Publié le 11 May 2019 - 03:31
RENCONTRE ENTRE LE MINISTRE DE L’INTERIEUR ET L’OPPOSITION

Séance d’exorcisme entre acteurs politiques

 

Plus qu’un dialogue politique, la rencontre d’hier entre le ministre de l’Intérieur et les partis politiques a eu les allures d’une véritable séance d’exorcisme.

 

La classe politique sénégalaise renoue avec le fil du dialogue. Après plusieurs années de divergences sur presque toutes les questions ayant trait au processus électoral, elle exorcise ses démons. En attendant le dialogue national du 28 mai prochain, elle a amorcé, hier, les pourparlers pour arrondir les angles sur les questions électorales, notamment celles qui ont toujours été contestées par l’opposition.

D’emblée, le ministre de l’Intérieur fixe les règles du jeu. Aly Ngouille Ndiaye, qui a présidé la rencontre a, dès l’ouverture de la séance, soumis à l’amendement des participants l’avant-projet des termes de référence du dialogue politique élaboré par ses services. Le document qui a été transmis aux différents pôles, devra ainsi faire l’objet de discussions sérieuses pour trouver des consensus forts avant d’être adopté le 16 mai, date de la prochaine rencontre.

Mais, d’ores et déjà, dans le document qui situe la tenue de ce dialogue dans son contexte fait de mésentente presque généralisée sur les points du processus électoral entre les acteurs politiques, le ministre reconnait la nécessité de préserver la cohésion nationale, la paix sociale et la tradition de dépassement, même dans l’adversité, à travers un dialogue politique fécond et sincère entre les différents acteurs du jeu politique. D’ailleurs, note M. Ndiaye dans le document distribué aux participants, c’est dans la logique d’asseoir un climat de paix sociale et pour rétablir la confiance entre les acteurs du jeu politique sénégalais que s’inscrit le président de la République nouvellement réélu. Dès la publication des résultats définitifs de la présidentielle, le 5 mars 2019, puis le 2 avril, à l’occasion de sa prestation de serment et, ensuite, le 3 avril, veille de la fête de l’indépendance, à travers son discours à la Nation, Macky Sall a réaffirmé sa volonté de conduire un dialogue politique inclusif, rassemblant, dans son volet politique, autour de la table de concertation, l’ensemble des acteurs du processus électoral.

Etant donné que les règles de la compétition électorale ont toujours fait l’objet de multiples récriminations essentiellement sur le parrainage et ses modalités d’application, le ministre de l’Intérieur trouve que le dialogue s’avère plus que jamais nécessaire.

De la nécessité de dialoguer

Selon Aly Ngouille Ndiaye, s’il est constant que l’impératif de rationaliser les candidatures aux élections était unanimement partagé, il n’en demeure pas moins vrai que les acteurs concernés gagneraient à approfondir la réflexion sur des règles toujours plus consensuelles du jeu électoral, à l’effet d’élargir davantage les bases de la démocratie sénégalaise.

A cet égard, il estime que le dialogue s’impose à tous les bords politiques. Dans cet exercice, la classe politique ne saurait faire l’économie d’une évaluation de la dernière élection présidentielle à travers l’examen du fichier électoral et du parrainage. Elle ne saurait manquer, non plus, d’envisager l’organisation d’élections locales sous le prisme d’un code électoral dont il urge de procéder au toilettage pour y affiner, notamment, les modalités du parrainage, le mode d’élection du maire, la perspective du maintien à date échue desdites élections fixées au 1er décembre 2019 ou, à défaut, leur probable report. D’autres questions aussi importantes que le statut du chef de l’opposition ou l’autorité dont dépend l’organe de gestion des élections, mériteraient amplement que tous les acteurs concernés par le processus électoral, fassent preuve de dépassement et de sens élevé de la répartie ainsi que le président de la République, à l’effet de s’accorder encore et mieux sur les règles du jeu électoral. Cela, avance Aly Ngouille Ndiaye, d’autant plus que ‘’nul n’a le monopole de la vérité, encore moins l’exclusivité du patriotisme’’.

C’est pourquoi, dit-il, ‘’depuis le 21 novembre 2017, date de ma prise de contact avec les partis politiques et la société civile quelques jours seulement après ma nomination à la tête du département, nous n’avons cessé d’inviter à des échanges et partages pour identifier des plages de convergence et autres pistes de solution comme des cadres diversement composés comme celui vers lequel nous nous acheminons. Le souci de dialoguer doit rester intact et fondé sur la nécessité de s’entendre pour se comprendre. Pour ma part, je suis persuadé que c’est au carrefour de nos convictions diverses que surgira la solution consensuelle à nos préoccupations multiples et multiformes’’.

L’avant-projet des termes de référence du dialogue décliné, le débat général pouvait alors s’ouvrir. Au total, 20 orateurs se sont relayés au pupitre pour exprimer leur avis et porter à l’assistance leur approche de la chose. Et les positions défendues l’ont été selon le bord politique où l’on situe. Comme à l’accoutumée, ce qui se passe souvent à l’Assemblée nationale s’est répercuté dans les discussions. Les membres de l’opposition ont attaqué, ceux de la mouvance présidentielle ont riposté. Mieux, ils n’ont pas tari d’éloges envers le ministre de l’Intérieur qui, selon eux, a réussi une organisation exceptionnelle du scrutin présidentiel du 24 février 2019, là où les membres de l’opposition disent le contraire.

Pour autant, certains des orateurs ont posé des problèmes de fond. C’est le cas de Pape Gorgui Sow. Membre de la mouvance présidentielle, il a invité le régime à une application stricte de la loi régissant les partis politiques. Selon lui, la rationalisation des candidatures doit impérativement passer par la rationalisation des partis politiques. Ainsi, il préconise la dissolution de toutes les formations politiques qui ne sont pas en règle. Aussi, préconise-t-il le changement du mode de scrutin, surtout en son volet proportionnel qui pose des problèmes dans tous les pays démocratiques du monde.

Prenant la parole, Marcel Ndiana Ndiaye s’est lui plus intéressé à la question du parrainage citoyen. Le responsable progressiste a, à cet effet, invité les acteurs à la mise en place d’une commission de recensement des parrainages, pour éviter le désordre connu lors de l’élection présidentielle du 24 février 2019.

Pour sa part, le coordonnateur du Front national de résistance, Moctar Sourang, a lu devant l’auditoire une déclaration de l’opposition. Dans son ensemble, celle-ci récuse le format du dialogue et pose une certaine condition pour participer au dialogue même si, sur le principe, elle est favorable à cette initiative des autorités. Dans la note, elle soumet sa participation aux concertations à la mise en place d’une commission paritaire indépendante dirigée par une personnalité indépendante et assistée par diverses autres personnalités sans coloration politique, choisies d’un commun accord avec les différents pôles en présence dans le landerneau politique.

‘’Nous sommes pour le dialogue, mais pas pour ce format’’, lance Moctar Sourang, par ailleurs Secrétaire général de l’Union nationale du peuple, membre de la coalition Taxawu Senegaal de Khalifa Ababacar Sall. Mamadou Diop Decroix, quant à lui, a regretté qu’une telle initiative ne soit amorcée qu’après la tenue du scrutin présidentiel du 24 février passé. ‘’Si on avait organisé ces concertations avant les élections de 2019, on n’en serait pas à ce stade. Il n’y aurait pas toute cette vague de contestations qui remet en cause la crédibilité du processus électoral sénégalais’’, fulmine-t-il avant d’en appeler à un retour au format du dialogue ayant abouti au code consensuel de 1992. Le leader d’And Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (Aj/Pads) n’a pas manqué de reprocher aux membres de la majorité leur manie à féliciter le ministre de l’Intérieur de la bonne organisation du dernier scrutin présidentiel. Une telle attitude, selon lui, ne favorise guère des concertations sincères. Mais pour le leader de Niax jarinu, Cheikh Sarr, il est hors de question de tenir une première rencontre de ce genre sans dire que le scrutin présidentiel a été bien organisé. ‘’Nous nous battons, depuis des années, pour la bonne organisation des élections. Si on y parvient aujourd’hui, nous ne pouvons que nous en féliciter et féliciter le ministre qui a en charge l’organisation des élections’’, lâche-t-il en guise de réponse.

Mélange de genres

Outre les questions politiques, d’autres responsables politiques ont exigé que les discussions soient élargies aux préoccupations majeures des populations sénégalaises. ‘’Je suis vraiment sidéré de constater que depuis le début de la rencontre, on ne parle que de questions électorales qui n’intéressent que les politiques. Les préoccupations des Sénégalais sont plus importantes que celles des politiques. On ne peut pas dialoguer alors que Khalifa Sall est en prison et Karim Wade en exil. On ne peut pas non plus parler de questions typiquement politiques au moment où l’école sénégalaise est dans une crise sans précédent et où le peuple souffre le martyre’’, tonne Cheikh Sadibou Diop, leader du parti Alerte, qui dit ne pas se retrouver dans ce format du dialogue. Il est aussitôt adoubé par les professeurs Amsatou Sow Sidibé et Issa Sall. Le leader de Car/Lénen s’est fortement désolée qu’on ne parle que de questions politiques au cours des discussions. Aussi, a-t-elle récusé le ministre de l’Intérieur pour la conduite du dialogue, avant de préconiser la mise en place d’un comité de suivi-évaluation du dialogue composé  de personnalités neutres.

Pour sa part, le Pr. Issa Sall, qui réclame lui aussi un modérateur neutre, pense que le pétrole et le gaz récemment découverts au Sénégal devraient figurer au cœur de ce dialogue politique.

Mais pour le ministre de l’Intérieur, il ne s’agit là que de discuter du volet politique du dialogue. ‘’Le président de la République a appelé à un dialogue national le 28 mai. Lors de cette rencontre, on va aborder toutes les questions d’ordre social, économique, culturel, etc. Tous les problèmes liés au pétrole, au gaz et autres peuvent être posés là-bas. Je vous ai convié à cette rencontre pour qu’on parle uniquement de questions politiques, parce que j’ai des contraintes de temps et un calendrier à respecter’’, a recadré Aly Ngouille Ndiaye.

Pds, Rewmi, Pastef, Act… Les principaux absents du dialogue

Le ministre a, par ailleurs, rassuré l’opposition sur son ouverture. Selon lui, rien n’empêche que les propositions faites par l’opposition soient appliquées. ‘’Nous n’avons aucun problème à mettre en place une commission composée de personnalités neutres, comme vous le souhaitez. Je ne modère pas les débats. Nous n’avons pas de divergences fondamentales. Nous sommes ouverts à tout. Si vous voulez auditer tout le processus depuis le début, allons-y, si on a le temps’’, lance-t-il à l’opposition.

En appui, le chargé des élections de l’Alliance pour la République, Benoit Sambou, ajoute que rien, ni personne ne doit dénier au ministre de l’Intérieur sa légitimité à organiser des concertations autour du processus électoral, en ce sens qu’il a en charge l’organisation des élections dans notre pays. ‘’Il faut que nous évitions ici la désinformation. On ne peut pas dénier au ministre de l’Intérieur son droit d’organiser le dialogue politique. Nous demandons que le format actuel du dialogue soit maintenu, parce que ça nous a valu beaucoup de succès’’, déclare-t-il. 

L’amorce du dialogue politique s’est faite sans le Parti démocratique sénégalais d’Abdoulaye Wade, le Rewmi d’Idrissa Seck et l’Alliance pour la citoyenneté et le travail d’Abdoul Mbaye, parmi d’autres partis d’opposition. Pour autant, elle s’est déroulée sous de bons auspices. Même s’il a connu, par moments, quelques errements avec des mélanges de genre et des discours laudateurs à même de saper les concertations, le dialogue politique a toutefois les chances d’aboutir sur de larges consensus. C’est du moins la forte conviction exprimée par le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye, à la fin des travaux du premier jour.

‘’Dans l’ensemble, les choses se sont bien déroulées. Il n’y a eu aucun contentieux, aucun écart de langage, hormis quelques propos politiques. Je crois que si on continue dans cet état d’esprit, nous pouvons aboutir à de larges consensus’’, a déclaré le ministre en charge de l’organisation des élections au Sénégal. Seulement, Aly Ngouille Ndiaye a appelé les partis d’opposition au dépassement. ‘’La focalisation sur nos divergences et l’absence d’efforts pour comprendre les motivations sérieuses de l’autre, plombent les conditions d’un rapprochement préalable à l’avènement d’un consensus. Nous invitons donc à l’abandon de toute posture qui entrave la propension à l’écoute ou qui encourage le boycott nuisible au consensus. Nous pensons qu’il faut bannir la politique de la chaise vide, car l’absent n’expose pas et celui qui n’expose pas ne peut en aucune manière convaincre’’, persifle Aly Ngouille Ndiaye.  

ASSANE MBAYE

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