tout un chacun de pouvoir le faire. ‘’Malheureusement, cette absence pose le problème d’interprétation des textes. Quand ça les arrange, les médecins laissent l’infirmier consulter. Et quand il y a des problèmes, tout repose sur l’infirmier’’, déplore-t-il. De son point de vue, le travail doit se faire dans la convivialité. Les infirmiers doivent être sous la responsabilité des médecins, concède-t-il. Parce qu’il revient à ces derniers de rendre compte de tout acte posé. Ce qui est à l’origine du problème récent de Diofior, relève-t-il.

Docteur Aloyse Diouf : ‘’L’un ne peut aller sans l’autre’’

Le secrétaire général du syndicat autonome de la Santé, Saliou Faye Daff, ne trouve pas de problèmes entre ces deux corps, du moment qu’il y a des tâches déléguées. En plus de cela, tout le monde a son importance dans les structures de Santé. Mais, il faut des discussions sincères dans le secteur. ‘’Il faut  qu’ensemble nous formions un bloc pour l’offre de soins. L’un ne peut aller sans l’autre. Nous sommes des collaborateurs’’, déclare M. Daff. Même son de cloche chez le directeur du Service national  de l’éducation pour la santé (Sneps) qui essaie de dédramatiser les choses. Docteur Aloyse Diouf rappelle que, dans l’équipe de soins, il y a plusieurs entités, parmi lesquelles les médecins et le personnel infirmier. Dans l’offre de soins, toutes les chaînes sont importantes. ‘’Même celui qui entretient la salle de consultation et le jardin est important. C’est un travail d’équipe et, dans ce cadre, il y a la complémentarité. Il est important que l’infirmier et le médecin soient suffisamment complémentaires pour pouvoir administrer les soins qu’il faut aux patients’’, suggère-t-il.

Dans cette équipe, explique-t-il, le médecin qui a un niveau d’études beaucoup plus poussé exprime le besoin en actes (consultation, examen). Ces actes sont effectués par le personnel infirmier. Preuve de l’importance de chacun. Pour lui, les tensions ne sont pas spécifiques au corps médical. Elles sont souvent liées à un ego surdimensionné de l’un ou de l’autre ; à une non-maîtrise de l’importance du travail d’équipe. Ce qui conduit souvent à des dérives autoritaires ; et de l’autre côté, à une réaction très violente. Et à l’arrivée, les relations ne sont pas huilées. ‘’Il faut que chacun comprenne qu’il a un rôle à jouer. L’un ne peut aller sans l’autre. Parce que le médecin ne peut pas passer son temps à faire des soins. Il a besoin de l’infirmier pour travailler convenablement et ne pas allonger les délais d’attente des patients’’, ajoute-t-il. Avant d’insister sur le fait que c’est une chaîne dans laquelle chaque chaînon a son importance ; et tant qu’on ne le comprend pas, on se met dans une logique de vouloir être indispensable. Ce qui entraîne les conflits. ‘’Aussi bien le corps médical que celui infirmier se met souvent dans une logique de confrontation. Ce n’est pas propre au personnel médical’’, se défend-il.

Dr Kalidou Bâ : ‘‘Les infirmiers n’ont pas une autonomie, parce que…’’

Même si les infirmiers se disent autonomes, il y a un point que les médecins eux n’oublient jamais. C’est que chacun des actes de leurs collaborateurs est le fruit de leur délégation en leur qualité de responsable hiérarchique. D’après le médecin chef du district de Koumpentoum, Docteur Kalidou Bâ, tout ce que les paramédicaux (infirmiers et sages-femmes) font est sous la responsabilité du médecin. ‘’Par exemple, si nous prenons les districts que nous gérons, dans les postes de santé, ce sont les infirmiers que nous proposons aux autorités administratives qui prennent des arrêtés pour les nommer comme chef de poste. Ils sont également sous le contrôle du médecin. C’est ce dernier qui délègue des tâches à ses infirmiers. Le médecin est tenu responsable. Il est le supérieur hiérarchique de l’infirmier. Tout ce qui est sanction et autres revient à l’autorité administrative’’, détaille-t-il. A l’en croire, il y a des tâches que l’infirmier n’a pas le droit de faire. ‘‘Ils n’ont pas une autonomie, parce que certains actes demandent la supervision du médecin’’, précise Dr Bâ.

Le médecin chef du district de Kébémer, Docteur Yéry Camara, retient lui les bonnes relations entre médecins et infirmiers, dans l’ensemble. Car, dans la plupart des cas, le travail se passe très bien. Les personnes occupant des postes de responsabilité ont des tâches administratives et de gestion en dehors de leur fonction purement de soins. Et il reconnaît qu’en général, les infirmiers ont un travail très fourni. ‘’Dans un centre de santé où il y a parfois deux médecins, ce sont les infirmiers qui les aident. Maintenant, si une personne veut se substituer à l’autre, cela pose problème’’, fait-il remarquer. Cependant, ajoute-t-il, il y a une chose que les autres ne doivent pas oublier. C’est que quand on demande des comptes, c’est à lui de les rendre. ‘’Souvent, c’est là où le problème se pose. Parce que, quand il y a des dérapages par-ci et par-là, les gens viennent se plaindre à son niveau. Il est obligé de réagir.’’

En outre, poursuit Dr. Camara, contrairement à ce qui se passe dans les hôpitaux, dans les régions médicales et les districts, les médecins sont responsables de la gestion administrative des structures. Par conséquent, il ne peut pas fermer les yeux sur certaines pratiques. ‘’S’il y a une faute, il faut une sanction. D’une manière générale, tout se passe bien. Mais il y a des gens qui ne savent pas collaborer’’, regrette-t-il.

3 QUESTIONS A

JOSEPH MENDY, VICE-PRESIDENT DE L’ONMS

‘’Le médecin est l’autorité de l’Infirmier’’

Qu’est-ce qui différencie le médecin de l’infirmier ?

La différence se trouve à deux niveaux : la formation et la pratique. Le médecin est formé à la faculté de Médecine, après l’obtention du baccalauréat en série scientifique. Il effectue 8 années d’études à la faculté pour obtenir le doctorat d’état en Médecine. Alors que l’infirmier, avant 2015, était recruté au stade du brevet d’études ou du brevet de fin d’études moyennes (Bfem). Il fait trois années d’études pour obtenir le diplôme d’infirmier d’Etat. A partir de 2015, il y a eu un relèvement du niveau de recrutement. L’Etat a pris une disposition qui fixe le recrutement des infirmiers à partir du baccalauréat. Mais cela ne change rien, car ils font toujours trois ans dans l’école d’infirmiers et d’infirmières d’Etat. En tout état de cause, à la fin des trois années, ils vont faire un examen national de sortie qui donne droit, en cas de réussite, à un diplôme d’infirmier d’Etat. 

Or le médecin, après la fin de ses études, soutient une thèse au niveau de la faculté. C’est à l’issue de l’évaluation de la thèse qu’il doit être déclaré digne du grade de docteur d’Etat en Médecine. C’est après cela qu’il peut exercer sa fonction. La formation de l’infirmier le confine à l’application des prescriptions médicales. La vocation de l’infirmier n’est pas de consulter, ni de faire le diagnostic encore moins d’opérer. C’est pour cela que, dans l’arsenal juridique du Sénégal, il n’est pas prévu un code de déontologie ou une réglementation en matière de soins infirmiers. En revanche, le seul texte qui réglemente l’exercice de la médecine au Sénégal, c’est la loi 66-69 du 4 juillet 1966 portant les conditions d’exercice de la médecine au Sénégal et à l’Ordre national des médecins. Cela veut dire que l’exercice de la médicine, au sens propre, revient aux médecins. Et que l’infirmier, l’aide-soignant et l’assistant infirmier et la sage-femme ne sont là que pour aider le médecin dans l’exercice de ses fonctions. Donc, la responsabilité technique incombe aux médecins qui vont veiller sur leurs collaborateurs.

Dans ce cas, est-ce qu’on peut dire que le médecin est l’autorité de l’infirmier ?

Absolument ! Il est l’autorité non seulement de l’infirmier, mais de la sage-femme. C’est le médecin qui exerce la médecine. Tous les autres agents qui sont dans l’équipe médicale ne font que l’aider dans l’exercice de ses fonctions. C’est pourquoi la responsabilité revient au médecin. L’autorité également lui revient. La prescription de l’ordonnance découle de cette qualité d’autorité qui fait que le médecin la prescrit. Il n’y a que quelques autorités qui agissent par ordonnance, (le président de la République, le Premier ministre, le médecin, le magistrat), parce que ce sont des autorités. Cependant, au lendemain des indépendances, comme il y avait la succession des Etats, l’installation des institutions sénégalaises a fait en sorte que, comme il n’y avait pas assez de médecins, parce qu’ils étaient  dans les régions médicales, les infirmiers étaient dans les postes de santé. 

Comme il n’y avait pas assez de médecins, il y avait des délégations de tâches. De ce  fait, les infirmiers qui étaient dans les postes de santé consultaient et prescrivaient des ordonnances. Il faut comprendre dans ce cas qu’ils ont une délégation de tâche par le médecin. C’est-à-dire que, dès l’instant qu’il y a un nombre suffisant de médecins, l’infirmier ne peut plus prescrire ni consulter. C’est ce qui se passe dans les grands centres hospitaliers. Vous ne verrez pas à l’hôpital Fann, par exemple, un infirmier consulter. S’il prescrit une ordonnance, il fait un exercice illégal de la médecine. Mais cette situation n’est pas valable quand vous allez au niveau communautaire, au fin fond du pays, où il y a deux médecins. Cette délégation est encore approuvée dans certains postes de santé. Mais cette délégation est bien limitée. Il y a une note ministérielle qui délimite les actes délégués. Ce qui s’est passé à Fatick, l’infirmier a outrepassé ses prérogatives en matière de formation et de délégation.

Les infirmiers soutiennent qu’ils ne sont les faire-valoir de personne. Qu’ils sont dans un corps intégré où chacun a sa place et qu’ils sont d’égale dignité…

On ne peut pas faire de l’amalgame. Ce sont des appréciations sentimentales. On parle en termes juridiques, on ne parle pas d’états d’âme. On ne dit pas non plus que les infirmiers n’ont pas de valeur. On ne dit pas que les infirmiers n’ont pas une dignité. Chacun a une dignité. Chacun a droit au respect. Mais hélas ! La société est ainsi hiérarchisée et chacun doit rester à sa place, la respecter et être fier de ce qu’on est. Autant on est fier d’être médecin, l’infirmier doit l’être aussi. Autant on respecte les collègues médecins, autant on respecte les infirmiers. On les respecte, mais cela ne veut pas dire qu’ils sont, dans la hiérarchie des soins, au même niveau. Ce n’est pas possible. Sinon, dans cette société, on ne saura plus qui fait quoi.

VIVIANE DIATTA

 

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