Publié le 4 Feb 2016 - 21:49
ROCAMBOLESQUE ENLEVEMENT D’UN INDIEN

Comment la Section de recherches… 

 

La Section de Recherches de la gendarmerie a réussi, jeudi dernier, à faire libérer un ressortissant indien qui a été kidnappé et gardé à Sendou. En attendant de mieux cerner les contours de cette affaire qui a des ramifications en Inde et en Angleterre, six suspects dont un Sri-Lankais naturalisé français, un Nigérian et quatre Sénégalais ont été arrêtés et déférés au parquet hier.

 

‘’Un rapt à Dakar’’. Tel pourrait être le prochain livre de l’écrivain indien, Shreekumar Varma. Sauf que dans ce cas, l’auteur pourrait s’inspirer non d’une fiction, mais d’une histoire réelle. Une malheureuse expérience qu’il a lui-même vécue. Membre de la famille royale, Varma a été victime d’un enlèvement. Ses ravisseurs réclamaient à sa famille, une rançon de 2,5 millions d’euros, soit 1,637 milliard de F CFA. Cette situation avait fini de mettre sa famille dans une grande angoisse, du fait qu’en Inde, la prise d’otage est monnaie courante et les chances de survie des victimes sont de 5%, même si la rançon est payée.

D’où la prouesse de la Section de recherches de la gendarmerie qui, grâce à ses moyens humains et techniques, a pu libérer l’otage, après six jours de captivité. Le Commandant Issa Diack et ses hommes ont aussi mis la main sur toutes les personnes qui y sont mêlées et qui se trouvent au Sénégal. Il y a parmi eux le présumé cerveau, N. N, un Sri Lankais naturalisé français, qui a pris le nom d’Abdoul Aziz, après sa conversion à l’Islam. C’est un ancien agent infiltré de la brigade des stupéfiants de la police française. Il y a aussi son épouse sénégalaise, O. D, un couple nigériano-sénégalais et deux jeunes Sénégalais (un restaurateur et un ancien joueur du Jaraaf).

Habillage du kidnapping – projet d’extirpation

Cette histoire a débuté en Inde, lorsque le beau-frère de Varma a été contacté par un indien répondant aux initiales de S.S. Il lui a dit qu’il voulait acheter une des peintures de la famille pour le compte d’un certain A. B, un autre ressortissant indien basé au Sénégal. S.S. lui a fait comprendre qu’il voulait rencontrer un membre de la famille à Dakar, parce qu’A.B. s’y trouve dans le cadre d’un projet de construction d’hôtels et de motels. Le beau-frère étant malade, c’est Varma qui a fait le déplacement. S.S. devait donc organiser une rencontre avec A.B., au terme de laquelle le précieux tableau devait être acheté. A ce moment, le Sri Lankais Abdoul Aziz, naturalisé français est entré en scène.

S.S. a assuré à Shreekumar Varma qu’il n’avait rien à craindre. Qu’il serait pris en charge entièrement lors de son séjour à Dakar. Qu’une suite allait être réservée à l’hôtel Radisson de Dakar. Ensuite, un homme qui se fait appeler T.M. a appelé, depuis Londres, Abdoul Aziz pour lui demander de recevoir à Dakar un Indien qui allait venir pour rencontrer S.S. Tout étant calé, Varma prit le vol pour Dakar via Dubaï. Il arriva, le mardi 19 janvier, à l’aéroport, à 14h10mn par le vol EK797 de la compagnie Fly Emirates. Dans la foulée, il prit contact avec S.S. pour lui dire qu’il n’y avait personne pour l’accueillir. S.S. lui demanda d’attendre. Une attente qui fut longue, d’autant que ses tentatives pour recontacter S.S furent vaines, le téléphone de son interlocuteur étant hors service.

Ne sachant que faire, il resta sur place. Plus tard, Abdoul Aziz le contacta. ‘’Je suis un ami de S.S. et je vais passer vous prendre à l’aéroport. J’arrive’’, lui dit l’ancien flic français. Mais le temps passant, l’Indien prit un taxi pour l’hôtel Radisson. Sur place, il appela Abdoul Aziz pour lui dire qu’il était à l’hôtel. Abdoul Aziz le rejoignit le soir, en compagnie de son épouse. Il réussit à le convaincre de changer d’hôtel, au motif que c’était trop cher. Il prit une chambre, vers 23 heures, à l’hôtel Kings Plazza derrière Good Rade, vers les résidences Mamoune.

Pour le mettre en confiance, Abdoul Aziz lui fit comprendre que S.S et A.B. avaient été arrêtés au niveau de la frontière sénégalo-mauritanienne… Mais dès le jeudi, Varma commença à organiser son voyage retour. Il commanda un billet d’avion pour le vendredi à midi. Il réserva même un taxi. Mais ses ravisseurs ne l’entendaient pas de cette oreille. Abdoul Aziz demanda à la réceptionniste de décommander le taxi, en se chargeant de le transporter lui-même à l’aéroport. Une fois dans le taxi, Abdou Aziz dit au chauffeur : ‘’direction aéroport AIBD’’. Varma, constatant que le chemin était anormalement long, lui fit la remarque. Abdoul Aziz lui rétorqua qu’au Sénégal, si vous arrivez par l’aéroport Léopold S. Senghor, vous rentrez par celui de Blaise Diagne.

Ainsi, le plan pour l’éloigner de Dakar, loin des oreilles indiscrètes, était en marche. Varma se retrouva dans une résidence à Sendou, car son présumé ravisseur lui fit croire qu’il avait raté son vol. Là-bas, Varma accepta de remettre son passeport et son billet d’avion à Aboul Aziz qui, dans ses manœuvres, lui assura qu’il allait s’occuper des formalités de son retour, puisqu’il était à l’origine de son retard. La victime ne se douta de rien, jusqu’à ce que son bourreau lui demande le numéro de son fils. Au cours d’un premier appel, l’on fit croire au fils Varma que son père avait eu un ‘’petit accident’’.

Chasse à l’homme 

Un quart d’heure plus tard, le fils reçut un second appel qui plongea toute sa famille dans une angoisse totale. ‘’Nous avons besoin de 2,5 millions d’euros. Sinon tout va tourner mal’’, aurait lâché le mis en cause. C’est à ce moment que la famille prit au sérieux l’affaire. L’ambassade de l’Inde au Sénégal fut informée. Elle saisit la Section de Recherches, en soulignant que la famille de Varma a reçu un appel téléphonique de Dakar demandant une rançon de 2,5 millions d’Euros contre sa libération. Que si la rançon n’est pas versée, ils ne verront plus Varma. Etant donné que les jours de la victime sont comptés en cas d’enlèvement, le Commandant Diack et ses hommes commencèrent à rassembler toutes les pièces du puzzle une à une. Après un travail de fourmi, les correspondants d’Abdoul Aziz furent très vite connus. Une surveillance fut mise en place. La Gendarmerie mit tous les moyens techniques et humains à la disposition des enquêteurs pour arriver rapidement à bout des ravisseurs. Les groupes d’observation et de surveillance de la Section de recherches furent déployés sur le terrain, appuyés par les éléments d’élite du fameux GIGN. La section aérienne, avec ses avions légers récemment acquis, survola régulièrement la zone où les ravisseurs avaient été localisés. La « chasse à l’homme » ne tarda pas à livrer ses premiers résultats.

Les premiers à tomber furent le ressortissant nigérian F. N et sa fiancée sénégalaise Nd. M. M., arrêtés le matin. Abdoul Aziz fut appréhendé chez lui aux HLM 4. Les pandores le conduisirent au domicile de sa belle-famille où fut cueillie son épouse. Sous la pression intense des recherches, les deux jeunes H. D et B.Nd.G., recrutés pour respectivement assurer la restauration et la surveillance de Varma, prirent peur, se rétractèrent et proposèrent à Varma de le ramener à Dakar. En fait, en découvrant que les deux étaient préposés à la surveillance de la victime, les enquêteurs firent pression sur la famille de l’un d’eux, H.D., en leur faisant croire que ce dernier utilisait un téléphone volé et qu’il était repéré. Lorsque sa sœur l’appela à deux reprises pour l’informer de la visite des gendarmes, le jeune restaurateur et son ami ancien footballeur comprirent que les carottes étaient cuites pour eux. Alors, pour limiter les dégâts, ils ont ramené Varma à l’hôtel Radisson. Une tâche qui n’a pas été aisée, car la victime a déclaré aux enquêteurs qu’il s’était barricadé dans sa chambre durant toute la nuit du mercredi et n’est ressorti qu’après avoir été convaincu par les deux garçons.

Enquête sur fonds de contradictions et de déclarations farfelues des mis en cause

Après l’arrestation de tout ce beau monde est arrivée la phase d’enquête durant laquelle Varma est revenu largement sur sa mésaventure. Entendus, à la suite du plaignant, aucun des mis en cause n’a reconnu les faits, dans un premier temps. Même Abdoul Aziz, présenté comme le cerveau présumé, se dit lui-même victime, puisqu’il a été mêlé dans cette affaire contre son gré. Selon ses explications, il est arrivé au Sénégal le 23 décembre dernier, pour passer des vacances avec son épouse. Un jour, il a reçu un coup de fil de l’Inde d’une personne l’informant de ce qu’il allait recevoir un mail, le 15 janvier. Le mail, reçu finalement le 14 janvier, l’informait de l’arrivée d’un Indien, le 19, et qu’il devait aller le chercher à l’aéroport pour le conduire à l’hôtel. Selon ses dires, à la date convenue, le vol annoncé à 14h 10mn a accusé du retard et il a dû se rendre en ville avec son épouse pour aller manger. Entre-temps, Varma est arrivé et s’est rendu au Radisson Blu.

La personne qui l’avait appelé de l’Inde lui a demandé d’aller le chercher pour le conduire à l’hôtel King Plazza et lui a demandé de payer les frais. Mais il lui a fait comprendre qu’il ne disposait pas d’argent. Poursuivant son récit, Abdoul Aziz a ajouté que Varma l’a appelé, en lui faisant savoir qu’il allait finalement rentrer le vendredi, car sa famille lui avait déjà trouvé un billet retour. C’est sur ces entrefaites qu’il s’est proposé de l’accompagner à l’aéroport. Seulement, dit-il, son beau-frère l’a appelé lui disant que si Varma prenait l’avion, l’affaire allait couler. C’est à ce moment qu’il a commencé à se poser des questions, en se demandant dans quel pétrin il s’était mis. A l’en croire, son contact lui a donné comme ‘’instruction’’ de faire rater à la victime son vol. Ayant réussi son coup, il a demandé à son épouse de trouver un endroit loin de Dakar et proche de la mer, mais également des personnes pour être au service de Varma.

Se disant toujours victime, Abdoul Aziz a déclaré à l’enquête que ce n’est qu’à Sendou qu’il a réalisé qu’il était mêlé à une affaire d’enlèvement. Car son beau-frère l’a appelé pour le menacer. Il lui aurait dit que s’il n’exécutait pas ses ordres, il ferait du mal à sa fille et son gendre qui sont à Londres. Parmi ces ordres, il fallait confisquer les documents de voyage de Varma. Ce qu’il a fait mais sans contrainte, selon sa version. Il s’y ajoute qu’après avoir laissé la victime à Sendou, le mis en cause a coupé tout lien avec celle-ci. ‘’En communiquant avec lui le samedi, mon téléphone est tombé et j’ai perdu son numéro. C’est un appareil bidon, c’est pourquoi je ne pouvais plus le joindre’’, a-t-il tenté de se justifier face aux enquêteurs. Non seulement, il a déclaré que le site de Sendou a été choisi par son épouse, mais que celle-ci a recruté le restaurateur et le supposé gardien. ‘’Ce n’était pas pour le torturer, mais pour qu’il soit bien. Il a été bien nourri et logé et n’a subi aucune maltraitance’’, a précisé le mis en cause.

Concernant le choix de Sendou, son épouse a soutenu que l’idée vient plutôt de son époux. Selon O.D., celui-ci lui avait fait croire qu’il voulait juste un endroit calme pour un ami qui avait raté son vol. Elle n’a jamais eu de soupçon, sauf les jeudi et vendredi, quand elle l’a vu communiquer tout le temps en anglais, a-t-elle précisé. Elle a ajouté que ce n’est que le samedi que son mari lui a confessé l’enlèvement. Aussi, se dit-elle victime de son époux qui l’a entraînée dans cette rocambolesque affaire.

B.Nd.G. accuse à son tour la dame O.D. d’être la cause de son malheur. D’après l’ancien joueur du Jaraaf, la dame qu’il connaît depuis une dizaine d’années l’a appelé pour lui dire qu’elle avait besoin d’un hôtel pour loger un ami de son mari. Le mis en cause de soutenir qu’il a même proposé, dans un premier temps, sa villa de Sébikotane, mais O.D. a décliné sa proposition, en lui faisant savoir qu’elle préférait plutôt un endroit proche de la mer. C’est sur ces entrefaites qu’il a fait appel à son ami H.D. pour qu’il se charge de la restauration de Varma.

L’ancien international a ajouté qu’il a proposé ses services à la dame, étant donné qu’il ne fait rien ces temps-ci. Clamant leur innocence, il a soutenu qu’ils n’ont jamais soupçonné que l’individu au service de qui ils étaient était détenu contre son gré. Il a argué qu’ils ont commencé à avoir des soupçons dans la nuit du mercredi, lorsqu’ils ont entendu la victime s’exprimer en anglais. Ils lui ont proposé de l’amener à la gendarmerie, mais Varma leur aurait supplié de le conduire à l’hôtel. Son ami a abondé dans le même sens, en expliquant qu’il avait fait appel à un de ses amis qui comprend l’anglais. C’est grâce à cet ami qu’ils ont compris que l’homme pour qui ils étaient recrutés, moyennant 125 000 F CFA, était un otage.  

Sous le feu roulant des questions des enquêteurs, la plupart des auteurs présumés de l’enlèvement de l’écrivain Shreekumar Varma ont fini par craquer et avouer leur forfait. Ils ont été déférés au parquet hier, pour association de malfaiteurs, kidnapping et séquestration.

Cette affaire rondement menée par la Section de recherches de la Gendarmerie, dans la plus grande discrétion, a été délicate et complexe à cause des éléments d’extranéité qu’elle comporte... La victime est de nationalité indienne et une partie des auteurs présumés se trouverait à l’étranger. Il s’y ajoute que le kidnapping est un type de criminalité pas du tout fréquent au Sénégal. Et cette réponse diligente et efficace apportée à la solution de ce rapt, aura le mérite de rassurer les populations et les partenaires du Sénégal, et par la même occasion, donner un signal fort aux délinquants sur les capacités de réaction et de riposte des forces de défense et de sécurité nationale.

FATOU SY

 

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