Publié le 30 Oct 2019 - 22:52
REPARTITION DES REVENUS PETROLIERS

Des risques et des remèdes

 

Les autorités sénégalaises fondent beaucoup d’espoir sur le partage des revenus pétroliers. Mais il faudrait, si l’on en croit certains experts, faire attention à un gonflement des dépenses par les compagnies.

 

Lors de la table ronde co-organisée, hier, par Osidea et l’Ong 3D, une vive polémique est survenue entre la représentante de Cospetrogaz, Gnagna Lam, et Demba Seydi de la coalition Publiez ce que vous payez. Tout est parti de la déclaration de Mme Lam, selon laquelle l’Etat gagnerait beaucoup plus que les compagnies, dans le partage des profits (sic). ‘’Les profits, pour l’Etat, sont estimés entre 55 et 64 % des profits pétroliers. Non seulement l’Etat gagne sa part de production, la part de Petrosen, mais aussi des impôts, taxes et redevances’’, a-t-elle ajouté.

Cela a fait tiquer plus d’un dans la salle et pour Demba Seydi, il faut arrêter de tromper les Sénégalais. Il peste : ‘’Je m’inscris totalement en faux contre cette déclaration. Le dire, c’est faire nourrir de faux espoirs aux Sénégalais. Je pense qu’il faut quand même tenir un langage de vérité aux populations.’’ S’ensuivirent des échanges parfois houleux entre les deux parties sans que le débat ait été tranché. En fait, pour certains, la représentante du Cospetrogaz aurait fait une confusion malheureuse entre partage des revenus et partage des profits.

Dans tous les cas, si l’on en croit certains intervenants, les autorités risquent d’avoir le réveil brutal, si elles ne prennent pas les devants. En phase d’exploitation, font-ils savoir, les multinationales usent de tous les moyens pour empocher le maximum de profits.

Chargé des grands projets au ministère des Mines, Alioune Sarr prévient : ‘’Le problème, c’est au niveau des dépenses et nous l’avons déjà constaté dans le secteur des mines. En réalité, l’Etat ne gagne que 20 % des revenus. Une bonne partie est enregistrée comme dépenses. Par exemple, dans le secteur, les compagnies orientent 65 % des dépenses vers les équipements, les fournisseurs et les sous-traitants. En plus, même pour les employés, 70 % des rémunérations sont versées aux expatriés. Je pense que c’est le même mécanisme et il faudrait aussi agir sur ces leviers pour tirer pleinement profit de nos ressources’’.

Conscient des enjeux ainsi invoqués, le Comité national Itie, dans son rapport 2018 qui va bientôt être publié, prévoit de renseigner sur les emplois, le nombre de fournisseurs ainsi que les montants payés à ces derniers. ‘’Ce rapport, affirme la représentante d’Awa Marie Coll Seck, mettra également en avant les réformes entreprises dans le secteur, notamment l’appel d’offres pour l’octroi des blocs, l’obligation de déclaration des bénéficiaires effectifs des entreprises, la loi sur le contenu local…’’.

En tout cas, si l’on en croit les experts, le risque de voir d’importantes mannes échapper à l’Etat est d’autant plus réel que celui-ci n’a même pas les moyens pour vérifier la véracité des chiffres que lui fourniront les compagnies par rapport aux réserves, mais aussi pour ce qui concerne les dépenses.

Pour sa part, le représentant de la multinationale anglaise Bp au Sénégal, Géraud Moussarie, a accentué son propos sur les revenus supplémentaires que le projet Gta va apporter aux deux pays (Sénégal et Mauritanie) dès 2022. En outre, promet-il, l’exploitation va permettre une alimentation en gaz domestique synonyme d’électricité plus verte, plus compétitive, pouvant soutenir les besoins d’irrigation et autres efforts de l’agriculture, de l’agrobusiness et de l’industrie locale. ‘’Mais, soutient-il, rien n’est donné d’avance. De nombreux projets gaziers sont en concurrence à l’échelle internationale avec des acteurs hyper dominants comme le Qatar et l’Australie qui, à eux seuls, exportent plus de la moitié du gaz naturel liquéfié dans le monde. En Afrique, il y a déjà des acteurs majeurs comme le Nigeria et d’autres en devenir comme le Mozambique’’.

De ce fait, souligne Moussarie, Bp et ses partenaires travaillent, depuis deux ans, d’arrache-pied pour relever le défi. ‘’Pour réussir la gouvernance des ressources naturelles, un pays a besoin de trois éléments : des institutions fortes, des règles du jeu claires et des citoyens bien informés. Seul un dialogue informé sera gage de succès pour le Sénégal. La transparence, la bonne gouvernance et la qualité du dialogue sont primordiales pour tirer notre épingle du jeu’’.

MOR AMAR

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