Publié le 29 Aug 2016 - 22:12
SÉCURITÉ ET SÛRETÉ DANS LES EAUX

Sénégal, les failles de la mer

 

Matériel de détection et d’intervention insuffisant, possibilité d’une attaque venue du golfe de Guinée, le Sénégal n’est pas à l’abri de la criminalité maritime. Et pourtant, le pays sera bientôt producteur de pétrole. Ce qui est un facteur supplémentaire et déterminant d’insécurité dans la mer. Mais les autorités semblent avoir pris la mesure de la menace. Depuis quelques années, l’acquisition de matériel et la formation se font simultanément pour parer à toutes éventualités.

 

Le contrôle des eaux maritimes et la maîtrise de ce qui s’y passe sont des enjeux majeurs pour l’Afrique de l’Ouest. Le terrorisme, le piratage, le vol de pétrole, le trafic d’êtres humains, la contrebande d’armes, de drogue, la contrefaçon, la fraude fiscale, la pêche illicite et la pollution sont autant d’activités criminelles qui utilisent la mer comme terrain d’opération. L’Institut d’Etudes de Sécurité  (ISS, acronyme en anglais) essaie, depuis quelques années, de mieux comprendre les défis des Etats du golfe de Guinée en la matière et à formuler des recommandations. D’où l’organisation d’un séminaire sur ‘’la sécurité et la sûreté maritime dans le golfe de Guinée’’.

Au-delà de la multitude de dangers, il y a des relations étroites qui existent entre eux. ‘’Tous ces réseaux sont interconnectés’’, soutient Serge Rinkel, expert à la Commission européenne. En guise d’exemple, explique-t-il, les premiers militants du Delta du Niger étaient des trafiquants de drogue. Avec la drogue, ils ont gagné de l’argent pour acquérir des armes et passer à la guerre. Un homme comme Moctar Bel Moctar a été un trafiquant d’armes, avant des verser dans le terrorisme. Même le trafic d’être humain est lié à d’autres crimes maritimes, puisque, révèle-t-il, les migrants suivent les routes de la contrebande ; ils payent les groupes armés ou les trafiquants pour traverser certaines zones, comme la Lybie.

Outre cette interconnexion, ces acteurs de la criminalité maritime disposent de moyens sophistiqués qui leur permettent d’aller très vite et d’opérer sur de longues distances. Ils peuvent ainsi agir loin de leur base, avec des locomotives extrêmement puissantes. Ce qui fait dire à M. Rinkel que ‘’le Sénégal n’est pas à l’abri d’une attaque’’ venue du golfe de Guinée. Surtout que les vengeurs du Delta du Niger se sont fixés comme objectif de couler deux pétroliers, tout en déclarant ne pas être obligés de le faire chez eux et provoquer davantage de pollution.

En d’autres termes, ils entendent le faire loin de leur pays d’origine. Exporter les attaques et avoir du retentissement sur le plan international. Porte de l’océan atlantique, faisant l’objet d’une attention particulière sur le plan international et considéré souvent comme le bon élève des Occidentaux, sans compter le fait qu’il soit entouré par des pays instables, le Sénégal doit donc plus que jamais accorder une grande importance à la sûreté maritime, estime cet ex-agent infiltré de la France.

Une banque de données des pirateries dans le golfe de Guinée

Du côté de l’Etat du Sénégal, on n’a pas manqué de souligner la propension des experts à faire des analogies souvent faciles. ‘’Il se pourrait que nous ne connaissions pas d’attaques’’, réplique-t-on. N’empêche, toutes les dispositions sont en train d’être prises, si l’on en croit cet interlocuteur. ‘’En matière de stratégie, il faut s’attendre au pire’’, indique-t-on. Ainsi, le Sénégal dispose d’une banque de données de tous les actes de piraterie dans la région du golfe de Guinée. Elle sera aussi étendue aux cas de piraterie dans le golfe d’Aden, même si on reconnaît qu’il y a une différence nette entre les deux zones. ‘’Tout cela nous permet d’imaginer des scénarios pour affiner notre préparation et surtout orienter le sens de la formation de notre unité d’élite’’, rassure-t-on.

Cependant, la menace n’est pas que potentielle, elle est réelle, puisque le pays est déjà une zone de transit pour certains produits. M. Rinkel révèle que la cocaïne d’Amérique du Sud passe par le pays via les pêcheurs sénégalais qui se livrent à cette activité, devant le manque progressif de revenus. De même, ajoute-t-il, les armes d’Al Qaïda venus du Niger et du Nigeria traversent le pays pour aller au Mali.

Le Sénégal a donc un défi énorme en la matière. D’autant plus que les ressources maritimes se raréfient de plus en plus et font face à une forte pression (voir ailleurs). Or, moins les pêcheurs ont des revenus, plus ils quittent la pêche pour se lancer à la recherche d’activités alternatives liées à la mer. Ce qui peut déboucher sur des actions criminelles, au large. L’exemple patent de ce virage périlleux est la reconversion des pêcheurs en passeurs dans le cadre de l’émigration clandestine.  De la même manière, ils peuvent verser dans le piratage, le trafic d’armes, de drogue ou le terrorisme.

Il faut donc penser à sécuriser davantage, pour éviter toute mauvaise surprise. Et pourtant, le pays dispose de 7 000 km de côtes et 200 nautiques. Une zone assez vaste au vu des moyens limités des Etats de l’Afrique de l’Ouest. Si l’on y ajoute les gisements de pétrole, les pipelines et tout ce que l’or noir attise comme convoitise, le risque ne fait que s’agrandir. Pour le moment, les gouvernants semblent être conscients du problème. ‘’Maîtriser l’espace maritime est un de nos principaux objectifs’’, soutient une autorité. Ainsi, le pays essaie de prendre les devants avec l’acquisition de moyens de défense, mais force est de reconnaître que ce n’est pas encore suffisant.

‘’Ce qu’il faut, c’est un vecteur aérien’’

Dans cet arsenal, il y a d’abord les moyens de détection essentiels dans la sûreté maritime. Le pays dispose d’un projet d’installation de radars le long de la côté, grâce à la coopération américaine. Le centre de coordination des opérations de la marine est aussi doté de ‘’suffisamment’’ de censeurs pour avoir une bonne appréciation de la situation maritime. ‘’Ce que nous cherchons est d’augmenter la portée de ces radars pour avoir une possibilité de dissuasion.’’

En fait, les navires doivent utiliser des appareils pour être détectés. Mais ceux qui trichent désactivent les équipements pour ne pas être repérés. La marine cherche donc à superposer les images des radars et celles des censeurs afin de dénicher les tricheurs. Mais, même avec ça, ce ne sera pas forcément suffisant. Car, en matière de détection, le Sénégal n’est confortable que jusqu’à 24 nautiques sur 200, soit 40% de la surface à couvrir. ‘’Ce qu’il faut, c’est un vecteur aérien (avion ou hélico) qui permet d’étendre la capacité de détection sur l’étendue de la zone économique exclusive’’, affirme une source.

Pour le moment, le Sénégal bénéficie du support des éléments français au Sénégal qui accordent des heures au pays avec leur Falcon 50. Il s’y ajoute quelques heures de patrouille maritime avec les hélicoptères de l’Union européenne, dans le cadre du Frontex. Il faut donc un effort supplémentaire. S’agissant des moyens d’intervention, il y a deux unités. Une financée par l’Anam. La mise à l’eau a déjà été effectuée. Il reste un patriote de 53 m attendu au mois de novembre. À ce jour, la couverture du spectre de menace classique est passée de 20% à 70%, en 2016. 

Le pétrole, une menace supplémentaire

Cela ne veut pas dire pour autant que le dispositif est assez fourni. Et pourtant, il y a une nouvelle situation qui est presque arrivée et qui pourrait engendrer plus de risques. En effet, le Sénégal sera bientôt pays producteur de pétrole. Un produit qui a ses effets positifs mais qui est aussi source d’instabilité de diverses formes, notamment dans le milieu maritime. Les gisements, les pipelines et les bateaux sont autant de cibles pour les malfaiteurs. ‘’Nous sommes conscients de cette menace ; pour nous, elle est déjà là. Et nous nous sommes inscrits dans la prospective. En plus des équipements cités, nous avons un plan d’acquisition de matériel d’ici 2025’’, avance-t-on. Barthélémy Blédé, chercheur principal à l’Iss, déclare d’ailleurs que le Sénégal est le pays qui acquiert les plus gros moyens dans la sous-région, à l’exception du Nigeria.

À côté des moyens navals, il y a aussi les capacités humaines. ‘’Nous avons commencé à former nos unités d’élites qui seront chargées de prendre en charge les menaces spécifiques au pétrole offshore, comme les prises d’otages, détournements de bateaux, etc. Nous avons pour le moment une petite unité. Nous allons continuer la formation. D’ici deux ans, nous serons prêts’’, rassure-t-on.

Seulement, à l’image de beaucoup d’autres fléaux, les mesures d’un seul Etat ne sauraient suffire. Certes, il revient à chaque pays de s’occuper de ses problèmes de frontières, insiste une source. Cependant, il y a nécessité d’avoir une coopération franche entre Etats de la sous-région. Ce qui n’est pas nécessairement le cas. Encore, faudrait-il que chaque pays dispose de moyens propres avant de parler de mutualisation et de coordination. Les deux exposés faits sur le Bénin et le Togo, respectivement par un Béninois et l’Ivoirien Barthélémy Blédé, indiquent qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire. Autrement dit, dans les eaux ouest-africaines, il y a des ‘’tunnels’’ de l’impunité que les malfaiteurs peuvent toujours emprunter pour faire régner l’insécurité et le désordre dans la sous-région.

BABACAR WILLANE

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