Publié le 10 Feb 2016 - 22:25
RETOUR D’ANCIENS GROUPES DE MUSIQUE

Les ‘’Papys’’ retrouvent la scène

 

Le ‘’Baobab’’ a signé en premier son ‘’come back’’ sur la scène musicale nationale et celle internationale. Ensuite, ont suivi le ‘’Xalam’’ et le ‘’Sahel’’. Et malgré leurs longues absences, tous ces groupes ont très facilement retrouvé leurs places sur le marché du disque ainsi que sur la scène musicale. Ils jouent et animent de grandes rencontres et sont toujours conviés dans de prestigieux festivals. La preuve, le ‘’Sahel’’ est invité actuellement dans toutes les grandes salles européennes. D’ailleurs cette semaine, Idrissa Diop et ses amis sont attendus à l’Olympia. Comment arrivent-ils à rester in, surtout que la plupart d’entre eux se suffisent à leurs anciens répertoires ? Décryptage.

 

Leurs rythmes ont bercé les générations des années 1960, 1970 et 1980. Bien appréciés, certains d’entre eux avaient disparu de la scène pendant un moment et d’autres étaient là mais jouaient moins. Aujourd’hui, tous ces groupes sont revenus sur la scène après une longue absence dont la moyenne est de 15 ans. Sur les affiches des cabarets et bars restaurants en effet, on voit de plus en plus le ‘’Xalam 2’’, le ‘’Baobab’’ et bientôt le ‘’Sahel’’. Ce dernier a d’ailleurs sorti un album international au mois de décembre dernier et a joué pendant tout ce mois en France dans  des salles pleines à craquer. C’est sûr qu’Idrissa Diop, Cheikh Tidiane Tall et Thierno Kouyaté ne feront pas moins chez eux. Ce qui fait que d’aucuns se demandent comment les ‘’papys’’ arrivent-ils encore à faire le plein et à imposer leurs musiques.

Joint par EnQuête, le Womex 2015 Cheikh Ndigueul Lô déclare : ‘’C’est une histoire qui a commencé déjà vers les années 1970. Si on parle de ‘’Xalam’’ ou de ‘’Baobab’’, on parle des pionniers. Ils ont une histoire et la vivent jusqu’à présent et le musicien n’a pas de retraite à prendre. Alors, qu’ils s’organisent pour reconquérir le pouvoir, c’est quelque chose d’important. Ce sont des groupes qui ont fait leurs preuves depuis 40 ans déjà. C’est comme les Salif Keita au Mali, les Bembeya Jazz, entre autres. Ceux-là sont des légendes africaines.’’ Ils ont ainsi toujours leurs places dans la sphère musicale. ‘’C’est normal qu’ils soient présents dans la musique même s’ils avaient tous fait une certaine rupture de quelques années’’, déclare le secrétaire général de l’association des métiers de la musique du Sénégal (AMS), Guissé Pène.

Son argumentaire repose sur le fait que ces artistes ne faisaient pas ce qu’on appelle actuellement ‘’la musique kleenex’’. C’est-à-dire des musiques de mode qui passent vite. ‘’A l’époque, il y avait de la place pour la recherche. Il n’y avait pas toutes les opportunités technologiques qu’il y a aujourd’hui et qui font que la recherche est reléguée au second plan. Donc eux, ils travaillaient et ces groupes n’étaient pas attribués à une personne comme par exemple Baaba Maal et le ‘’Dande Lenol’’, Youssou Ndour et le ‘’Super étoile’’ ou Oumar Pène et le ‘’Super Diamano’’, etc. C’étaient des groupes au sein desquels chaque membre se sentait autant responsable que propriétaire du groupe. Il y avait cette symbiose qui faisait que chacun y allait du mieux possible et de la meilleure des façons’’, affirme Guissé Pène.

Le producteur et dénicheur de jeunes talents Bouba Ndour est du même avis. ‘’Déjà on parle de groupe, ce qui veut dire un ensemble de musiciens qui ont développé un son, un style, une personnalité. C’étaient de vrais groupes, c’est-à-dire qu’ils avaient des musiciens qui avaient un esprit de groupe’’, analyse-t-il. Ainsi, le partage honnête et solidaire a aidé jadis ces artistes à produire de véritables tubes. ‘’Cela a fait qu’ils nous avaient laissé un répertoire extraordinaire qu’on n’oubliera jamais malgré les ruptures notées’’, reconnaît Guissé Pène. Et cela est possible malgré le fait que leurs mélodies aient 40 ans et plus. Bouba Ndour explique le phénomène par le fait ‘’qu’il y a des artistes qui restent pour toujours parce qu’ils ont un son original qui leur est propre et que l’on ne retrouve pas tous les jours. Et ce sont des gens qui ont travaillé ces styles et sonorités. Quand on prend le ‘’Baobab’’, ses musiciens se sont basés sur la Salsa pour la développer avec le son local, ce qui a donné une musique originale. Avec le ‘’Sahel’’, c’est la même mouvance aussi. Il y avait tous ces grands artistes qui maîtrisaient un peu tout le folklore mais qui avaient un style assez cubain’’, pense-t-il.

Diversité culturelle locale et ouverture

Le pianiste du ‘’Xalam’’, Henry Guillabert, le confirme : ‘’Notre musique n’est pas une musique de mode. Elle a traversé toutes ces années parce qu’elle a été travaillée. Ce que nous faisons est de la musique sénégalaise, africaine en général, enracinée mais très ouverte, moderne dans les harmonies et mélodies.’’ Le journaliste culturel officiant à radio Sénégal internationale (RSI), Alioune Diop, corrobore les propos du pianiste. ‘’Ils ont toujours été sérieux et ont toujours voulu travailler pour la postérité tout en sachant qu’une aventure de musique est éternelle. C’est dangereux et ils l’ont très bien compris, de travailler pour un temps précis. Leur conception musicale était basée sur la diversité culturelle locale. Ensuite ils se sont ouverts aux autres influences extérieures, ce qui est normal. Mais à la base,  leur conception était très réfléchie. Il y avait un réel travail que l’on constatait à la sortie des disques et qui reflétait beaucoup de réalités musicales du pays. Je pense qu’en dehors de cela, ils étaient et ils demeurent des musiciens talentueux’’, renseigne-t-il.

‘’Le talent ne vieillit pas’’

Membre du ‘’Sahel’’, Idrissa Diop va plus loin dans l’analyse. ‘’Le talent ne se cache pas, le talent ne vieillit jamais. On a repris les morceaux que l’on jouait dans les années 70. On a remis le groupe ‘’Sahel’’ parce qu’on croit à la bonne et à la belle musique’’, laisse-t-il entendre. Il ajoute dans la même veine que ‘’la musique n’a pas d’âge, elle a une identité. Le ‘’Sahel’’ a eu une identité et on a fait remarquer cette identité. Une bonne musique ne meurt jamais’’.

Par ailleurs, le retour réussi de ces groupes s’explique également par la nostalgie et la recherche des bonnes tonalités. ‘’La musique, ce n’est  pas que pour danser mais pour écouter aussi avec le cœur. Et les Sénégalais sont actuellement de vrais mélomanes qui connaissent bien la musique, qui savent si c’est bien fait ou pas, si le son est bon ou pas, si les textes sont riches ou pas. Ils savent également si la musique est cohérente et qu’il n y a pas de fausses notes’’, indique le sécretaire général de l’AMS. Pour satisfaire ce public exigeant, il faut plus que de la musique ‘’kleenex’’ ou de programmation à la va-vite. Mais actuellement, c’est ce qu’on l’on trouve en quantité sur le marché du disque. Le public change de tempo facilement et n’hésite pas à voir dans le rétroviseur et dépoussiérer de vieux disques. Par conséquent, le manque de concentration et de sérieux des jeunes laissent libre chemin aux anciens.

‘’Les jeunes, ils ne travaillent pas beaucoup maintenant. La musique est devenue aujourd’hui très médiocre. Il n’y a pas de recherches alors qu’il y a tellement de potentialités dans notre patrimoine qui peuvent être exploitées’’, selon Guissé Pène. Le journaliste culturel Alioune Diop lui, considère que ‘’les jeunes n’ont pas joué leur rôle du tout. Ils se sont abonnés à la formule ‘’facilité’’ et il n’y a aucun effort sérieux. Leurs objectifs est de paraître à la télé. Je crois qu’on ne peut pas mener une carrière avec un single ou quelques singles, sans orchestre, sans disque. C’est impossible. Ils misent beaucoup plus sur l’amusement. On constate un manque de sérieux notoire chez les jeunes musiciens d’aujourd’hui’’. Une paresse et une médiocrité qui s’expliquent par les opportunités qu’offrent les technologies de l’information et de la communication.

‘’Avec les nouvelles technologies, c’est très difficile de trouver des groupes qui ont leurs propres sons. Ici, à la limite, beaucoup d’artistes font la même musique. Mais en tout cas pour qu’un groupe reste eternel, il lui faut de l’originalité dans la musique, une personnalité et des personnages mythiques’’, estime Bouba Ndour. C’est ce qui manque essentiellement aux jeunes et fait que le meilleur des albums ne dure au maximum que 6 mois et on n’en entendra plus parler… ‘’Il n’y a pas de qualité dans la musique. Il n’y a plus cette recherche, cette sensibilité qui peut toucher le Sénégalais. Il y a trop de machines dans la musique et de mécanismes qui font que la musique n’est plus naturelle. La technologie a certes des avantages parce qu’elle permet d’aller plus vite. Mais l’inconvénient est que cette âme que l’on recherche dans la musique n’y est plus’’, croit savoir Bouba Ndour.

Pour s’en sortir, les jeunes musiciens devraient s’inspirer de leurs aînés. Du moins, c’est le conseil que leur donne leur doyen Cheikh Lô : ‘’La jeunesse doit prendre exemple sur les aînés. C’est-à-dire ces grands groupes qui sont là. Il y a certes chez les jeunes de bons instrumentistes, mais il leur faut aussi de bons arrangeurs et faire de bonne orchestration pour pouvoir faire long chemin. En fait, il faut juste avoir de bonnes méthodes de travail ainsi qu’un chef d’orchestre et quelqu’un qui connaît la musique et là, les portes s’ouvrent’’, conseille l’auteur de Doxandéém. Idrissa Diop embouche la même trompette. Il dit : ‘’Ce n’est pas parce qu’on entend des sons que c’est de la musique. Ce n’est pas parce qu’on entend des musiques de mode que c’est de la musique. Il y a un cheminement, un chemin et une voie à suivre dans la musique.’’ 

BIGUE BOB ET AMINATA FAYE

 

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