Publié le 16 Jan 2019 - 17:40
RETOUR SUR LE CHEMIN DU TER

Le blocus de Rufisque

 

Comme en Allemagne sous le blocus de Berlin, le chemin du Ter (Train express régional) a fini de couper la ville de Rufisque en deux. Que d’embûches pour rallier les parties nord et sud de la vieille ville. Si ce n’est le blocus total, c’est simplement des embouteillages à n’en plus finir. Reportage.

 

L’image est frappante. Elle fait penser aux migrants parcourant des kilomètres à pied, à bord de leurs camions ou d’autobus, pour traverser la frontière américaine ou espagnole avant qu’elle ne ferme. Sauf que nous sommes loin des Etats-Unis ou de l’Espagne. Il ne s’agit pas, non plus, de migrants qui veulent vaille que vaille fuir leurs pays d’origine, pour rejoindre celui de Donald Trump ou de Pedro Sanchez. Ici, c’est Rufisque. La frontière, c’est le chemin du Ter. Les personnes bloquées, ce ne sont pas des étrangers, mais les autochtones eux-mêmes. Comme en République d’Allemagne, sous l’empire du Mur de Berlin. Tel est le triste décor qui meuble la cité de Mame Coumba Lamb depuis quelques jours (avant l’inauguration du Train express régional).

Moussa Ba n’en revient pas. Chauffeur de ‘’clando’’, il vient de l’hôpital Youssou Mbargane Diop de Rufisque. A l’intérieur de son véhicule, une dame qui souffre et son accompagnant. Complètement pris au dépourvu, Moussa descend de la voiture, s’approche des bonhommes de la sécurité pour tenter de leur faire comprendre sa situation d’urgence. Mais c’est peine perdue. En cette nuit, le chemin du Ter, comme le Mur de Berlin, est infranchissable. Le malade qui a été référé à l’hôpital Thiaroye va devoir rebrousser chemin pour prendre l’autoroute à péage, seule voie qui mène à Dakar et ses environs. ‘’Légui nak ? (Et maintenant ?)’’, interroge Moussa à son client. Ce dernier, d’un ton résigné, lui donne le feu vert de prendre le péage. Ainsi, vont-ils perdre du temps et de l’argent : 2 000 F Cfa, tel est le prix en aller-retour, sur le péage, entre Rufisque et Thiaroye.

Ainsi, en ces temps qui courent, la distinction entre Nord et Sud a du sens dans la vieille ville. A certaines heures, difficile de quitter une partie pour rejoindre une autre en voiture. ‘’L’ensemble des passages piétons et passages routiers sera fermé aux riverains et usagers des voies traversant l’emprise du Train express régional, en raison de la mise sous tension de la ligne électrique alimentant le Ter ainsi que des essais dynamiques’’, prévenait un communiqué de l’Apix avant le 14 janvier.

Ainsi, sur une semaine, la ville était sous blocus entre 22 h et 6 h du matin, entre 6 h et 20 h le jour de l’inauguration, d’après toujours le communiqué. Sauf pour certains jours où il n’y avait pas de test. Pour l’occasion, des gendarmes sont affrétés sur place, pour assurer la sécurité.

Sur la route des Hlm, pendant que les bonhommes veillent dans la partie nord, les forces de sécurité sont positionnés dans la partie sud avec leur véhicule. EL Hadj Diop est taximan. Il vient de Dakar. Lui non plus n’était pas au courant de la ‘’fermeture’’ de la ville. Bloqué par les gendarmes, il se gare avant de faire le reste du trajet, plus d’un kilomètre, à pied. Mais, au préalable, il devra faire un long détour. Le gendarme en faction explique : ‘’Il est interdit de passer au-dessus des rails. Il y a là-bas un tunnel qui a été aménagé pour les piétons.’’

Contre mauvaise fortune, El Hadj ainsi que trois autres passagers font bon cœur. Il est minuit passé de quelques minutes. Seule la lune offre quelques éclaircies dans les alentours ténébreux du Ter. Les quatre compagnons d’infortune s’apitoient sur leur sort. On grogne, on s’interroge sur le train, son véritable coût, ses conséquences sur les riverains… Après des dizaines de mètres parcourus, c’est enfin le soi-disant tunnel. En réalité, le grand canal de Rufisque qui passe au-dessous du chemin de fer et où se côtoient eaux usées et ordures ménagères. Le trou noir a été un peu remblayé pour servir de passage aux piétons. ‘’C’est comme un trou à rats’’, raille l’un des passagers, sous les éclats de rires. El Hadj, quant à lui, revient sur son calvaire : ‘’C’est très compliqué. Moi, tous les jours, je vais à Dakar, mais je rentre toujours chez moi aux Hlm. Parfois, je passais par l’autoroute à péage. Mais, aujourd’hui, j’avais des clients qui devaient descendre sur la nationale. Ce n’est qu’ici que j’ai appris que le passage est fermé. C’est un préjudice énorme, mais on ne peut rien y faire.’’

Très dubitatif, El Hadj s’interroge sur la pertinence d’un train électrique, vu la configuration des quartiers le long du chemin de fer. ‘’Je doute qu’il puisse y avoir toute la sécurité requise. J’ai vu des accès qui restent ouverts et il n’y a aucune surveillance. C’est vraiment dangereux tout ça’’. D’ailleurs, lors de l’inauguration, lundi 14 janvier, le président de la République est revenu sur la nécessité d’accélérer la construction du mur qui doit sécuriser l’infrastructure. Ce qui hante les riverains dont certains fustigent l’éloignement des points de passages piétons. ‘’On ne sait même pas où ils vont ériger la passerelle’’, s’indigne pour sa part Laye Sène, habitant le quartier Ndar gou ndaw.

Bouchons monstres  et embouteillages

 Au bout du ‘’tunnel’’, les marcheurs doivent remonter le long du chemin de fer, pour regagner la même route des Hlm. Matar Ndiaye, lui, doit faire le chemin inverse. Habitant Cité Millionnaire, il doit aller accueillir son grand frère qui vient d’Espagne, exténué après cinq jours de route à bord de son véhicule. L’air très pressé, le bonhomme témoigne : ‘’Il est fatigué et comme il ne maitrise pas trop le secteur, il m’a demandé de venir le prendre. En fait, nous allons devoir aller jusqu’à Bargny. C’est là où a été ouverte une brèche pour les voitures. C’est vrai que c’est une situation très difficile.’’  

Passé le blocus, les embouteillages reprennent de plus belle sur tous les axes de la vieille ville. De Dakar, il est difficile de rejoindre Rufisque. Les taximen préférant d’autres destinations à cause des bouchons monstres. D’autres choisissent un moindre mal. Débarquant leurs passagers au niveau du stade Ngalandou Diouf, loin de Sonadis, leur garage habituel. Une situation infernale pour nombre de Rufisquois !

Mor Amar

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