Publié le 18 Sep 2018 - 21:15
RETARD DES CHANTIERS, DETTE ENVERS LES EPES

La désorientation des bacheliers

 

Le ministre de l’Enseignement supérieur, Mary Teuw Niane, aura besoin de toutes ses formules mathématiques pour orienter les nouveaux bacheliers. Pour l’heure, toutes les portes qui mènent vers les universités publiques comme privées semblent fermées.

 

Cette année, le Sénégal a eu 55 000 nouveaux bacheliers, soit 10 000 de plus que l’année dernière et un taux d’admission de 35,9 %. Du côté des autorités scolaires, cela a été une source de satisfaction. Pour le ministère de l’Enseignement supérieur, par contre, ça pourrait être source de cauchemar. D’ailleurs, les propos tenus, jeudi dernier à Mbour, par le ministre Mary Teuw Niane, l’illustrent à suffisance. ‘’Nous passons, en cinq ans, de 100 000 à 161 000 étudiants, soit une hausse de 61 %’’, déclare-t-il. Bien que le Sénégal soit très loin du taux idéal d’admission au Baccalauréat (Côte d’Ivoire : 46,09 %, Algérie : 55,88 %, France : 88,3 %), l’orientation des nouveaux bacheliers est déjà une question épineuse. Et cette année l’équation est à ce jour plus que jamais délicate. L’appel du chef de l’Etat, mercredi dernier, à une ‘’orientation adéquate des nouveaux bacheliers’’, a ainsi donc de sérieux obstacles devant lui. C’est pourquoi, d’ailleurs, le coordonnateur de la Cosydep, Cheikh Mbow, invite le gouvernement à anticiper sur la question ainsi que celle des bourses.

En fait, par un concours de circonstances, toutes les voies qui mènent vers l’enseignement supérieur semblent obstruées, au Sénégal. En effet, pour orienter les nouveaux bacheliers, l’université publique demeure la première option de l’Etat. Or, ses établissements ont actuellement atteint leurs limites. Conscient de cela, le ministère de tutelle a lancé, en 2013, plusieurs chantiers en même temps. Mais depuis lors, les infrastructures peinent à être livrées. Aujourd’hui encore, plusieurs bâtiments, qui étaient censés être livrés il y a un an ou deux, sont toujours en chantier. Ces retards font que la capacité d’accueil des universités existantes est trop limitée pour faire face à la demande.

En plus, le gouvernement pensait pouvoir compter sur deux nouveaux campus que sont l’Université Amadou Makhtar Mbow de Diamniadio (Ua2m) et l’université El Hadji Ibrahima Niasse du Sine-Saloum (Ussein). Seulement, aucune des deux structures ne sera disponible à la rentrée prochaine. Joint hier par téléphone, Samba Fall, le chargé des constructions au ministère de l’Enseignement supérieur, indique que pour l’Ua2m, l’état d’avancement des travaux est de 85 à 90 % pour les gros œuvres. Sachant que les locaux ne seront pas disponibles, les autorités ont décidé de ne pas y orienter de nouveaux bacheliers. D’ailleurs, précise-t-il, l’université n’a pas figuré sur la plateforme campusen destinée à orienter les bacheliers. Il n’empêche, ajoute M. Fall, que le ministère va mettre la pression sur les entreprises pour qu’une partie des 26 bâtiments soit livrée, d’ici la fin de l’année, comme prévu dans les contrats.

L’Uvs et le privé

Cependant, la réalité du terrain est qu’il sera très difficile, voire impossible de tenir dans ces délais. Quant à l’Ussein, les travaux n’ont même pas encore commencé. Toutefois, précise M. Fall, il y a des locaux provisoires déjà réceptionnés. Mais il se pose un problème de cadre social. Or, dans ce contexte électoral, l’Etat ne veut pas qu’il y ait des perturbations liées à des revendications sociales. De ce fait, le ministère est en train d’étudier la possibilité d’utiliser les immeubles du milliardaire Ndiouga Kébé pour en faire des pavillons de logement, avec des restaurants qui seront aménagés. Mais au vu des nombreux inconnus, l’heure est actuellement à la prudence. Bref, les universités publiques offrent très peu de places, surtout si l’on sait que l’Ugb accueillera peu de bacheliers, en raison des conséquences de la tumultueuse année académique précédente.

Ainsi, dans le secteur public, il ne reste à Mary Teuw Niane et ses collaborateurs que l’Université virtuelle du Sénégal (Uvs), qualifiée de ‘’puits sans fond’’ par Malick Fall, Secrétaire général du Syndicat autonome de l’enseignement supérieur (Saes). En fait, après 3 ans d’existence, l’Uvs est passée deuxième université du Sénégal, en termes d’effectif, derrière l’Ucad. De 2 000 étudiants en 2013, elle en compte 22 000 en 2017-2018, contre 11 441 pour l’Ugb en 2017. Ce qui fait dire à Aliou Dème, Sg de la section Ucad du Saes, que l’Uvs s’est essoufflée. L’autre solution consistait à surcharger les structures existantes. Mais les problèmes de l’université de Saint-Louis, passée d’un havre de paix à une poudrière, montrent à suffisance les limites d’une telle option.

La position du ministre Amadou Ba

Par ailleurs, face à l’impossibilité de pouvoir compter sur les entités de l’Etat, le gouvernement s’était tourné, en 2013, vers les établissements privés d’enseignement supérieur (Epes).   Cinq mille nouveaux bacheliers ont été orientés dans le privé, la première année. Cinq ans plus tard, en 2018, plus de 40 000 étudiants ont été accueillis dans ces écoles. Mais, aujourd’hui, l’Etat et les chefs d’établissement sont au bord de la rupture. Le gouvernement doit plus de 16 milliards à ses partenaires. ‘’Il s’agit de 19 milliards’’, précise Abass Fall, le vice-président de la Fédération des établissements privés d’enseignement supérieur (Fepes). Durant toute l’année, cette organisation n’a cessé de réclamer son dû, sans succès. En fin juillet, une autre organisation s’est fait entendre à son tour. Toutes les deux entités exigent le paiement d’une partie de la dette, en particulier les 3 milliards inscrits dans la loi de finances rectificative du mois de juin. ‘’Si la dette n’est pas épongée, il sera impossible pour nous d’admettre les étudiants de l’année universitaire 2017-2018 pris en charge par l’Etat au titre de la rentrée prochaine, en novembre 2018’’, prévient la Conférence des établissements (Cepes). Pour la Fepes, non plus, il n’est pas question d’admettre un bachelier de plus, tant qu’une partie de la dette n’est pas épongée. ‘’Même ceux qui sont déjà orientés ne suivront plus les cours’’, prévient Abass Fall.

Jeudi, à Mbour, le ministre de tutelle a fait savoir que les 3 milliards seront incessamment payés. Mais la réalité est que Mary Teuw Niane lui-même ne sait pas quand est-ce que l’argent sera disponible. Certes, il a déjà signé les engagements, mais son collègue des Finances ne semble pas pressé à s’exécuter. D’ailleurs, les instructions du chef de l’Etat, il y a quelques mois, n’ont été suivies d’effet. Amadou Ba estime non seulement qu’il y a trop de bacheliers dans le privé, mais il soupçonne les chefs d’établissement de s’être livrés à la fraude. ‘’Il se peut, à l’insu du ministre de l’Enseignement supérieur, que des étudiants soient inscrits et que les factures reçues par ce ministère dépassent les inscriptions budgétaires. C’est possible. Ce n’est pas accuser le ministère ou autre chose. Mais nous avons un obstacle juridique qui est là, c’est de devoir faire face à une dépense qui, pour l’heure, n’est pas inscrite sur le budget’’, déclarait-il en juin, tout en se défendant d’avoir indexé son collègue. Une accusation de laxisme à l’encontre de Mary Teuw Niane assez révélatrice de la guerre feutrée entre deux hommes aux mêmes ambitions politiques.

La réduction du budget de fonctionnement du Mesri

Déjà, le 20 juillet dernier, a été présenté la Lettre de politique générale sectorielle de l’éducation et de la formation. Il a été révélé, à l’occasion, que les dépenses de fonctionnement du secteur passent de 30,2 % en 2018 à 16,2 % en 2022. Le département de l’Enseignement supérieur a subi une grande cure, avec une réduction de 46,36 % de sa part dans le budget de fonctionnement de l’Education et la Formation. Mary Teuw Niane, furieux contre son collègue des Finances, a dit publiquement tout le mal qu’il pense de cet arbitrage ‘’incompréhensible’’ d’Amadou Ba. ‘’Nous voilà ramenés à des décennies en arrière, à l’époque où le Sénégal n’avait aucune prétention à l’émergence économique. A la différence d’aujourd’hui, le Sénégal a une ambition : le Pse dont l’axe 2 est constitué du capital humain dans la construction duquel l’enseignement supérieur joue un rôle primordial’’, crachait-il à l’attention d’Amadou Ba, absent de la cérémonie.

Le mathématicien avait exprimé ‘’son total désaccord avec le tableau de répartition intra-sectorielle des dépenses de fonctionnement de l’éducation et de la formation’’. L’ancien recteur n’a pas manqué de préciser à son collègue que l’enseignement supérieur et la recherche ne sont pas des charges, mais des domaines où on crée de la richesse et de l’emploi.

Venu représenter son patron, Mayacine Camara, Coordonnateur de la Direction de la planification et des politiques économiques, n’a pas manqué de répondre à Mary Teuw, en lui faisant savoir qu’il ne sert à rien de demander une augmentation, alors que le problème de l’efficacité n’est pas résolu. ‘’Le Sénégal souffre, depuis 2000, de ce manque d’efficacité et d’efficience de la dépense publique’’, rétorquait-il.

Une bataille qui rappelle une autre plus rude. En effet, lors de la mort de l’étudiant Fallou Sène, les deux départements ont cherché à se renvoyer la responsabilité. D’ailleurs, l’animosité  entre les deux hommes est telle que, révèle la presse, le président  Macky Sall a été obligé d’appeler les deux ministres pour leur demander de mettre fin à la guerre fratricide.

C’est dire donc que Mary Teuw sait mieux que quiconque qu’il ne peut pas compter sur Amadou Ba. A moins de passer par le Premier ministre ou le chef de l’Etat.

Le Saes prépare la lutte

Il n’y a pas que l’orientation des bacheliers qui risque de poser problème à la prochaine rentrée. L’année universitaire, également, va démarrer sous de mauvais auspices. En effet, renseigne Aliou Dème, Coordonnateur du Saes au campus de Dakar, les enseignants vont observer un mot d’ordre de grève de 48 heures renouvelables, dès le lundi 1er octobre. Auparavant, le Saes va organiser un sit-in demain mercredi 19 septembre devant les locaux du rectorat, sans oublier la rétention des sujets des examens de rattrapage. Parmi les revendications du syndicat, il y a le paiement des primes de recherche et de voyages d’étude.

En fait, explique Aliou Dème, les professeurs du supérieur ont droit à 70 jours de vacances. Mais au vu de la perturbation de l’année académique, ils ont accepté d’enseigner au mois d’août pour faire leurs voyages d’étude en septembre. Seulement, jusqu’à hier, les autorités n’avaient pas débloqué l’argent nécessaire. Ce que les enseignants, dans un communiqué, considèrent comme un manque de reconnaissance, malgré les ‘’énormes sacrifices consentis’’. Le Saes réclame également le règlement des indices et avancements (calcul et paiement des rappels), le paiement du rappel lié aux allocations familiales que l’Ucad doit aux enfants des enseignants, la fin du départ massif des doyens à la retraite, ainsi que l’audit des contrats de performance.

BABACAR WILLANE

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