Publié le 9 Feb 2016 - 11:21
REPRISE PROCES HISSEIN HABRE

Les avocats des victimes chargent et corsent l’accusation 

 

Après deux mois de suspension, le procès de Hissein Habré a repris hier, avec le démarrage des plaidoiries des avocats des parties civiles. Cinq d’entre eux ont défilé devant la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE). Ils se sont évertués à asseoir la responsabilité de l’accusé. Pis, Me Fatimata Sall l’a corsée en demandant que les crimes de viol et d’esclavage sexuel soient ajoutés aux accusations.

 

Le procès de Hissein Habré est entré dans sa seconde phase avec le démarrage des plaidoiries des avocats des parties civiles. Hier, cinq avocats se sont succédé à la barre de la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE). Tous ont tenté d’asseoir du mieux que possible l’accusation mais aussi la responsabilité de l’ex-Président tchadien. Pis, l’une d’eux, Me Fatima Sall, a cherché à la corser.

 Hissein Habré a comparu pour crime de torture, crime de génocide et  crime contre l’humanité. Cependant pour l’avocate sénégalaise, les crimes de viol et d’esclavage sexuel doivent également être retenus contre l’accusé compte tenu des déclarations et témoignages de plusieurs ex-prisonnières de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS). Celles-ci ont confié avoir été victimes d’abus sexuels, surtout les prisonnières qui avaient été transférées au camp militaire Ouadi Doum, situé au Nord du Tchad.’’ Le transfert des femmes prisonnières à Ouadi Doum ne se justifiait que pour satisfaire les désirs sexuels des militaires qui les contraignaient à des relations chaque nuit. C’est pourquoi nous demandons une requalification pour les crimes sous-adjacents de viol et d’esclavage sexuel’’, a plaidé Me Sall.

Ses autres confrères, Mes Yaré Fall, Lamina Djindammadji, Philippe Houssine, Jacqueline Moudeina et Delphine Djiraibe sont longuement revenus sur les différentes dépositions et les rapports versés dans le dossier pour asseoir l’accusation et établir surtout la responsabilité de Hissein Habré. ‘’C’est une injure de dire que tout ce qui s’est passé est une imagination’’, a martelé Me Djindamnadji. Pour arguer ses propos, l’avocate inscrite au barreau de N’Djaména est revenue sur le délit de crime de guerre en citant le conflit au Nord qui opposait le GUNT (Gouvernement d’union nationale de transition) au régime de Habré. ‘’Les prisonniers de guerre vous ont expliqué les tortures physiques et morales qu’ils ont vécues.

Ces prisonniers de guerre mourraient à petit feu’’, a rappelé l’avocate. Tout en accusant l’ancien Président de violation des droits des prisonniers de guerre, la robe noire a relevé ‘’qu’il y a eu des détentions et des transferts de prisonniers de guerre du GUNT’’ mais aussi ‘’des homicides volontaires avec des exécutions’’. Elle a ajouté que l’accusé ne peut pas dire qu’il n’était pas au courant puisqu’il était même présent lors de la guerre de Faya. ‘’Vous voyez le degré de l’atrocité. Hissein Habré est coupable de crimes de guerre’’, a asséné l’avocate qui a assimilé l’accusé à Hitler pour deux raisons. ‘’Il a le même nom que Hitler parce que son nom commence par H. Et l’ethnie du Président était la race supérieure au Tchad’’, a laissé entendre Me Lamina.

Habré assimilé à différents dictateurs

 Son confrère Me Philippe Houssine a axé sa plaidoirie sur les crimes de torture perpétrés à travers la DDS. ‘’La DDS était synonyme de tuer impunément. Quelles étaient les activités de la DDS en dehors de la torture et des exécutions ?’’ s’est interrogé le conseil. Il a confié que la torture était systématique à la DDS et les victimes l’ont subi dans toutes ses formes, autant mentalement que physiquement. En effet, tous ceux qui ont été arrêtés pour leur supposé appartenance à la rébellion où à des ethnies qui étaient dans le viseur de Habré ont été arrêtés et torturés. ‘’La fragilité des institutions ne saurait justifier les tortures et arrestations mais toutes les catégories sociales du Tchad ont été visées. La responsabilité pénale individuelle était devenue responsabilité collective’’, a déclaré Me Philippe. Ce dernier est aussi revenu sur les déclarations de plusieurs victimes et témoins qui ont raconté à la barre les tortures qu’ils ont subies lors de leur détention.

D’après l’avocat tchadien, ‘’le seuil de la cruauté humaine est atteint avec l’exécution des membres d’un chef de canton’’. Sur sa lancée, il a listé les formes de tortures qui ont été infligées aux prisonniers sans distinction de sexe ou d’âge. A cet effet, il a cité ‘’l’arbatachar’’ ou supplice de la baguette, l’ingurgitation d’eau, l’électrocution par décharge électrique, le supplice du pot d’échappement, la pulvérisation de gaz. ‘’C’était le sadisme en maître car on choisissait les endroits où vous souffrez le plus à savoir les narines, la bouche’’, a expliqué Me Philippe. Tous ces actes, l’avocat n’y est pas allé par quatre chemins pour faire porter la responsabilité à Hissein Habré en tant que Chef d’État, Chef suprême des armées et également de la DDS qui était rattachée directement à la Présidence.

Contrairement à sa consœur, Me Philippe a assimilé l’accusé aux anciens dirigeants cambodgiens.  ‘’Il a incarné ce que Douch a incarné au Cambodge. Comme Pol Pot (ancien dirigeant des Khmers rouges au Cambodge) qui voyait l’ennemi partout, Hissein Habré s’est comporté comme lui et interdisait la lecture de certains journaux et RFI’’, a martelé le conseil. Il a également fustigé le silence de l’accusé qui, dit-il, s’est comporté comme Slobodan Milosevic et Radovan Karadzic respectivement anciens Président de l’ex-Yougoslavie traduits devant la Cour pénale internationale pour crimes internationaux. Malgré ce silence, Me Philippe considère qu’il y a assez d’éléments qui laissent croire que Habré est coupable de crime de torture en sa qualité de chef hiérarchique.

Me Jacqueline Moudeina a abondé dans le même sens en étayant ses propos par deux tableaux montrant la hiérarchisation de la DDS. ‘’C’est difficile pour Habré de dire qu’il n’était pas au courant. Il avait mis en place une machine huilée, et c’était lui qui contrôlait et s’assurait de tout’’, a soutenu l’avocate. Elle a ajouté que l’accusé avait même créé une commission chargée de punir les agents de la DDS qui n’avaient pas bien fait leur travail alors que ceux qui ont essayé de violer leur engagement étaient arrêtés. A sa suite, Me Delphine a essayé d’établir la culpabilité de Hissein Habré par rapport au crime de génocide. Pour cela, l’avocat est revenu sur la répression subie par les populations du Sud soupçonnées à tort d’appartenir tous à la rébellion des Codos.

‘’C’étaient des atrocités, de la terreur et les crimes les plus odieux commis par des militaires dont le slogan était : ‘’Tu es jeune, donc tu es Codo’’, a renseigné l’avocate. Elle a également dressé la liste de cadres sudistes tués à Koumra et d’autres villages. ‘’Dans chaque village, il y a au moins 15 à 20 personnes exécutées. A la ferme de Déli, on a appâté la population avec 60 000 F et beaucoup de jeunes de même des curieux étaient venus mais ils ont été tous massacrés, soit près de 700 âmes dont hommes, femme et enfants ’’, a fait savoir Me Delphine.

La plaidoirie des parties civiles se poursuit aujourd’hui.

FATOU SY

 

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