Publié le 10 May 2017 - 03:27
RETARD DU CENTRE DES GRANDS BRÛLES DE FANN

Les ambitions asphyxiantes 

 

Le centre de traitement des grands brûlés de Fann n’est toujours pas fonctionnel. Datant de 10 ans et relancé en 2013, sa réception était prévue pour 2014. Des acteurs dénoncent un manque d’ambition du gouvernement et une guerre de positionnement des spécialistes.

 

Le centre de traitement des brûlés de l’hôpital Fann sera-t-il un jour fonctionnel ? A ce jour, il est difficile de répondre à cette question. A moins que le drame qui s’est produit à Médina Gounass oblige les autorités étatiques, sanitaires à réagir. Voilà près d’une décennie qu’on en parle et toujours rien. Aujourd’hui, tout semble suspendu au bon vouloir des partenaires étrangers. Et même là, tout ne se passe pas comme prévu. Lion’s Club International avait annoncé, en 2013, l’ouverture d’un centre des grands brûlés au Centre hospitalier universitaire de Fann pour un coût total de 1,52 milliard de francs CFA. Depuis cette date, le projet dont la réception était prévue pour 2014 n’a pu se concrétiser.

Le 15 février 2016, Lionel Rivoire, un coureur français de 62 ans, a pris part au marathon organisé par l’entreprise Eiffage samedi et dimanche à Dakar dans le but de relancer le projet. Il a en outre confirmé que les membres du club travaillent depuis deux ans pour la création de ce centre. ‘’Le projet est très bien avancé avec quasiment la moitié de la somme déjà récupérée. En France, mes collègues et moi récoltons de l’argent afin de créer cet hôpital à Dakar’’, avait-il assuré. Par ailleurs, il avait annoncé qu’une ’’grande récolte de fonds’’ allait être organisée, le 16 avril de la même année (2016) avec la ministre de la Santé et de l’Action sociale, Awa Marie Coll Seck. ‘’Toutes les sociétés du Sénégal vont être contactées pour leur demander de nous aider dans cette grande opération’’, indiquait M. Rivoire. Rappelant qu’il n’existe pas d’hôpital pour les grands brûlés au Sénégal, il estimait qu’il est important de le construire pour être sur les standards nationaux.

En guise de comparaison, avait-il fait remarquer, en France, les brûlés sont pris en charge en quelques heures. ‘’Au Sénégal, il n’y a rien et c’est malheureux. Je vais organiser des conférences de presse et inviter les entreprises françaises à faire des dons. Nous avons ouvert un compte qui est au Havre et au Sénégal sous l’égide du Lion’s club pour récupérer des Fonds’’, avait-il annoncé. Depuis, l’on se demande ce qui se passe. La seule certitude est que le centre n’est toujours pas fonctionnel et ce n’est pas seulement pour des raisons techniques ou financières.

Politisation et guerre de positionnement

En effet, selon une source, il se pose un problème de positionnement et d’ambitions personnelles. ‘’Le centre devrait fonctionner depuis très longtemps. Mais on a politisé la chose et tout le monde veut être à la tête’’, a-t-elle confié. Selon notre interlocuteur, il est facile de trouver l’homme qu’il faut, puisqu’il est seul à être à son niveau. ‘’Il faut un médecin qualifié, spécialisé, avec de l’expérience. Nous tous, nous connaissons cette personne. Il est pratiquement le seul médecin à pouvoir gérer ce centre.  Mais pour des raisons politiques, il est écarté’’, informe notre source.

Outre ce problème de leadership, notre source a évoqué celui des ressources humaines. Selon elle, pour le bon fonctionnement du centre, il faut assez de réanimateurs, de brûlologues et d’urgentistes.  Or, au Sénégal, ces spécialistes ne courent pas les rues. ‘’Il n’y en a pas assez. Je pense qu’il fallait commencer par former les gens, les préparer. Même si le centre est fonctionnel, il n’y aura pas de ressources humaines qualifiées pour la prise en charge des brûlés graves’’, souligne-t-on.

Une autre source vient conforter cette thèse. Pour elle, les gouvernements n’ont jamais donné de l’importance aux traitements de brûlés. ‘’Ce projet dure depuis dix ans. A chaque fois qu’on leur en parle, ils évoquent le manque d’argent. Et pourtant, pour faire leur politique, l’argent ne manque jamais’’, déplore-t-elle. Cet interlocuteur regrette d’ailleurs qu’on en arrive à soumettre le projet à des étrangers, parce que tout simplement il y a une mauvaise volonté politique. ‘’Ce n’est pas du tout normal. Il faut que nos Etats comprennent que la Santé est fondamentale dans un pays. Aujourd’hui, on parle du centre de Fann, à cause de ce qui s’est passé à Gounass. Tout sera mis au frigo dans quelques mois. C’est du vrai laxisme‘’, s’offusque-t-il, non sans rappeler l’histoire de la machine de radiothérapie de l’hôpital Le Dantec. ‘’Aujourd’hui, le Président Macky Sall gagnerait plus à régler tous ces problèmes. Mais il va préférer injecter de l’argent pour les Législatives ou préparer sa campagne de 2019. Les priorités de l’Etat sont ailleurs et le ministère de la Santé est également complice. Ce centre ne sera pas fonctionnel, même en 2018’’, peste-elle.

VIVIANE DIATTA

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