Publié le 11 Jul 2018 - 17:15
RENVOI DU PROCES EN APPEL

Le contre-la-montre pour l’arrêt de la Cedeao

 

La défense a été presque unanime, hier, en présentant ses observations au président de la Cour d’appel. Ses avocats plaident le renvoi de cette affaire, en attendant la production de l’arrêt intégral de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao). Ils demandent la liberté d’office pour Khalifa Sall, Yaya Bodian et Mbaye Touré.

 

Les bisbilles de la veille se sont prolongées, au deuxième jour du procès en appel de la Caisse d’avance de la mairie de Dakar. Deux avocats adverses, de la défense et de l’Etat, ont présenté leurs arguments à bras raccourcis. C’est l’avocat de l’Etat, Me Yérim Thiam, qui a envoyé la première salve, en s’adressant à son confrère de la défense, Me Alain Jakubowicz. ‘‘J’aimerais rectifier une contrevérité, lorsqu’il dit que ceux qui étaient dans la salle sont expulsés. C’est faux, car vous avez ordonné l’évacuation de la salle après’’, a-t-il avancé. Suffisant pour que le ping-pong verbal dégénère. ‘‘Ne me traitez pas de menteur’’, a répliqué l’avocat français. Me Thiam, loin de se rebiffer, de poursuivre sur sa lancée : ‘‘Je vous ai déjà traité de menteur et je ne voudrais pas le répéter.’’ ‘‘C’est vous le menteur. C’est vous le menteur. Et si vous le répétez, vous allez le regretter’’.

L’arbitre du jeu siffla la fin de la récréation en récriminant l’ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats, Me Thiam : ‘‘Je demanderai au bâtonnier de mesurer ses propos. Cela m’étonne venant de vous.’’ A la reprise de l’audience, après une brève suspension, la tension n’était toujours pas retombée. Cette fois-ci, elle a opposé Me Ousseynou Fall et le président du tribunal.  ‘‘La cour vient d’entendre des choses innommables. Cette attitude pleine d’indiscipline doit être cadrée. J’aimerais voir l’Ordre des avocats. Je n’aimerais pas user de mes pouvoirs. Ce discours est discourtois et je le regrette’’, a dû regretter Demba Kandji.

La raison de son courroux tenait au fait que l’avocat de la défense a été à la limite de la virulence dans son exigence de voir l’arrêt de la Cedeao intégré comme pièce justificative pour ce jugement en deuxième instance.

‘‘Il y va de la liberté et des allées et venues de Khalifa Sall, maire qui est détenu depuis plus d’un an pour des raisons politiques. Sous un habillage judiciaire, il a essayé de l’empêcher de participer aux élections de 2019 (…) Si le procureur général a un calendrier qui lui est dicté par le pouvoir, nous ne cautionnerions pas cela. Face à l’argent, face aux pouvoirs publics, vous devez ressusciter votre loyauté que vous avez apprise, le pacte que vous avez fait en prêtant serment. Rendez la justice au peuple sénégalais, en ressuscitant ce serment. Ce ne sont pas des menaces. Et lorsqu’on commet des forfaitures, c’est un crime’’, a martelé la robe noire dans un son style bouillonnant qui le caractérise.

A son deuxième passage au prétoire, pour les observations de la défense, l’avocat a bien calmé le jeu, malgré l’insistance du juge à rester dans la ‘‘logique du jugement de première instance’’. ‘‘Monsieur le Président, si vous vous êtes senti offensé par mes propos, je vous demande de m’excuser. Je me suis laissé emporter par ma passion. Je vous ai connu impartial des Droits de l’homme, des droits de la défense’’, s’est-il excusé. ‘‘La cour ne s’est pas senti offensée’’, a dit le juge. L’intervention du bâtonnier de l’Ordre des avocats n’y est pas étrangère.

L’arrêt intégral d’ici au 20 juillet

Dans l’ensemble, c’est un extrait de l’arrêt de la Cedeao du 28 juin qui a constitué le cœur de l’intervention des avocats de la défense. La défense devrait disposer de l’intégralité de l’arrêt de la Cour de justice de la Cedeao, le 20 juillet prochain, d’après Me Moustapha Ndoye. ‘‘Il ne faut pas nous priver d’un droit qui va nous permettre de nous défendre de manière équitable’’, a-t-il demandé.

La vingtaine d’avocats du pool de la défense a demandé, sur cette base, la libération d’office de Khalifa Sall et de ses co-prévenus. Tous se sont interrogés sur l’empressement du tribunal à rejeter leur demande de renvoi et à tenir ce procès en voulant exclure la nouvelle pièce maîtresse de leur défense.  Cependant, les débats ont été globalement plus sereins que ceux du lundi qui avaient débouché sur une bouderie de la défense.

‘‘Est-ce qu’il y a une urgence qui fait que le juge ne peut accorder un renvoi de 8 à 15 jours pour apporter cet arrêt ?’’, s’est demandé Me Seydou Diagne, avant d’embrayer aussitôt sur une requête pour son client.  ‘‘La cour n’a pas un argument pour dire que cette affaire ne peut pas être différée jusqu’à ce que l’arrêt soit produit et je le dis en toute courtoisie. Par contre, la défense a un texte pertinent. Khalifa Sall sollicite de la Cour d’appel de Dakar une demande de facilité, afin d’accélérer les démarches au niveau de la cour de la Cedeao pour produire l’arrêt’’, a requis Me Diagne. Son confrère, Me François Sarr, qui l’a précédé au micro, lui avait déjà balisé le chemin : ‘‘Nous voulons démontrer que la procédure dont vous êtes saisi, doit être annulée. Nous priver de cet arrêt, c’est nous priver de notre défense. Et cet arrêt vous saisit sur l’annulation de la procédure. Et nous ne pouvons pas développer sans avoir l’arrêt. Et personne ne peut nier son existence. Nous disons que si vous ne pouvez pas l’accorder, vous nous empêchez de défendre notre client. Nous demandons de prendre en compte ces observations’’, a-t-il lancé.

Demba Kandji de calmer les ardeurs des avocats : ‘‘La cour a vidé ce débat. En prenant sa décision, elle est restée dans le procès. Ce sont des éléments qu’elle n’avait pas en sa possession. Ils résultent que toutes les exceptions liées à lieu peuvent être plaidées et ils sont joignables au fond, car elles sont des exceptions de fond. Ce n’est pas pour faire obstacle à vous.’’ Me Ousseynou Fall, très posé pour son deuxième passage, s’est lancé dans une plaidoirie avant l’heure pour que l’arrêt de la Cedeao soit pris en compte dans l’appel. Il a demandé au juge de patienter encore pour que l’intégralité de ce verdict communautaire soit disponible, avant de procéder à un quelconque jugement. ‘‘Nous ne vous demandons que dix ou quinze jours pour que cet arrêt fondamental pour la défense de notre client soit produit. Pour que notre client soit lavé de cet arbitraire. En le faisant, vous ferez œuvre de justice et votre nom sera inscrit en lettres d’or dans les annales de la justice sénégalaise’’.

Me Cissé est quant à lui remonté aux origines de cette affaire et a demandé l’annulation du mandat de dépôt du 5 mars 2017. Comme ça, les demandes de liberté mal formulées vont se fondre dans cette requête. Il a appelé le juge à abréger cette procédure, puisqu’il a la capacité de le faire. Pour l’avocat français de la défense, Alain Jakubowicz, le juge est tenu par les faits à agir en conséquence : ‘‘Il n’y a pas 36 solutions, c’est de rétablir M. Sall dans ses droits, sans préjuger du fond. Mais, dans l’immédiat, il n’y a aucune autre solution que de mettre Khalifa Sall en liberté. Cette procédure est substantiellement viciée ab initio. Il faut statuer sur cette seule question. Il y a un problème de principe. Vous êtes garant des décisions de la cour de la Cedeao, vous ne pouvez pas la fouler au pied. Nous considérons que la décision est possible, sans le texte intégral, mais si vous devriez refuser, nous vous le présenterons une fois le plumitif disponible.’’

L’Aje ‘‘gâche’’ la fête de la défense

La défense qui a déroulé un argumentaire uniforme sur la prise en compte de l’arrêt intégral de la Cedeao, a vu ses requêtes mises à mal par l’agent judiciaire de l’Etat (Aje) Antoine Félix Diome. Ce dernier leur a évoqué les précédents du droit communautaire, où la Cour de justice de la Cedeao a constaté elle-même que ses prérogatives ne sont pas au-dessus des lois locales pour écarter tout ordre d’hiérarchie entre les juridictions nationales et le droit communautaire. ‘‘Il n’est pas nécessaire d’aller chercher loin la portée des arrêts de la Cedeao. La propre jurisprudence de la cour montre qu’elle a été amenée à se prononcer sur la portée de ses propres décisions’’, a fait savoir l’Aje. Ainsi, les affaires Moussa Léo Keïta du 22 mars 2007, Bakary Sarré & 28 autres contre République du Mali ou Kevin Pintero contre le Ghana, la Cour de justice communautaire a confirmé que ‘‘les affaires des tribunaux des Etats membres n’entrent pas nécessairement dans son champ de compétence’’.

‘‘Il convient de garder à l’esprit que les tribunaux sont également des juridictions communautaires, étant donné qu’ils sont compétents pour appliquer le droit communautaire à l’interne’’, a notamment jugé la Cedeao dans le cas ghanéen, rappelle Antoine Diome. Me Moussa Félix Sow de la défense, dans une énumération presque similaire, a tenu le même raisonnement. Quant à Me Baboucar Cissé, il a exhorté le juge ‘‘à rejeter purement et simplement la demande de liberté d’office’’ sur la base que la Cour de justice communautaire a déjà ordonné, dans des précédents, la libération immédiate de Mamadou Tandian par l’Etat du Niger. Le fait que l’instance se soit tue sur une éventuelle libération relève de l’évidence, selon la robe noire. ‘’On brandit cet arrêt urbi et orbi, alors qu’il appartient à la Cedeao de tirer les conséquences de sa propre constatation’’, s’est-il insurgé, dénonçant les ‘‘amalgames de la défense’’.  

OUSMANE LAYE DIOP

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