Publié le 27 Oct 2018 - 23:29
RUEE DES HOMMES POLITIQUES VERS TOUBA

La saison des manipulateurs

 

L’électorat mouride fait l’objet de toutes les convoitises de la part des politiciens de tous bords.  Corruption, mensonges, manipulations… tous les moyens semblent bons pour rallier la majorité à sa cause.

 

‘’Serigne Mountakha zappe la politique’’. ‘’Serigne Mountakha tourne le dos aux hommes politiques’’… Maintes fois, ce titre est revenu à la Une des journaux et sites d’informations, à l’occasion des sorties très attendues du khalife général des mourides. Dans un pays où tout semble se ramener aux luttes de pouvoir, cela ne passe pas inaperçu aux yeux de certains hommes de médias. Pourtant, le patriarche, dès sa prise de fonction, avait donné le ton. C’était le 25 janvier dernier. Aux hommes politiques, il disait : ‘’Je n'ai le temps à rien et je ne cherche rien de particulier... Je ne cherche que la bénédiction de Serigne Touba. Je ne respire que pour lui. Je tâcherai néanmoins d'avoir d'excellentes relations avec tout le monde, tant que c'est possible. Je donnerai à tout le monde le respect qui sied à son rang, sans exception !’’

Voilà le type de discours, souventefois réaffirmé par le 8e khalife de Bamba. Pour lui, il n’y a que la foi en Serigne Touba qui importe. C’est dans la même voie qu’il a toujours invité ses frères ainsi que tous les fils de Cheikh. ‘’Je me suis toujours évertué, leur précisait-il, à suivre les aînés, à travailler pour eux. Il ne m'est jamais venu à l'esprit qu'un jour, il m'arriverait d'être khalife général des mourides. Mais l'idée de toujours travailler pour le rayonnement du mouridisme ne m'a jamais quitté. C'est ce qui justifie ma dévotion aux côtés de Serigne Sidi Mokhtar. Le fait d’être khalife ne fera que me pousser à davantage me tuer à la tâche... Vous êtes mes tuteurs. Je suis votre serviteur. 'Ku dem ma dem, ku demul ma dem’. J'ai opté de vous mettre devant moi et de me mettre derrière'', renchérissait-il, modeste.

Depuis lors, le marabout maintient le cap. Malgré la ruée des politiciens vers la cité religieuse, lui reste fidèle à ses principes.

Mais au Sénégal, difficile de ne pas être mêlé à la chose politique, surtout quand on est guide religieux, encore davantage quand on est chef suprême de la confrérie mouride.

Ainsi, en cette veille de grand Magal de Touba  et d’élection présidentielle, tous les chemins semblent mener vers la ville de Touba. Opposition comme majorité se ruent vers la cité religieuse pour solliciter des prières, draguer son électorat très important. Avec égard, respect et considération, comme il l’avait promis lors de son premier discours, Serigne Mountakha les reçoit, tous, sans exception. Il prie pour tous ceux qui en font la demande. Mais, à chaque fois, des interprétations de toutes sortes n’ont pas manqué. Les tentatives de récupération, non plus.

Les politiciens, dans ce jeu, semblent maîtres. Tous tentent d’enrôler Touba à leur cause, en utilisant notamment la parole de son chef. Et à chacun sa stratégie. Le secrétaire général du Parti démocratique sénégalais, Abdoulaye Wade, lors de sa dernière rencontre avec Serigne Mountakha, rappelait ses œuvres pour le mouridisme, non sans signaler son goût d’inachevé. ‘’Moi, disait-il, j’ai fait beaucoup de pays arabes. J’ai vu ce qu’ils ont fait pour leur pays et je me suis dit que je vais faire la même chose pour mon pays, mais en commençant par Touba, car je suis mouride depuis tout petit’’. C’était au mois de novembre 2017. Le marabout était alors ‘’diawrigne’’ de son ainé feu Serigne Cheikh Sidi Mokhtar Mbacké.

Toujours dans sa stratégie de conquête ou de conservation des mourides, Me Wade ajoutait, faisant dans le désintéressement intéressé : ‘’Moi, je n’ai plus besoin de rien dans cette vie. Tous les honneurs que peut espérer un homme, je les ai eus. Mon nom a fait le tour du monde et je pense que ce n’est pas par mes seules compétences. C’est surtout grâce à Serigne Touba et à ses descendants qui n’ont de cesse prier pour moi.’’

Respect et courtoisie pour toutes les chapelles

Très provocateur, ‘’Gorgui’’ lançait à l’endroit des autres politiciens, comme pour revendiquer plus de foi en Cheikh Ahmadou Bamba : ‘’Niou beuri ci sama gars yi, ak nieulé (beaucoup parmi mes partisans et même les autres), j’ai l’habitude de leur dire que ‘’ma différence avec vous, c’est que vous ne savez pas d’où vient ce que vous avez. Moi, je sais d’où vient ce que j’ai. Je ne viens pas à Touba pour faire campagne. Je viens ici parce que je suis un talibé’’. Il n’avait pas non plus manqué de solliciter des prières et réclamer les postes de député que lui aurait confisqués le pouvoir en empêchant les électeurs de Touba de voter. Le marabout, lui, répondait : ‘’Dégue nagn la bou bakh (on vous a entendu). En ce qui nous concerne, notre position n’a pas bougé. ‘Sunu yéné mat na seuk, sunu yitté matte seuk’. Nous prions également pour vous. Nous vous renouvelons notre amitié. Le plus important, c’est vos rapports avec Serigne Touba. Tout le monde l’a vu, tout le monde le sait. Chaque homme rêve de victoire. Et toi, tu as déjà la victoire. Mais lou bakh nak dadoul doy. Danouy niane reck ndamli doolékou’’. Evidemment, pareil discours n’a pas manqué de faire plaisir à la forte délégation qui accompagnait le ‘’Pape du Sopi’’.

Entre-temps, le contexte a changé. Serigne Mountakha Bassirou Mbacké est devenu représentant de Bamba sur terre. Du coup, il est l’interlocuteur direct de tout responsable qui se rend à Touba. C’est à ce titre qu’il a reçu, avant-hier, le président de la République, Macky Sall. Lui n’a pas usé de longs détours pour exprimer au marabout ses intentions. Comme son ex-mentor (Me Wade), il ne manque pas de faire les yeux doux aux mourides. Mais contrairement à son prédécesseur, lui a un style très direct. Il dit : ‘’En cette veille de Magal, je suis venu pour d’abord solliciter vos prières pour des élections apaisées, mais ensuite demander vos prières pour que le pays reste entre nos mains afin que nous puissions continuer et achever les chantiers que nous avons déjà entamés.’’

Le khalife, par la voie de son porte-parole, après l’avoir remercié pour ses nombreuses réalisations pour la cité religieuse, lui dit : ‘’Comme le disait Cheikh Abdou Lahat (3e khalife), qui citait Serigne Touba : à chaque fois qu’une personne fait quelque chose pour toi, il faut l’en remercier sans tarder. Si quelqu’un fait quelque chose de grandiose pour toi, il faut l’en remercier publiquement. Cheikh Ahmadou Bamba a vu tout ce que vous faites.’’ Mieux, Serigne Mountakha, toujours par la voie de Serigne Bass, a ajouté : ‘’Depuis que le khalife est là, tout ce qu’il vous a dit, vous l’avez fait. Et lui, il ne croit qu’en Dieu et en Serigne Touba. Il les prend à témoin. Lors de votre dernière visite, il vous avait dit d’aller dans le mausolée. Faites vos prières. Demandez ce que vous voulez à Serigne Touba. Manam, en résumé, bayyi nala ak Serigne Touba (il vous laisse avec Serigne Touba)’’. Du côté de l’Alliance pour la République et la majorité, c’est la grande joie. Pour eux, c’est un soutien non équivoque.

Mais Touba n’attire pas que les mastodontes de la politique sénégalaise. Les outsiders également veulent bien être dans les bonnes grâces de la confrérie. Chez Madické Niang, dissident du Pds, on revendique ce soutien du khalife. Ici, on met en bandoulière l’appartenance à la confrérie comme pour Abdoulaye Wade. De passage dans la cité, il disait à sa sortie d’audience : ‘’J’ai rencontré le Serigne. On a échangé tous les deux et j’ai prié avec lui le crépuscule. Et ses conseils n’ont fait que me conforter dans ma volonté de briguer le suffrage des Sénégalais. Auparavant, avant même de me lancer dans la course, j’étais venu ici pour lui demander sa bénédiction. Ce n’est qu’après que je suis allé rencontrer toutes les familles religieuses qui ont prié pour moi.’’

Les tentatives de récupération et de manipulation politiques

Loin de ces sollicitations directes et des quêtes de ‘’ndiggel’’, Ousmane Sonko, lui, tente de dissuader les hommes politiques à user des tarikhas, juste pour accéder au pouvoir. En visite chez le khalife des mourides, il disait : ‘’Un homme politique digne de l’être ne doit pas essayer d’utiliser nos chefs religieux pour berner les électeurs. Dans toutes les familles, vous verrez des gens de toutes les sensibilités. Si nous avons toute cette stabilité au Sénégal, c’est grâce à ces institutions sociales que nous avons. Nous ne devons pas les fragiliser en les mêlant à la politique.’’

Toutefois, le leader de Pastef n’a pas manqué de décliner ses ambitions envers les guides religieux. ‘’Nous, nous voulons institutionnaliser nos rapports avec ces institutions. Car autant nous avons besoin d’infrastructures sanitaires, éducatives… autant le Sénégalais tient à sa foi. On doit donc prendre dans le budget des fonds dédiés aux foyers religieux. Nous n’avons pas à remercier un président parce qu’il a construit une infrastructure. L’argent, c’est notre argent’’, prêchait-il. Cela dit, Sonko n’a pas non plus manqué de mettre en exergue le bon accueil dont il a eu droit à Touba. ‘’Je remercie beaucoup notre marabout Serigne Mountakha. D’habitude, il ne reçoit pas en ce jour. Avec nous, il l’a non seulement fait, mais aussi on a fait ensemble la prière de ‘tisbar’. Nous lui avons dit que nous ne voulons pas être de ceux qui utilisent la religion juste pour berner les talibés. Notre démarche est très sincère et nous ne sommes pas là pour faire de la politique. Mais pour solliciter des prières et lui soumettre nos ambitions pour ce pays’’.

Fidélité à la foi, au savoir et à la droiture

A l’instar de ces derniers, Malick Gakou, Pape Diop, Bougane Guèye Dany… Tous affluent vers la cité religieuse pour décliner leur charme devant le ‘’peuple mouride’’. Idrissa Seck, lui, a choisi la voie la plus radicale. Il a tout bonnement tourné casaque, enlevant son boubou de tidiane pour enfiler celui de mouride. En toute bonne foi, selon les uns. Du marketing politique, pour beaucoup d’autres.

Dans tous les cas, en cette veille d’élection présidentielle, Touba ne laisse aucun homme politique indifférent. Le khalife, lui, en dehors de ses audiences avec les partis, ne fait allusion à la politique que très rarement. Aussi bien dans son discours officiel, à l’occasion de l’Eid el fitr et de l’Eid el kabîr, il a royalement ignoré les hommes politiques, dans un contexte pourtant très bouillant. Serigne Mountakha avait préféré s’appesantir sur la foi, le savoir et la droiture.

Dernièrement, le 10 octobre, il témoignait : ‘’Mes parents disaient de moi : ‘C’est quelqu’un qui ne veut rien.’ Je répondais que oui, je veux quelque chose, quelque chose de très difficile. C’est ce que je leur disais et c’est ce que je crois. Ce que je veux est très difficile, mais quand vous me voyez, j’ai effectivement l’air de quelque qui ne veut rien du tout. Ce que j’aime, c’est le savoir. Et c’est par cette voie que je compte servir Serigne Touba en construisant une université où chaque famille de Cheikh pourra disposer d’un espace pour éduquer ses enfants. Ce qui est fondamental. C’est ma grande priorité. Rien d’autre ne m’intéresse’’. Voilà ce qui est clair.

MOR AMAR

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